Les députés voient le Web comme le grand argentier de la télévision publique. Les édiles, qui ont entamé hier l'examen du projet de loi sur le « nouveau service public de la télévision », envisagent de compenser en partie l'arrêt de la publicité sur les chaînes publiques en taxant les acteurs du Web. La problématique de la ministre de la Culture, à l'origine du projet de loi, est simple : comment financer France Télévisions quand les rentrées publicitaires auront disparu ? Le président de la République a rapidement apporté un premier élément de réponse en indiquant que les chaînes privées seraient taxées sur leurs revenus issus de la publicité. Mais il prévoyait aussi de prélever 0,9% du chiffre d'affaires des fournisseurs d'accès à Internet et des opérateurs mobiles. Un taux que les députés pourraient moduler en fonction des revenus des entreprises considérées. La redevance pour les abonnés aux FAI [[page]] L'idée consistant à se reposer sur l'argent généré grâce au Web ne s'arrête cependant pas aux FAI. Plusieurs amendements ont en effet été déposés, qui prévoient de multiplier les sources de financement en provenance d'Internet. Les amendements 660 et 771, concoctés par Jean Dionis du Séjour, suggèrent ainsi d'étendre la redevance audiovisuelle aux internautes qui reçoivent des chaînes de télévision via leur FAI. Le député du Nouveau Centre parle « d'injustice fiscale » et estime qu'il est « anormal que des personnes privées qui ont contracté un abonnement avec un FAI et qui ont accès aux programmes des services nationaux de télévision grâce à leur ordinateur ne soient pas assujettis à la redevance. » La mesure serait susceptible de rapporter quelque 50 M€ à l'Etat et « permettrait de baisser le montant des taxes » touchant les chaînes privées. Proche de Nicolas Sarkozy, le député UMP Frédéric Lefebvre, également porte-parole du gouvernement, y va également de son amendement. Un texte qui n'a pas manqué de susciter aussitôt des levées de boucliers. L'édile propose en effet, via l'amendement 844, de taxer les sites Web proposant des contenus générés par les internautes. Frédéric Lefebvre, qui justifie son idée par un « souci de cohérence et d'équité », estime que « les services qui fournissent, dans un but commercial, des contenus audiovisuels à la demande, même à titre secondaire, soient soumis à une contribution. De même pour les services qui assurent un agencement éditorial de contenus générés par les internautes. » Un projet de loi en contradiction avec le Plan numérique 2012 Face à cette proposition, l'Asic (Association des services Internet communautaires) s'étrangle d'indignation. Giuseppe De Martino, le président de l'association, également directeur juridique et réglementaire de Dailymotion, évoque le « syndrome Asterix » : « Il n'y a qu'en France qu'on demande à Internet de financer la télévision. Comment en 2008, un mois après le Plan numérique 2012, peut-on encore considérer Internet comme une vache à lait plutôt que comme un vivier d'emplois, de développement, etc. ? » Le Pan numérique, présenté le mois dernier par Eric Besson, prévoit 150 mesures destinées à doper la croissance de la France grâce à l'usage des TIC. Il suggère notamment de relier 100% des ménages au haut débit, de mettre en place un référentiel des bonnes pratiques numériques, de réduire la fracture numérique, etc. Le directeur juridique de Dailymotion, abasourdi par tant de contradictions entre le contenu du plan - rédigé à la demande de l'Elysée - et le chemin que s'apprêtent à suivre les députés, brandit la menace, certes rhétorique, de l'exil : « Mon président, qui est Anglais, me demande pourquoi on reste dans un pays qui n'a pas compris, qu'en tant que deuxième site français au monde, on pouvait apporter quelque chose... » L'Asic, qui a fait part de ses récriminations aux cabinets de plusieurs ministères et à nombre de députés, envisage, si la loi finale confirme l'amendement honni, « de mobiliser tout le monde, de faire appel aux internautes pour qu'ils sollicitent leurs députés et leurs sénateurs, et d'en appeler à Bruxelles. » Les portails Internet, autre source de financement de la télé publique [[page]] Enfin, les portails Internet constituent également une source de financement potentielle pour la télévision publique. L'amendement 645, déposé par plusieurs députés de gauche, estime que « les grands bénéficiaires de l'arrêt de la publicité sur les chaînes publiques pourraient être les éditeurs de services de communication au public en ligne, et notamment les grands portails Internet. » Les élus du Palais Bourbon reprennent donc l'argument de l'équité, cher à Frédéric Lefebvre, pour demander la contribution de ces acteurs à l'audiovisuel public. Celle-ci, d'une « hauteur raisonnable », consisterait en une taxe de 3% « applicable au-delà d'un seuil de 10 M€ de recettes publicitaires. » Les débats à l'Assemblée nationale doivent se poursuivre jusqu'au 4 décembre. Le projet de loi, pour lequel le gouvernement à déclaré l'urgence, sera ensuite examiné par le Sénat. Chaque chambre ne procèdera qu'à une seule lecture avant qu'une commission mixte paritaire ne soit, éventuellement, chargée d'élaborer un texte de compromis.