Deux ans après l'incendie qui a ravagé le datacenter SGB2 d'OVH à Strasbourg, les décisions de justice commencent à tomber. Le Tribunal de Commerce de Lille Métropole a ainsi rendu son jugement après avoir été saisi par Bati Courtage qui a perdu de nombreuses données dans ce sinistre. Spécialiste dans le courtage de travaux et à la tête d'un réseau commercial d'entrepreneurs indépendants, cette société avait souscrit auprès du fournisseur roubaisien un contrat de location de serveur virtuel, VPS. Mais également une option complémentaire de sauvegarde automatisée pour préserver et récupérer des données du serveur dédié.
Suite à l'incendie survenu dans le datacenter d'OVH dans la nuit du 9 au 10 mars 2021, les sites Internet de Bati Courtage ont été rendus inaccessibles, impactant aussi bien l'activité de ses clients directs que de ses franchisés. Des moyens financiers et humains ont alors été engagés pour tenter de reconstituer dans l'urgence les sites à partir de données antérieures que la société avait conservées. Celle-ci a aussi sollicité à de nombreuses reprises OVH pour récupérer ses données pour relancer son activité. Problème : les données souscrites dans l'option back-up du fournisseur ont elles aussi été totalement et irrémédiablement perdues. « Les sauvegardes étaient stockées dans le même bâtiment que celui où se trouvait le serveur principal intégralement détruit par l'incendie », peut-on lire dans le jugement du tribunal.
Des réplications de sauvegardes au même endroit que les données principales
Suite à cet incident, Bati Courtage a assigné OVH devant le Tribunal de Commerce de Lille Métropole le 19 juillet 2021 en lui réclamant plus de 6,5 M€ au titre de préjudices subis. Après une succession de 8 renvois, l'affaire a finalement été plaidée le 17 novembre dernier puis mise en délibéré ce 26 janvier. Et Bati Courtage a obtenu gain de cause, le tribunal ayant pris en compte le fait que la société avait bien souscrit une option de sauvegarde automatique, mais la juridiction n'a pas retenu contre OVH l'argument de la faute lourde ou de graves manquements à la sécurité anti incendie du datacenter de Strasbourg. Pour autant, la firme roubaisienne a été épinglée par le tribunal par le fait que la présentation commerciale de son option de sauvegarde ne correspondait pas à celle souscrite par Bati Courtage, et a été créée ou modifiée postérieurement à l'incendie et à la souscription de l'offre.
« Nulle part le terme de sauvegarde locale n'est mentionné. Nulle part il est indiqué explicitement ou implicitement que les sauvegardes seront stockées au même endroit ou dans le même datacenter que les données du serveur principal. Bien au contraire, le contrat OVH relatif à la sauvegarde automatique stipule qu'une sauvegarde du serveur VPS est planifiée quotidiennement, exportée puis répliquée trois fois avant d'être disponible dans l'espace client, et que l'espace de stockage alloué à l'option back-up est physiquement isolé de l'infrastructure dans laquelle est mise en place le serveur VPS », indique la décision. « La formulation "physiquement isolée" de l'infrastructure dans laquelle est mise en place le serveur VPS ne laisse aucune place au doute sur le fait que ces données seront stockées dans un espace physiquement différent du serveur où sont stockées les données principales ». Et de poursuivre, « en stockant les 3 réplications de sauvegardes au même endroit que le serveur principal, la SAS OVH n'a pas respecté ses obligations contractuelles vis-à-vis de la SAS France Bati Courtage [...] En conséquence le Tribunal dit que la SAS OVH a commis un manquement contractuel à l'obligation la liant à la SAS France Bati Courtage qui est ainsi fondée à demander réparation à la SAS OVH des préjudices résultant de ce manquement ».
Une condamnation à plus de 100 000 €
OVH est donc condamné à payer à Bati Courtage à 38 530 € pour l'indemnisation de son préjudice financier pour l'année 2021, 26 472 € au titre du préjudice pour perte d'un actif incorporel, 20 000 € pour atteinte à l'image, 9 100 € pour les travaux de restitution d'un hébergement, des données et des sites. Ainsi que 7 000 € à titre d'indemnité en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Contactés par la rédaction pour réagir suite à ce jugement, ni Bati Courtage, ni OVH - qui pourrait interjeter appel - n'ont répondu pour l'instant à notre sollicitation. A noter qu'une procédure en action collective est toujours en cours sur cette même affaire.