Selon les experts qui sont intervenus lors du symposium Future:Net 2021 organisé en ligne le 23 mars dernier, dans un avenir proche, les réseaux pourraient utiliser beaucoup plus de logiciels open source, offrir une programmabilité avancée et être fournis en tant que service. Telles sont les prévisions partagées avec les participants par des fournisseurs comme Cisco, Google et Microsoft, des universitaires et des cabinets comme Gartner et 451 Research. L’idée selon laquelle les réseaux et les technologies réseau de demain comporteront beaucoup plus de contrôles logiciels et de programmabilité que ce qui existe aujourd'hui dans la plupart des environnements d’entreprises est souvent revenue dans les thèmes abordés par les intervenants. L’un des premiers changements majeurs concerne l'utilisation croissante de la technologie de mise en réseau open source. L'intérêt marqué pour le système d'exploitation réseau open source Software for Open Networking in the Cloud (Sonic) et son usage, en témoigne.
Ce NOS basé sur Linux, développé et livré en open source par Microsoft, dissocie le logiciel réseau du matériel sous-jacent, ce qui lui permet de fonctionner sur des commutateurs et des ASIC de divers fournisseurs et de prendre en charge une suite complète de fonctionnalités réseau comme le Border Gateway Protocol (BGP), l'accès direct à distance à la mémoire (Remote Direct Access Memory, RDMA) et la qualité de service (Quality of Service, QoS). « Il y a actuellement beaucoup de battage autour de Sonic, mais l’adoption de cette technologie est réelle, et c'est l'une des tendances les plus disruptives à long terme sur le marché », a déclaré Andrew Lerner, vice-président de Gartner. Dans un rapport récent, Gartner prévoit que d'ici 2025, 40 % des entreprises qui exploitent des réseaux de datacenters avec plus de 200 commutateurs utiliseront Sonic en production et qu’entre 2020 et 2021, l'intérêt des clients de Gartner pour Sonic a augmenté de 87 %.
Sonic fédère les acteurs du marché
La communauté de fournisseurs autour de Sonic s'est également développée. Elle comprend désormais Dell, Arista, Nokia, Apstra, Alibaba, Comcast, Cisco, Broadcom, Juniper, Edgecore, Innovium, IP Infusion, Huawei, Nvidia-Mellanox et VMware. « En raison de l'intérêt croissant des clients et de l'écosystème commercial, il est fort probable qu'au cours des trois à six prochaines années, SONiC soit comparable à Linux en tant que système d'exploitation pour serveurs. Il va permettre aux entreprises de normaliser sur un NOS qui est pris en charge par tous les fournisseurs de matériel », a déclaré M. Lerner dans ce rapport. « C’est clairement une belle occasion d’innover, de la même manière que les outils basés sur Linux et l'expertise Linux ont apporté de gros bénéfices aux clients ».
Mais l’attention ne se concentre pas uniquement sur Sonic. Selon Nick McKeown, professeur à l'université de Stanford, président et cofondateur de Barefoot Networks, un certain nombre d'autres projets de réseaux à code open source suscitent également de l'intérêt. « Il s'agit en particulier des technologies comme le commutateur virtuel Open vSwitch (OVS), le système de commutation ouvert de Facebook (Facebook open switching system, FBOSS), les projets OpenConfig et Free Range Routing (FRR) », a encore déclaré M. McKeown. « L'open source s’affirme à nouveau comme une solution légitime et digne de confiance pour contrôler les réseaux », a aussi ajouté Nick McKeown. « L’open source a été ignoré pendant un certain temps, mais il est revenu sur le devant de la scène, car il a vraiment fait ses preuves grâce à Linux, Mozilla, Apache et d'autres initiatives open source. On a pu voir à maintes reprises qu’une forte communauté open source autour d’un projet permettait d’améliorer, de bien maintenir et de rendre le code plus fiable ».
