À l’heure de la pandémie, les technologies qui permettent aux entreprises d’ordonnancer leurs livraisons dans le monde entier ont sans nul doute leur heure de gloire. Face aux ruptures de produits ou de pièces détachées, beaucoup de sociétés se tournent vers le machine learning et les diverses solutions d’analyse de données pour franchir tous les obstacles placés sur leur route par le covid-19.
« Sur 100 managers de supplychain interrogés en juillet, 30 ont observé une chute drastique d’activité de leur entreprise et 30 autres ont constaté, au contraire, une explosion du volume d’affaire, observe Matthew Lekstutis, global lead de la transformation de la supplychain chez Tata Consultancy Services (TCS). Les organisations qui s’appuyaient jusque-là sur des moyennes et des tendances historiques voient leur modèle dériver inexorablement. Pour revenir dans la course, elles cherchent à s’appuyer sur des technologies comme les graphes ou le machine learning pour recalibrer les prévisions de vente, pour anticiper davantage, pour rendre leur supplychain plus agile et éviter un éventuel arrêt total de l’activité.
Jaguar révise ses prévisions avec des analyses par graphes
Pour limiter les perturbations dans ses prévisions de ventes, Jaguar Land Rover (JLR) a par exemple adopté des technologies analytiques. Chez l’industriel, les prévisions sont souvent calculées plusieurs années à l’avance pour donner très en avance aux centaines de fournisseurs de pièces détachées, les délais de fabrication les plus justes. Ces études permettent aussi à l’industriel d’assurer de façon contractuelle un minimum de volume de fabrication à ces mêmes partenaires. Mais comme le raconte Harry Powell, directeur data et analytics chez JLR, « le covid-19 nous a contraints à abandonner ces méthodes. Nous devons être plus agiles pour équilibrer offre et demande, car nous travaillons dans l’incertitude totale quant à la capacité de nos fournisseurs à fabriquer les quelque 30000 pièces détachées nécessaires à un constructeur automobile. »
L'industriel choisit le machine learning de Tigergraph
Pour réaliser une analyse plus adaptée de sa supplychain, l’entreprise a décidé de s’appuyer sur des technologies de graphes. Ceux-ci savent corréler des données et identifier des relations entre entités dans de multiples sources complexes, y compris des données sur les prévisions, sur la supply chain, sur les pièces détachées et sur la configuration des véhicules. Les analyses par graphes aident à trouver des connexions entre ces informations difficiles à découvrir avec des méthodes classiques de requête dans les bases de données relationnelles.
JLR a choisi la startup Tigergraph dont le logiciel déploie des requêtes sur des données issues de systèmes très variées, du mainframe à l’ERP en passant par les applications industrielles. L’industriel a combiné 12 sources de données dans un graphe équivalent à 23 tables de bases relationnelles. Certaines corrélations lui ont permis de mesurer ce qu’il pouvait exactement fabriquer avec les pièces à disposition. Et l’analyse a pris moins de 45 minutes contre des semaines avec les systèmes relationnels, selon Harry Powell. JLR aurait ainsi évité plusieurs millions de dollars de pénalité pour ne pas avoir assuré suffisamment de volume à ses fournisseurs.
Dans un secteur tout à fait différent, les produits d’hygiène corporelle ont fait partie des plus recherchés par les consommateurs depuis les débuts de la pandémie. Face à l’explosion de la demande, Colgate Palmolive a fait appel à la solution de machine learning d’Augury pour assurer l’approvisionnement des points de vente en dentifrice de ses marques. Le logiciel travaille avec les données prélevées par les capteurs Bluetooth qui surveillent les 2000 machines de fabrication des tubes et autres produits d’hygiène bucco-dentaire chez l’industriel. « Cette démarche vise à repérer et éliminer les défauts potentiels dans les lignes de production susceptibles d’interrompre la fabrication avec des pertes de plusieurs milliers de dollars à la clé, » explique Warren Pruitt, vice-président responsable de l’ingénierie globale chez Colgate.
192 heures d'arrêt de production évité chez Colgate
Le machine learning a par exemple alerté l’entreprise d’une augmentation anormale de la température du moteur d’entrainement sur un équipement de fabrication de tubes. L’équipe de production a diagnostiqué un problème dans le système de refroidissement à eau et l’a résolu, empêchant ainsi une panne et une interruption de la ligne. « L’opération a évité 192 heures d’arrêt et un déficit de fabrication de 2,8 millions de tubes de dentifrice, chiffre Warren Pruitt. Sans oublier 12 000 dollars pour l’achat d’un nouveau moteur et 27 000 dollars de couts divers associés à cette transition. » À une autre occasion, le machine learning a prévenu les employés de problèmes structurels et opérationnels sur la boîte de transmission d’une machine à liquide. L’équipe a pu remplacer la pièce avant une défaillance.
« À la différence des routines de vérification préprogrammées, cette méthode digitale diagnostique les problèmes en amont, permet de les régler rapidement et minimise les temps d’arrêt, poursuit Warren Pruitt avant d’oser une comparaison médicale. Je préfère porter un appareil de surveillance du glucose plutôt que d’attendre qu’un médecin découvre lors d’une visite que je souffre d’un déséquilibre ! » Pour le responsable de l’ingénierie globale, Colgate aurait sans doute pu concevoir seul ce genre de plateforme, mais cela aurait pris des années même en recrutant les ingénieurs et les data scientists nécessaires au projet.
La supply chain agile, une arme concurrentielle
Ces technologies ont aidé Colgate à gonfler ses volumes de production dans la situation de pandémie. Le succès obtenu conduit aujourd’hui l’industriel à déployer la plateforme d’Augury dans toute sa supply chain, y compris pour sa marque d’alimentation animale Hill’s, et dans ses sites de production indiens et chinois. Enfin, Walter Pruitt voudrait combiner Augury avec les jumeaux digitaux des usines Colgate afin de déterminer sur quel site telle ou telle formule de produit s’épanouira le mieux.
Les déploiements chez JLR et Colgate montrent qu’il est possible de se lancer dans l’innovation de rupture. « La clé réside dans l’utilisation du machine learning et d’analytiques pour éliminer la latence dans l’accès aux données qui contraint la plupart des supply chains, explique Matthew Lekstutis de TCS. Il s’agit d’aider les entreprises à augmenter leur production dans des situations comme la pandémie, sans dommage. Plus on obtient une information tôt dans le processus, plus on peut rapidement adapter la supplychain. Et une supply chain agile et résiliente est une véritable arme concurrentielle ! »