Malgré le contexte actuel, le français Kalray maintient bien ses délais. Le concepteur de processeurs multicoeurs et massivement parallèle avait dévoilé lors du dernier CES de Las Vegas Coolidge, sa troisième génération de puce avec 80 cœurs entièrement programmables. Cette plateforme exploite des interconnections à 600 Go/s avec le support des interfaces PCIe 4.0 et 200G Ethernet. « La troisième génération possède moins de cœurs que la précédente [qui en comptait 256, Ndlr], mais les 80 cœurs sont plus puissants et il est possible de connecter autant de puces que l’on veut. Et le processeur est ainsi moins cher à l’unité », indique Eric Baissus, directeur général de Kalray. Simple concepteur de composants, ce dernier délègue comme beaucoup la fabrication de ses puces au géant taïwanais TSMC.
Cette 3e génération présente des améliorations dans l’exploitation de la technologie MPPA (Massively Parallel Processor Array), développée par les chercheurs du CEA, dont est issue Kalray. Les performances ont été multipliées par 25 par rapport à la 2e génération de puce. Les capacités de gestion de l’intelligence artificielle ont été étendues, et la programmation facilitée en interne ou en externe. La disponibilité générale des échantillons de Coolidge est donc toujours prévue pour avril, avant une mise en production en volume attendue au second semestre 2020.
De nombreux partenariats technologiques
Au CES 2020, Kalray a réalisé une démonstration des performances de son processeur Coolidge avec NXP Semiconductors, fabricant de composants pour l'automobile, avec qui le français a noué un partenariat il y a un an. L’entreprise travaille aussi étroitement avec le groupe Wistron (propriétaire d’Acer) pour concevoir des serveurs ainsi qu’avec le Strasbourgeois 2CRSI pour le déploiement de systèmes HPC. En octobre, Kalray a également annoncé un partenariat avec le chinois Intron Technology, un des leaders pour la distribution de solutions d’électronique embarquée (dans l'automobile notamment), afin d’accélérer son développement sur ce marché stratégique.
Plusieurs processeurs MPPA de troisième génération Kalray peuvent être réunis pour apporter le niveau de performances souhaité. (Crédit : Kalray)
Depuis 2014, et l’arrivée d’Eric Baissus à sa direction, l’activité de Kalray a été repensée pour générer plus de revenus et profits. À l’époque l’activité de la start-up était encore principalement centrée sur la recherche et la jeune pousse placée en redressement judiciaire. Avant d'en prendre la tête, Eric Baissus avait été sollicité pour réaliser un audit l’entreprise. Pour développer le chiffre d'affaires tout en conservant la spécificité R&D de Kalray, deux marchés ont été retenus. Les datacenters, pour lesquels Kalray produit des cartes d’accélération pour épauler des serveurs et des baies de stockage. Et l’embarqué, pour accompagner le développement des voitures autonomes, très gourmandes en ressources de calcul. Ces technologies sont encore en tests et les marchés adressés ne génèrent pas beaucoup de chiffres d’affaires. « Les premiers clients sur l’embarqué ne veulent partir en production qu’à partir de 2023-2024 », précise M. Baissus. C’est pourquoi le dirigeant mise avant tout sur le développement de l’activité datacenter pour financer les travaux sur la partie embarquée.
100 M€ de revenus en 2022 ?
De gros acteurs dans l’automobile, l’aéronautique et l’aérospatial ont décidé d'investir dans la technologie de Kalray. L’alliance Renault-Nissan-Mitsubichi est entrée au capital de la start-up grenobloise, tout comme Safran et une joint-venture d’Airbus. Tous financent et co-développent des produits avec l’entreprise. Pour se démarquer de la concurrence, Kalray mise sur la vente de son processeur pour des cas d’usages très particuliers. Ce dernier est, par exemple, adapté à la manipulation vidéo et à la vidéosurveillance, car les puces fonctionnent comme des DSP. Les puces sont aussi très performantes pour le traitement d’algorithmes dans la finance, et l’analyse des risques. Si en France, Kalray est le seul acteur du genre, si on considère que STMicroelectronics est beaucoup plus généraliste dans la production de semi-conducteurs pour l'industrie, il doit rivaliser avec Broadcom, Nvidia, Intel ou encore Xilinx sur le marché des cartes d’accélération de type GPU, FPGA et autres. La bataille se joue ici sur la qualité et les performances des composants, mais également sur celles des compilateurs et des environnements de développement pour réussir à exploiter au mieux les ressources disponibles.
Fin 2019, 81 personnes travaillaient chez Kalray. La majorité à son siège grenoblois. Les autres étant réparties entre Sophia-Antipolis, Los Altos (Californie) et au Japon. Aujourd’hui l’entreprise dispose d’un portefeuille d’environ 50 clients. Les revenus sont encore modestes, car les clients n’utilisent que quelques cartes pour développer leurs produits et commencent juste à entrer en production. Mais l’année dernière, Kalray a tout de même généré 1,265 M€ de chiffre d’affaires, en hausse de 63% par rapport à 2018 (775 K€). Ces revenus sont principalement issus de ventes de cartes, de stations de développement et de licences, ainsi que de contrats d’évaluation, de développement et de services auprès de clients en phase d’évaluation et de qualification. Avec l'arrivée de sa puce Coolidge le semestre prochain, les objectifs de Kalray sont particulièrement ambitieux avec un chiffre d'affaires attendu de 100 M€ en 2022 (réalisés à près de 90% sur la partie datacenter). Cette année, le concepteur de puces aimerait signer son premier gros contrat avec un acteur de l’automobile.