L'administration Biden prévoit de dépenser 825 M$ environ pour créer à Albany, dans le nord de l'État de New York, un centre national de R&D sur les semi-conducteurs, où se trouve déjà le complexe NanoTech NY Creates financé par le gouvernement mais aussi depuis avril 2024 le supercalculateur quantique IBM Quantum System One sur le campus du Rensselaer Polytechnic Institute (RPI), en périphérie d'Albany. Ce centre accueillera le projet pour accélérer dans la lithographie extrême ultraviolet (litographie EUV), dont l’objectif est de faire progresser la recherche et l'adoption de la lithographie de pointe aux États-Unis. Cette technologie, aujourd'hui dominée et maitrisée par la société néerlandaise ASML, est essentielle à la fabrication des circuits intégrées et processeurs plus petits, rapides et efficaces.
Alors que l'industrie des semi-conducteurs repousse les limites de la loi de Moore, la lithographie EUV est indispensable pour produire à grande échelle des transistors de moins de 7 nm, ce qui était impossible auparavant. À titre de comparaison, un cheveu humain classique a une épaisseur de 80 000 à 100 000 nm, et une molécule d'ADN mesure environ 2,5 nm. Le National Science and Technology Council (NSTC) estime que la R&D dans ce domaine est capitale pour atteindre trois objectifs principaux : étendre le leadership technologique des États-Unis, réduire le temps et le coût des prototypes, et construire et soutenir un écosystème de production dans les semi-conducteurs. Le centre de R&D d’Albany est une étape clé « pour garantir aux États-Unis la place de leader mondial de l'innovation et de la recherche et du développement dans le domaine des semi-conducteurs », a annoncé dans un communiqué la secrétaire d'État au commerce, Gina Raimondo. Aux côtés de ce centre, New York et ses environs hébergent également depuis fin 2023 un autre supercalculateur quantique d'IBM, le Quantum System Two, à Yorktown Heights.
Des investissements dans la technologie et aussi les talents
Selon Anish Koshy, Parthenon Principal chez Ernst & Young LLP, ce centre de R&D représente un investissement stratégique à la fois dans la technologie et les talents. « Au cœur de cette installation se trouve la technologie avancée EUV, pierre angulaire de la production des futurs microprocesseurs à haute performance, indispensable pour les applications qui vont de l'IA à l'informatique avancée », s’est félicité M. Koshy. « La technologie EUV a été largement concentrée en dehors des États-Unis et nous espérons que le fait de disposer de cette technologie sur le sol américain, combiné à l'environnement de recherche collaborative, aidera les entreprises américaines à conserver leur avance dans la conception des puces de prochaine génération ».
Le centre R&D en lithographie extrême ultraviolet est localisé dans le complexe NanoTech à Albany dans le nord de l'État de New York. (crédit : NY Creates)
Un autre expert en semi-conducteurs, qui a demandé à ne pas être nommé, pense que la technologie EUV ne concerne qu’une poignée d'entreprises, comme TSMC, Intel, Samsung, SK Hynix et Micron, « et pas plus ». Cependant, de nombreuses autres entreprises en bénéficieront indirectement, notamment les fournisseurs de puces fabless ou encore des spécialistes réseau comme Broadcom, des experts du sans-fil comme Qualcomm et Mediatek, et de services cloud comme AWS, Azure et Google Cloud Platform. « Même les sociétés comme Meta et Oracle, et les équipementiers, comme Cisco et Juniper, pourraient bénéficier des innovations potentielles de ce centre de R&D », a reconnu l'expert. « Nous pensons que tout un écosystème sera ravi par la présence de l'accélérateur sur le territoire américain, d’autant que cet écosystème, encore embryonnaire aujourd’hui aux États-Unis va s’accompagner d’une création nette d'emplois », a-t-il fait valoir. « Il y a des implications évidentes pour la sécurité nationale à faire travailler plus d'Américains sur les défis de l'EUV, avec des avantages en termes de résilience pour le ministère de la Défense. »
