Depuis le début du mois, le sort s'acharne sur Huawei. Et ce n'est manifestement pas fini : selon un article de Reuters, confirmé par les deux entreprises, Google se prépare à interdire tout bonnement au fabricant chinois de smartphones d’utiliser sa licence Android. Ce qui signifie que les futurs mobiles Huawei (comme le prochain Mate 30) ne pourront pas utiliser le Play Store et les applications et services populaires de Google.
Cette nouvelle, explosive survient quelques jours à peine après la signature par Donald Trump d’un décret présidentiel interdisant aux entreprises américaines d'utiliser du matériel de télécommunications fabriqué par des entreprises qui « présentent un risque pour la sécurité nationale ». Même si le décret ne cible pas directement Huawei, le département du Commerce a immédiatement ajouté le nom de Huawei à sa liste, interdisant ainsi au fabricant chinois d'acheter des pièces et des composants à des entreprises américaines sans l'approbation explicite du gouvernement. Combinées ensemble, ces deux mesures font qu'il est extrêmement difficile pour une entreprise américaine d’entretenir une relation commerciale avec Huawei.
D'où la décision rapide de Google. D’une part, le géant technologique a assuré aux utilisateurs de Huawei qu’ils recevraient des mises à jour pendant 90 jours encore. Il a aussi déclaré dans un communiqué qu’il ne faisait que « se conformer au décret présidentiel et en examiner les conséquences », mais que les enjeux ne pouvaient être plus importants. Quand les choses se seront tassées, Huawei ne sera peut-être pas le seul à subir des changements durables : Google, Android et tout l’environnement du smartphone pourraient également être modifiés de manière irréversible.
Beaucoup d'options, peu de réponses
L’interdiction pour Huawei d’utiliser la licence de Google, si elle se confirme, aura évidemment un impact énorme sur les appareils actuels et futurs du constructeur chinois. Même si le contrat de licence n'affecte pas le système d'exploitation principal, couvert par le projet Android Open Source et dont l'utilisation est gratuite pour tous, Google facture l’usage du Play Store et de sa suite d'applications (Gmail, Maps, YouTube, etc.) pour les mobiles commercialisés en Europe.
Huawei a plusieurs options pour l’après Google, mais aucune ne sera facile. (Crédit : D.R.)
Étant donné que pratiquement tous les fabricants de smartphones vendent leurs produits en Europe, la perte de cette licence pose un sérieux problème au constructeur chinois. Essentiellement, Huawei a trois solutions : conserver le framework EMUI existant, à condition de supprimer toute trace de Google et de les remplacer par ses propres applications et sa propre boutique ; s’associer à une boutique d'applications de tierce partie comme Aptoide ; développer un tout nouveau système d'exploitation qui n'est pas basé sur Android.
Aucun de ces choix n'est facile. Second fabricant de smartphones au monde après Samsung, le catalogue de Huawei comporte des dizaines de téléphones différents. Un changement d'une telle ampleur nécessiterait de repenser radicalement chaque étape du processus : conception, ingénierie, marketing, prix, et plus encore. Mais, si l'une de ces options marche, Huawei pourrait devenir le premier véritable concurrent de iOS et d'Android, et porter un coup sérieux à la domination de Google.
L'EMUI en dernier recours
S’il décide de préserver son système d'exploitation EMUI et d’en extraire les applications, les services et le Play Store de Google, Huawei devra soit développer sa propre boutique d'applications, soit s'associer avec une boutique existante. Évidemment, toute tentative de reproduire l'expérience Android-Google actuelle sans des pivots comme Maps et YouTube se traduirait presque certainement par une moins bonne expérience que l’offre actuelle et un catalogue d'applications beaucoup plus restreint. Certes, les téléphones sont capables de faire beaucoup de choses, mais Android et iOS s'appuient sur des développeurs tiers pour augmenter leurs capacités. En repartant de zéro, ou presque, Huawei serait très désavantagé.
La montre connectée Watch GT de Huawei tourne sur un système d'exploitation propriétaire qui pourrait servir de base à un OS pour smartphone. (Crédit : Huawei)
Le scénario le plus probable, c’est que Huawei fera cavalier seul. La Watch GT, qui utilise le système d'exploitation propriétaire Lite OS au lieu de Wear OS donne une idée de la force de l’ingénierie du constructeur. L’OS est assez bon, même sans applications tierces. Bien sûr, tous les mobiles de Huawei ont besoin de s’appuyer sur de bonnes applications pour s’imposer commercialement. Lite OS montre que Huawei pourrait construire un système d'exploitation alternatif intégré avec ses propres services et éviter ainsi l’imitation bon marché. WeChat, basé en Chine, offre déjà une plate-forme dans une plate-forme qui fournit la messagerie, les appels vidéo, les paiements de jeux et la cartographie dans une seule app de type lanceur. Huawei pourrait développer quelque chose de similaire pour ses téléphones, en renonçant à l'environnement traditionnel basé sur des applications et offrir quelque chose d'entièrement nouveau.
Si Huawei avait la taille d'Oppo ou même de Xiaomi, il pourrait sans problème créer son propre fork Android. Comme l’a montré Amazon avec ses tablettes Kindle Fire, il est tout à fait possible de développer un fork Android en se passant de Google, et même de créer une niche avec son propre app store. Sauf que, si une entreprise aussi gigantesque que Huawei faisait un choix similaire, cela pourrait ébranler tout l'univers du smartphone.
Opération « tuer le géant »
Huawei compte déjà des millions de fans dévoués partout dans le monde. Si ces derniers réalisent soudain que Google n'est pas essentiel à l'expérience Android sur leurs téléphones, le géant technologique va avoir du mal à maintenir sa domination dans l'espace mobile. Oui, Google contrôle toutes les cartes, mais Huawei est déjà un leader en Chine, où il fabrique ses propres puces et modems, et il a enrichit Android de nombreuses fonctions.
Le Mate X de Huawei pourrait tout changer. (Crédit : Adam Patrick Murray/IDG)
Et n'oublions pas ce qui se passe en coulisses : Huawei prépare son premier téléphone pliable, le Mate X. Il est probable que le constructeur travaillait avec Google pour résoudre des problèmes particuliers d’UI avant sa sortie, prévue dans un avenir proche. Mais désormais, Huawei pourrait s’appuyer sur ce mobile très attendu pour présenter ses innovations matérielles et logicielles. D’autant que, après l’échec du Galaxy Fold, il n'a plus de raison de se précipiter.
Si le géant des smartphones Huawei parvient à se séparer de Google et d'Android sans ébranler sa base, tout le paysage du smartphone en sera transformé. Android ne contrôlerait plus 80 % du marché mobile. Samsung pourrait faire de même avec Tizen OS. Google aurait soudain d’autres rivaux qu'Apple à surveiller. Avec sa base de fans et son énorme croissance, Huawei a les moyens de survivre sans Google. Que le constructeur chinois opte pour un fork Android sans Google ou décide de se lancer dans l’aventure d’un nouvel EMUI, l’enjeu dépasse le seul avenir de Huawei.