Ada Lovelace, mathématicienne du XIXe siècle, a initié les notions essentielles à la base de la programmation informatique. Hedy Lamarr a abandonné une carrière hollywoodienne dans les années 1930 pour travailler dans l’aérodynamisme, à la Nasa et inventer le saut de fréquences avec Georges Antheil, qui permettra le développement de la technologie WiFi. Mathématicienne et réserviste à la Navy, Grace Hopper a aidé à la création du premier ordinateur commercial UNIVAC. Elle développe le langage FLOW-MATIC pour cet ordinateur et le met à jour en 1959 pour créer COBOL, un langage de programmation qui a été l’un des plus utilisés.
Ces figures de l’informatique sont hélas encore méconnues. Elles ont pourtant contribué au développement des technologies que nous utilisons quotidiennement aujourd'hui. Et ce sont peut-être elles qui ont donné envie à certaines femmes de se lancer dans le secteur dans les années 70. Car la part de femmes dans la tech évoluait au même rythme que dans les autres secteurs scientifiques à l’époque. Or, avec l’arrivée du micro-ordinateur dans les années 80, les publicitaires remarquent que beaucoup de garçons s’intéressent à ces outils et en font leur cœur de cible. L’ordinateur sera l’objet qui servira au père de famille dans sa gestion et qui permettra au jeunes garçons d’avoir un avenir… En quelques années, l’image caricaturale du geek se construit. Et à mesure qu’elle devient stéréotypée, les femmes abandonnent progressivement le secteur.
Une journée pour les femmes travaillant dans l’IT
En 2016, 33% des salariés du secteur du numérique étaient des femmes selon le Syntec Numérique. Une autre étude du cabinet Urban Linker indiquait un taux de 28% de femmes dans le numérique en général en 2017, seulement 16% dans la tech. La tendance est donc toujours à la baisse alors que le secteur recrute de plus en plus.
Des initiatives sont ainsi mises en place pour promouvoir ces métiers auprès de tous et plus particulièrement auprès des femmes. Le réseau EVE, par exemple, qui connecte des femmes entrepreneures ; l'association StartHer, et bien d'autres. C’est aussi le cas de la Journée de la femme digitale qui aura lieu le 17 avril.
Organisé depuis 2013 par Delphine Remy-Boutang et Catherine Barba, cet événement à « l’ambition de donner envie aux femmes d’oser, d’innover et d’entreprendre grâce au digital ». Durant une journée, de nombreuses personnes, surtout des femmes mais aussi des hommes, chefs d’entreprises, ingénieurs, etc., interviennent sur une thématique. Cette année « #ForABetterWorld, le temps de l’action » invite à agir pour créer un monde meilleur grâce à l’informatique. Les traditionnels prix Margaret seront décernés à une entrepreneure et une « intrapreneure ». De plus, les résultats d’une étude « Elles changent le monde » réalisée par La French Tech, Capgemini Consulting et la Journée de la femme digitale dans le but d’identifier les solutions concrètes aux freins et obstacles que peuvent rencontrer les femmes au cours de leur parcours professionnel, seront annoncés.
Besoin de modèles, de communication et d’éducation
Pour l’occasion, Le Monde informatique vous proposera des interviews avec cinq femmes travaillant sur ces secteurs pour leur demander comment donner envie aux femmes de réinvestir le monde informatique. A l’unanimité, nos interlocutrices parlent d’une nécessité d’avoir des rôles modèles. Des Ada Lovelace modernes qui cassent cette image du geek toujours trop présente. Un besoin d’une meilleure communication sur tous les débouchés qu’offre le milieu revient aussi souvent. Et bien sûr le besoin d’enseigner au minimum les rudiments techniques du développement à tous dans un monde où le numérique est omniprésent. Dans le secondaire mais pas seulement.
A partir du 17 avril, un portrait de ces femmes sera dressé régulièrement. Elisabeth Moreno, PDG de Lenovo France; Roxanne Varza, directrice de la Station F ; Anna Stépanoff, fondatrice de la Wild Code School et Laure de La Raudière, députée Agir La Droite Constructive d'Eure-et-Loir. Isabelle Collet, maîtresse d'enseignement et de recherche en sciences de l'éducation à l'Université de Genève (interview à venir). Voici quelques extraits choisis de nos entretiens que vous retrouverez dans les prochains jours.
