La Chine deviendra, en 2025, la première puissance mondiale dans les domaines et usages de l’intelligence artificielle (IA). Pourquoi ? Comment ? Avec quelles conséquences ? Depuis une petite dizaine d’années, avec l’arrivée des solutions de clouds publics, la puissance de calcul et les capacités de stockage de données nécessaires pour l’exploitation opérationnelle de ces modèles, et en particulier du machine learning » (ML) sont disponibles. AWS, Google et Microsoft proposent des solutions logicielles « clé en main » qui permettent à des ingénieurs logiciels de bon niveau d’utiliser des outils de ML, sans avoir besoin d’être titulaire d’un doctorat en IA. Tensorflow et Caffe en sont deux exemples.
Les années 2007 - 2017 ont vu les solutions de clouds publics prendre le pouvoir, pour les infrastructures IaaS, les usages SaaS et les développements PaaS. Ces plateformes sont aussi devenues un préalable à tout usage d’Intelligence Artificielle. En 2019, les entreprises qui ont raté le virage du cloud public, et elles représentent encore la majorité, seront dans l’incapacité totale de profiter des potentiels de l’IA.
2019 - 2025 : les clés de la réussite en Intelligence Artificielle se trouvent… en Chine
La première vague d’innovation en IA, entre 2010 et 2017, était portée par la mise au point des modèles et de fortes compétences en recherche et en cloud public. Les Etats-Unis, avec leurs universités et leurs entreprises de l’Internet, avaient un avantage majeur et ont pris de l’avance, souvent aidés par des compétences venues d’Europe.
Nous rentrons, en 2019, dans la deuxième étape de l’IA : la mise en œuvre et le déploiement de solutions opérationnelles dans tous les métiers. La Chine dispose de quatre atouts majeurs pour prendre le leadership de cette deuxième vague de l’IA : les données, des milliers d’entrepreneurs, des ingénieurs compétents en grand nombre et le soutien actif du pouvoir politique. C’est ce qu’explique très bien dans son livre « AI Super Powers », Kai-Fu Lee, qui a travaillé aux Etats-Unis chez Apple et Microsoft, est devenu président de Google en Chine avant de créer Sinovation, société d’investissement dans des futurs géants de l’IA en Chine,
Les données : « La Chine est l’Arabie Saoudite des données ». Cette phrase, extraite du livre de Kai-Fu Lee, résume très bien la situation. Baidu, Alibaba et Tencent disposent de plus de données que les Etats-Unis et l’Europe réunis. Les modèles de Machine Learning ont besoin de beaucoup de données, et ils les ont en Chine. C’est particulièrement vrai avec les deux leaders du paiement par mobile, AliPay et Tencent. Les Chinois font 50 fois plus de paiements par mobiles que les Américains ; ceci permet à Alibaba et Tencent de tout savoir sur les habitudes de centaines de millions de Chinois, dans leurs activités Internet et dans le monde physique.
Des entrepreneurs « gladiateurs » : les entrepreneurs chinois de l’Internet et de l’IA ont une mentalité de combattants “à la vie à la mort” que l’on ne rencontre ni en Europe ni aux Etats-Unis. Ils recherchent un domaine précis d’action pour gagner beaucoup d’argent, sans hésiter à copier et attaquer leurs concurrents, comme l’a fait Tencent dans le paiement par mobile pour contrer AliPay d’Alibaba. En 2017, 48% des investissements dans des startups de l’IA ont été réalisés en Chine, plus qu’aux USA.
Des ingénieurs en IA, compétents, en grand nombre : dans la phase deux de l’IA, on a moins besoin de “chercheurs d’élite” et plus d’un très grand nombre d’ingénieurs de haut niveau capables de mettre en pratique les meilleures solutions logicielles en IA. Les universités chinoises en produisent des dizaines de milliers tous les ans.
Un soutien politique fort : Xi JinPing, le président de la Chine, et tous les pouvoirs régionaux soutiennent massivement les investissements dans l’IA. Plusieurs milliers de « Silicon Valley de l’IA » ont été ouvertes en Chine ; beaucoup seront des échecs, mais des dizaines vont réussir et créer des pôles de compétences très compétitifs.