Des réseaux étroitement associés aux applications
La notion d'open source va de pair avec l'idée qu'à l'avenir, les réseaux seront plus programmables, avec davantage de fonctions et de contrôles fournis par logiciel. « Dans quelques années, personne ne configurera les réseaux, ils ne feront que configurer les applications », a déclaré Vijoy Pandey, vice-président et CTO de Cisco Cloud. « Nous voulons des réseaux autonomes et programmables qui prennent soin d'eux-mêmes, car le défi de la configuration va se déplacer vers la couche applicative et c'est là que nous allons résoudre les problèmes », a-t-il ajouté. « L'idée, c’est que les réseaux seront finalement exploités par un petit nombre de personnes, mais programmés par beaucoup », a encore déclaré M. Pandey. « Pour la première fois, les réseaux seront programmables de haut en bas, car l'opérateur propriétaire contrôlera ce logiciel de bout en bout, et il pourra tout façonner, depuis le traitement des paquets, jusqu’aux commutateurs et aux NIC, et tout cela sera entièrement défini par logiciel », a déclaré Nick McKeown. « Cela ouvre également des possibilités étonnantes, car si tout est défini par logiciel, nous pouvons utiliser des outils et des techniques de génie logiciel que l’on ne pouvait pas, jusqu’à récemment, emprunter aux systèmes informatiques », a-t il ajouté.
« En plus du fait qu’ils sont hautement programmables, les réseaux vont également passer d'un état hautement automatisé à un état autonome », a déclaré pour sa part Bikash Koley, vice-président de Google Global Networking. « Le réseau de demain va apprendre ce qu'est un bon état opérationnel, si bien qu'il pourra agir de lui-même quand le réseau s'écartera du bon état connu et entrera dans un état préventif ou d'atténuation rapide », a déclaré M. Koley. « Un réseau autonome détectera les changements dans la demande et les modèles de trafic et réagira en conséquence. Le réseau autonome pourra aussi se mettre à l'échelle automatiquement si nécessaire pour répondre aux exigences croissantes de la charge ».
Le réseau comme service cloud natif
Selon les experts, la fourniture de fonctions réseau en tant que service est une autre tendance qui aura un impact sur le monde des réseaux. « Demain, tous les services réseau et de sécurité seront délivrés selon un modèle SaaS », a déclaré M. Pandey. « Le réseau sera natif du cloud, avec des fonctions réseau et de sécurité fournies à partir de la périphérie du cloud », a ajouté M. Koley. « Par « natif du cloud », je veux dire que la mise en œuvre de microservices de conteneurs modernes du plan de gestion pour le réseau va devenir la norme », a-t-il déclaré. « Cela permettra aux utilisateurs de disposer d'une infrastructure en tant que code, que le réseau sous-jacent soit physique ou virtuel », a ajouté M. Koley. « Le réseau sera fourni en tant que service natif du cloud, fourni en tant que SaaS, tout comme le stockage et le traitement ».
Les clients des datacenters pourront ainsi consommer les ressources réseau des datacenters à la manière du cloud, y compris en libre-service, à travers un portail unique pour les services réseau, et l’usage sera facturé en fonction de la consommation. « Nous avons constaté que certains fournisseurs investissent déjà dans des technologies permettant de fournir des services de type « cloud » », a déclaré M. Lerner. « Certaines étapes de cette mise en œuvre sont d’ores et déjà visibles : la séparation du matériel et du logiciel, le passage du logiciel à l'abonnement, la modification du portail de gestion et la fourniture de ce service », a-t-il ajouté. Bientôt, le matériel sera disponible en tant que service, où les clients s'abonnent pour l’utiliser au lieu de l'acheter à un prix fixe par port. Ce dernier pense que d'ici 2023, « au moins deux grands fournisseurs de réseaux pour datacenters proposeront une tarification mensuelle fixe par port, et que d'ici 2025, 30 % des entreprises achèteront de nouveaux commutateurs pour datacenters via du matériel en tant que service ».