Elisabeth Moreno : « Il faut avoir des rôles modèles féminins dans l’IT »
Elisabeth Moreno est PDG de Lenovo France depuis janvier 2017. (Crédit : Alexia Perchant pour LMI)
« Ce que j’ai envie de dire aux femmes c’est que ce monde du numérique a plus que jamais besoin d’elles. Nous sommes dans une véritable guerre des talents. Les Etats-Unis ont pris de l’avance avec leurs GAFA, l’Asie a pris de l’avance avec les BATX et l’Europe vivote et se cherche encore un peu. Et on ne peut pas se passer de la moitié des talents à un moment aussi critique que celui-ci. »
Roxanne Varza : « J'ai vécu des situations bien pires aux Etats-Unis et en Angleterre qu'en France »
Roxanne Varza consacre sa carrière à la promotion des start-ups informatiques. Elle dirige aujourd'hui la Station F, incubateur fondé en 2015 par Xavier Niel. (Crédit : Alexia Perchant pour LMI)
« Les mentalités évoluent beaucoup. Quand on a lancé l’association Girls in Tech en 2010 en France, c'était surtout parce que dans les conférences on ne voyait que des hommes. Il n’y avait presque pas de femmes qui prenaient la parole et les gens n’étaient même pas conscients que c’était un problème. Aujourd'hui j'ai l'impression que c'est un vrai sujet. Tout le monde est conscient du problème, tout le monde en parle. Il y a plein de soutiens qui sont proposés pour accompagner des femmes. Vraiment je pense que les choses ont changé mais de façon radicale en très peu de temps. »
Anna Stépanoff : « On peut se former au code à tout âge et même en étant enceinte »
Anna Stépanoff a fondé la Wild Code School en 2013. Elle la dirige depuis l'ouverture du premier campus en septembre 2014. (Crédit : Alexia Perchant pour LMI)
« Là où nous pensons pouvoir agir de manière plus efficace aujourd’hui, ce n'est pas forcément au niveau des écoles, des lycées parce que je pense que les représentations sont encore très très fortes à ce moment là, les gens ne sont pas prêts à changer. Par contre on peut récupérer les femmes entre 25 et 35 ans, quand elles ont fait le parcours initial dont elles avaient envie et où elles commencent à se dire “bon maintenant qu'est ce que je fais vraiment dans la vie pour construire une carrière professionnelle.” »
Laure de La Raudière : « Je ne peux pas imaginer que le monde de demain soit conçu et codé par 90% d’hommes »
Laure de La Raudière s'engage en politique en 2007. Députée de la troisième circonscription de l'Eure-et-Loir depuis cette date, elle a vu passer trois présidents différents. (Crédit : Alexia Perchant pour LMI)
« Comme les algorithmes d'intelligence artificielle vont gouverner le monde, si on veut un monde paritaire où la femme soit représentée, il faut 50% de femmes dans le milieu du numérique dans les postes de développements et de décision. Pas uniquement aux services RH, administratifs des entreprises. »
Isabelle Collet, maîtresse d'enseignement à l'Unige : « Femmes dans l'IT, nous aurons du mal à aller plus bas »
Isabelle Collet est maîtresse d'enseignement et de recherche en sciences de l'éducation Groupe relations interculturelles et forme les enseignants au genre dans l'éducation (Crédit : Grife-ge)
« Les quotas dans les processus de sélection des écoles permettront peut-être de faire monter le niveau, de faire rentrer des personnes qui ont été écartées pour des raisons qui n’ont rien à voir avec leurs compétences. Mais là, évidemment, ça crée un malaise parce que personne n’a envie de se dire qu’on est là grâce au fait que le système a écarté des personnes qui auraient peut-être été aussi bonnes que nous mais qui ont été découragées par un tas de phénomènes. Moi-même, je suis informaticienne quota et je suis sortie 4ème de ma promotion, a priori, je n’ai pas baissé le niveau de ma filière. S’il n’y avait pas eu de quota, est-ce que j’y serai rentrée ? Il faut considérer ces quotas comme des procédures de rattrapage permettant à des personnes de valeur, écartées pour de mauvaises raisons, de réussir. Ce n’est pas ma solution préférée, mais par contre, elle marche. »