Dans les cinq années qui viennent, ce ne sont pas les technologies de l’IA qui vont faire la différence, ce sont leurs usages généralisés dans tous les métiers : banques, industries, assurances, automobile, santé, gouvernement, éducation, défense... La Chine est en situation de se créer, localement, des avantages concurrentiels majeurs. Ceci permettra ensuite aux entrepreneurs chinois d’attaquer tous les autres marchés mondiaux en s’appuyant sur cette base locale. Oubliés, les avantages de la Chine liés à des ressources humaines nombreuses et peu coûteuses, c’est sur l’IA que ce pays va s’appuyer pour conquérir le reste du monde.
Un exemple récent, parmi d’autres : AliPay vient de signer, pour 200 M$, un accord avec l’UEFA pour devenir leur partenaire financier pendant les 8 années qui viennent. Quand on sait qu’AliPay a 700 millions de clients, plus que toute la population des Etats-Unis et de l’Europe réunis, les banques américaines et européennes, les sociétés comme Visa ou MasterCard doivent se préparer à une offensive majeure sur les paiements par mobiles. Sont-elles prêtes ? J’en doute.
Quel panorama pour l’intelligence artificielle en 2025
La Chine sera loin devant, avec une croissance exponentielle des solutions, des données et des usages de l’IA dans toutes les activités économiques. Ce mouvement a déjà commencé et on se trouve face à une situation où les leaders mondiaux, chinois, seront bien placés pour ne laisser que des miettes aux acteurs locaux.
Les Etats-Unis seront en deuxième position, et perdront rapidement du terrain. Le « laissez-faire politique », la non-compétence et le non-intérêt de Donald Trump pour ces sujets, l’éparpillement des données entre de trop nombreux acteurs (Google, Facebook, Apple, les banques…) ne permettront pas à ce pays de rester en tête de la course.
L’Europe et le reste du monde : si rien ne change, et très vite, ces pays en seront réduits à déployer des solutions et des usages métiers d’Intelligence Artificielle venant de Chine et, dans une moindre mesure, des Etats-Unis.
En vous proposant de réécrire l’histoire, en identifiant les trois âges de la « colonisation », je m’expose à des critiques très fortes, mais je suis prêt à les affronter !
Le monde aura connu trois époques “coloniales”
- 200 ans de colonisation industrielle : l’Europe domine le reste du monde.
- 20 ans de colonisation Internet et cloud : les Etats-Unis domine le reste du monde.
- 5 ans de colonisation Intelligence Artificielle : la Chine domine le reste du monde.
Cette troisième époque démarre en 2019 ; peut-on encore l’éviter ?
IA : quelles options pour l’Europe et la France
L’Europe n’a aucune chance de survie dans un monde ou l’IA sera omniprésente si chaque pays y va séparément. L’Europe a déjà échoué dans le domaine du cloud public, ce n’est pas le moment de recommencer dans l’IA !
Je vous propose trois axes d’action :
1 - Une mobilisation immédiate, avec des actions fortes en 2019. Nous n’avons plus le temps de lancer de sympathiques réflexions sur le sujet comme l’a fait la France avec le rapport préparé par Cédric Villani, devenu depuis… candidat à la mairie de Paris !
2 - Libérer les données en Europe : l’Europe a inventé la meilleure arme pour faire échouer l’intelligence Artificielle avec le... RGPD. Cette « babélisation des données », cette incapacité à les utiliser pour des applications innovantes « non prévues » prive l’Europe de la principale ressource nécessaire au succès de l’IA, des données partagées par tout le monde.
3 - S’allier immédiatement avec les géants américains du cloud et de l’IA, AWS, Google et Microsoft, pour essayer de construire, ensemble, un front commun et retarder le plus possible l’hégémonie de la Chine en IA.
Nous en sommes très loin, hélas !!! L’Europe mène trop de combats d’arrière-garde, qui vont lui faire perdre la seule guerre qui compte. Je suis très inquiet quand je vois nos grands esprits se réjouir quand on fait des procès à Facebook ou autres pour manquement à leurs obligations sur le RGPD. Je suis très inquiet quand je constate encore un refus d’accepter le leadership des Etats-Unis dans le cloud. Continuons comme cela pendant 5 ans et… nous aurons définitivement perdu la guerre mondiale de l’IA !
Et si ce combat pour l’IA était encore plus urgent que celui contre le réchauffement climatique ?