Financé par le Chips Act qui vise à réorganiser la fabrication des semi-conducteurs, ce centre de recherche va réunir des chercheurs de tout le pays afin d'accélérer l'innovation dans ce domaine. Le ministère du Commerce et le National Center for the Advancement of Semiconductor Technology (Natcast) superviseront son fonctionnement. À noter que le Natcast a été créé dans le cadre du Chips Act en tant qu'entité à but non lucratif désignée pour gérer le NSTC. Le centre de R&D donnera accès à des « recherches et outils de pointe » au NSTC, qui vient d'ouvrir ses portes dans le complexe NanoTech NY Creates à Albany, lui-même ouvert depuis l'année dernière. NY Creates travaille avec le National Institute for Industry and Career Advancement (NIICA). Cet institut s’est donné pour objectif de constituer un vivier de talents nationaux dans les secteurs des semi-conducteurs et de la fabrication de pointe. Il a également créé le programme d'apprentissage des techniciens en semi-conducteurs et en fabrication avancée Semiconductor and Advanced Manufacturing Technician Apprenticeship Program (SAM-TAP). « En soutenant la recherche de pointe sur l'EUV et en encourageant un écosystème de collaboration, cette installation ne stimulera pas seulement l'innovation dans le domaine des semi-conducteurs, mais relèvera aussi des défis majeurs en matière de résilience de la chaîne d'approvisionnement et de développement de la main-d'œuvre, tout en maintenant le leadership technologique des États-Unis », a affirmé Anish Koshy de Ernst & Young LLP.
Des fonds alloués mais pas encore distribués
Grâce à des partenariats public-privé, de grandes entreprises de l'industrie des semi-conducteurs et d'autres sociétés dont IBM, Micron, Applied Materials et Tokyo Electron ont contribué à la mise en place des installations du NanoTech Complex. Adopté par le Congrès en août 2022, le Chips and Science Act a permis d’allouer 52,7 Md$ au département du Commerce américain pour le programme Chips for America afin d'améliorer la recherche, le développement et la fabrication de semi-conducteurs aux États-Unis. Environ 11 Md$ de ce financement ont été consacrés à la création de plusieurs centres de recherche, dont le NSTC et le complexe NanoTech d’Albany. Sous l'impulsion du Chips Act, des fabricants de puces comme Intel, Samsung, Micron, TSMC et Texas Instruments sont déjà en train de construire ou de planifier un certain nombre de nouvelles usines de fabrication de puces aux États-Unis. Qualcomm, en partenariat avec GlobalFoundries, a également annoncé qu'il investirait 4,2 Md$ pour doubler la production de puces dans son usine de Malte, dans l’État de New York.
Cependant, à ce jour, bien qu’alloués, les fonds du Chips Act n’ont pas encore été distribués ce qui a dernièrement fait sortir de ses gonds le CEO d'Intel Pat Gelsinger qui s'est déclaré à ce sujet "frustré" de la promesse non honorée de l'administration Biden d'octroyer au fondeur 8,5 Md$ de fonds. La construction d'usines de fabrication a également connu des revers, à cause du déficit en main-d’œuvre nécessaire à la construction et à l'entretien des usines. NY Creates exploite un complexe de 14 000 m2 environ de salles blanches et 4 700 m² supplémentaires en cours de construction, où travaillent 2 750 scientifiques, ingénieurs et autres personnels. Le centre de R&D a noué des partenariats avec plus de 200 entreprises, universités et centres de développement internationaux partout dans le monde. Selon la secrétaire d'État au commerce, Gina Raimondo, la loi CHIPS établit les bases « d’un écosystème résilient qui alimentera tout, des smartphones à l'IA avancée, sauvegardant la sécurité nationale des États-Unis et maintenant la compétitivité de l'Amérique pour les décennies à venir ». La pandémie de Covid-19 a mis en évidence des lacunes critiques dans la chaîne d'approvisionnement en semi-conducteurs, interrompant les importations aux États-Unis et dans d'autres pays, ce qui a affecté la production de tous les matériels nécessitant de l'électronique, depuis les smartphones jusqu’aux voitures.