Le professeur Bruno Deffains (*) a rédigé un rapport sur l'impact de l'arrivée de Free Mobile dans les télécoms en termes d'emplois. C'est la 1ère étude sérieuse sur le sujet. Elle explique très bien l'évolution du secteur avant de formuler des hypothèses et de livrer les conséquences possibles et chiffrées du « tsunami Free ».
L'étude rappelle d'abord que trois niveaux d'emplois sont à distinguer : les emplois internes, à l'intérieur même des opérateurs, les emplois directs, ceux générés par les opérateurs auprès de leurs partenaires de 1er rang (distributeurs, administrations, fournisseurs), les emplois induits enfin, ceux créés chez les partenaires des partenaires de 1er rang. Toute variation des emplois dans le secteur se fait donc par rapport à une valeur de référence, celle qui additionne les trois types d'emplois sur l'année 2011.
L'étude évalue le chiffre d'affaires total des opérateurs mobiles à 23,7 milliards d'euros, leur valeur ajoutée créée à 5,1 milliards d'euros, les emplois internes à 24 000. Pour les partenaires de 1er rang, la valeur ajoutée créée est de 7,8 milliards d'euros, les emplois directs à 130 000. Quant aux autres partenaires, leur valeur ajoutée se monte à 12,9 milliards d'euros, les emplois s'élèvent à 191 000.
Au total, l'activité mobile a dégagé, en 2011 en France, une valeur ajoutée de 25,8 milliards d'euros (somme des 3 valeurs ajoutées des trois secteurs) et 345 000 emplois.
Les effets de Free Mobile sur la facture
Après cette analyse de base, l'étude scrute les effets économiques de l'arrivée de Free Mobile. D'abord sur la facture. Celle-ci était de 29,5 euros par mois en moyenne en 2011, dont 4,9 euros pour l'achat du terminal. L'impact principal de Free Mobile porte donc sur cette facture. « Deux ruptures distinctes enregistrées sur le marché doivent être prises en compte : 1) la rupture sur les prix avec une baisse de 50% sur les offres équivalentes ; 2) la rupture sur le service de base offert : offre sans terminaux, pas de boutiques etc... ». L'étude estime ainsi que la baisse totale du chiffre d'affaires du secteur mobile atteindrait 6,5 milliards d'euros, sur deux ans, soit une baisse de 30,9%.
Elle arrive alors à ce raisonnement : « La part de la facture dédiée aux services passe de 24,6 €/mois à 16,9 €/mois, soit une diminution moyenne de 6,5 €/moi et une baisse des ventes liées aux services de 5,2 milliards d'euros. Par ailleurs, il faut estimer la part des consommateurs qui optent pour des offres sans terminal en tenant compte que ces consommateurs continueront d'acheter et renouveler leurs terminaux mais à un rythme moindre. En posant que 50% des abonnés choisissent une offre sans subvention du terminal, les ventes annuelles de terminaux diminueront de 29,5%, soit un renouvellement moyen tous les 42 mois, contre 30 mois en moyenne en 2011. »
[[page]]
Cette baisse de 30,9% de l'activité est la 1ère hypothèse du rapport, elle s'accompagne d'une deuxième : le 4ème opérateur respecterait ses obligations de déploiement avec une dépense annuelle de 1,6 milliard d'euros.
10 400 emplois détruits dans le commerce de détail
En fonction de ces analyses, l'étude aboutit à une destruction nette de 61 600 emplois : 10 600 chez les opérateurs mobiles eux-mêmes, 35 200 chez les partenaires de 1er rang, 15 800 chez les autres partenaires. Concernant les partenaires de 1er rang, qui devraient perdre 35 200 emplois, l'étude précise que 39% soit 10 400 seraient dans le commerce de détail, 35% dans celui du conseil et de l'assistance, soit 13 500, 19% dans le commerce de gros, soit 6 300, 11% dans les services opérationnels, soit 1 900 emplois nets en moins.
Toutefois, l'étude mentionne également deux paramètres. Celui de l'amélioration de la qualité des réseaux par les opérateurs qui devrait entraîner la sauvegarde de 10 100 emplois, ce qui ramène la destruction à 51 500 empois. Inversement, l'étude observe aussi une possible délocalisation d'emplois du fait de la baisse de la marge des opérateurs, dans ce cas, 7 800 emplois seraient détruits. Ce qui pourrait porter le chiffre total à 69 400 destructions.
L'étude souligne enfin, que ce niveau de destruction d'emplois entraîne des conséquences indirectes. « Selon les statistiques de l'INSEE, le revenu mensuel moyen des salariés (charges patronales et salariales incluses) dans les secteurs affectés est de 3574€. Si les emplois ne sont pas recréés au moment où ils sont détruits, ce qui est pour le moins probable, ce sont plus de 2,5 milliards d'euros de prélèvements supplémentaires qu'il faudra trouver pour financer dans les trois années qui viennent les caisses de chômage et les pertes de recettes des organismes sociaux (sécurité sociale, allocations familiales, etc.). »
Le professeur Deffains a visiblement retourné la question dans tous les sens, il laisse également ouverte la discussion sur ses hypothèses de travail.
(*) Professeur à l'Université Paris 2 (Panthéon-Assas), Directeur du Laboratoire d'Economie du Droit