CIO. En devenant DSI de Mitel Networks en 2014 via l'acquisition d'Aastra, vous avez hérité d'une structure informatique tentaculaire...
Oui, d'une part, l'entreprise avait acquis certains de ses concurrents. Mais elle s'était aussi engagée dans une stratégie visant à fournir des systèmes de communications unifiées (UCS) via le cloud, ce qui compliquait la situation. Les 3500 employés de Mitel, dont un grand nombre était arrivé par le biais des acquisitions d'Aastra Technologies, de Shoretel Networks et des activités de communications unifiées de Toshiba, travaillaient avec 18 systèmes ERP, 12 systèmes CRM, 5 systèmes RH plus d'autres logiciels en doublon. Pour fonctionner plus efficacement, une consolidation s'imposait. Mais chaque business unit souhaitait continuer à utiliser ses propres processus et outils technologiques. Tout le monde voulait maintenir ses usages ! Mais cette approche n'était pas un bon point de départ en raison de l'étalement IT qu'elle pouvait créer.
La méthode kaizen vous a séduit. Pourquoi ?
En effet, le système Kaizen m'a apporté des réponses pour entamer la rationalisation des processus d'affaires de Mitel. Le kaizen, qui signifie « amélioration » en sino-japonais, consiste à effectuer des déploiements par étapes, étalés dans le temps, plutôt que des changements de fond annuels. C'est à la fois une philosophie et un ensemble de pratiques centrées sur l'amélioration continue des processus, impliquant chaque employé, du sommet à la base. La méthode a été surtout utilisée par Toyota dans le cadre de ce que le constructeur automobile a appelé le Toyota Way. En adoptant le kaizen, Toyota a rapidement identifié les erreurs dans sa chaîne de montage, ce qui lui a permis d'améliorer continuellement ses pratiques de fabrication et d'accroître sa productivité.
Comment avez-vous procédé ?
Le kaizen implique généralement des réunions, appelées kaizens, qui permettent de s'assurer que tout le monde avance dans la même direction. C'est ce que nous avons fait avec le personnel de Mitel : des réunions fréquentes pour trouver des solutions à différents problèmes, par exemple le fait d'avoir cinq outils différents pour traiter une commande ou de multiples outils de collaboration pour partager l'information. Même notre CEO, Richard McBee, a participé à ces événements, ce qui montre à quel point l'entreprise a adopté la philosophie. Le CEO y croit et tout le monde, depuis le chef des ventes jusqu'au directeur financier, est partie prenante. Le kaizen accorde une importance particulière à chacun et tous les personnels doivent être impliqués.
La vice-présidente de Mitel chargée de la collaboration et des applications, Mona Abou-Sayed, a déclaré récemment dans un blog que les employés gaspillaient 15 % de leur temps en processus et en communications inefficaces...
Comme l'a rappelé Mona Abou-Sayed, ces dernières années, Mitel a utilisé le kaizen pour identifier les processus les moins efficaces et les outils de collaboration en nombres excessifs. Mona Abou-Sayed a dirigé les kaizens dans tous les secteurs fonctionnels, de la finance à la R&D et du marketing aux ventes. Mitel a suivi quatre étapes clés pour rendre le kaizen efficace. D'abord, l'entreprise faisait en sorte de réunir les bonnes personnes. Ensuite, lors des kaizens, les principaux intervenants faisaient un état des lieux de la collaboration, y compris les outils utilisés. Enfin, quand l'entreprise s'est dotée des bons outils, elle a développé sa propre application Teamwork pour organiser des réunions virtuelles par smartphone. Les kaisens ont aussi permis de planifier ses futurs objectifs de collaboration. Enfin, ils ont favorisé l'adoption d'une culture d'amélioration continue dans l'entreprise.
Quels ont été les effets de ces kaizens ?
Kaizen (et les kaizens associés) ont rapproché les salariés, jetant ainsi les bases du développement logiciel agile. Au final, Mitel a remplacé 18 systèmes ERP par une instance SAP globale, consolidé 12 systèmes CRM en une seule plate-forme Salesforce.com et ramené le nombre de portails clients de cinq à deux seulement. Je peux dire que le kaizen a été au coeur de chaque projet et de chaque programme. Je pense que l'approche agile basée sur kaizen sera bénéfique pour Mitel, qui compte réaliser une autre acquisition importante en rachetant Avaya Holdings. (En avril, le Wall Street Journal a rapporté que Mitel avait offert plus de 2 milliards de dollars en actions pour le très convoité leader mondial des solutions de Centres de contact).
Vous diriez que le Kaizen est la voie royale vers l'agilité ?
L'approche itérative de Kaizen se prête bien au développement de logiciels agiles. J'ai travaillé en étroite collaboration avec mes pairs pour amener Mitel plus rapidement vers les communications dans le cloud. Nous avons fermé des datacenters pour migrer nos produits de communication sur Amazon Web Services et Google Cloud Platform (GCP). Le partenariat avec GCP est particulièrement riche, Mitel exploitant ses systèmes de téléphonie VoIP et ses centres de contacts sur GCP. Mitel exploite également l'intelligence artificielle (IA) de Google, y compris un chatbot qui fournit des informations sur les produits et services aux clients qui en font la demande. Ce chatbot peut orienter les clients vers un agent humain, qui peut accéder au contexte complet de la conversation tout en consultant ce chatbot qui permet d'offrir un support continu.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Mitel prévoit également d'utiliser des capteurs IoT qui pourront alerter le personnel IT en cas de mauvais fonctionnement des produits UCS. Nous envisageons aussi d'adopter une approche plus automatisée et plus proactive afin d'éviter aux clients et aux employés d'avoir à demander de l'aide. L'intelligence artificielle et l'analyse des données recueillies par les capteurs permettront à Mitel de mieux comprendre comment les clients utilisent son équipement, et à quel moment engager une maintenance préventive avant que les systèmes ne tombent en panne.
Des conseils ?
En facilitant la transformation après autant de fusions et d'acquisitions, quatre étapes critiques m'ont permis de maintenir le cap : d'abord, faire participer les gens dès le début. Il est important que toute l'entreprise soit informée de l'évolution de la situation tout au long du processus ; ensuite, s'aligner sur les objectifs et établir des buts clairs. Des projets à long terme comme ceux de la transformation numérique nécessitent une collaboration continue ; synchroniser les efforts. Éviter le surcroît de travail (ou les chevauchements) en gérant les projets en flux parallèles ; enfin, toujours garder à l'esprit que la transformation doit bénéficier aux clients et aux partenaires. Ça peut paraître incroyable, mais il arrive qu'en fin de projets, des entreprises se demandent pourquoi elles ont initié telle ou telle transformation.