Hadopi : coup de théâtre à l'Assemblée, les députés rejettent le texte de la CMP
Coup de théâtre à l'Assemblée, les députés rejettent le texte de la CMP (commission mixte paritaire Assemblée Nationale-Sénat). Un tel rejet, à ce stade de la procédure, d'un texte d'origine gouvernemental est inédit sous la Cinquième République.
Il ne devait s'agir que d'une formalité, une dernière étape formelle avant l'adoption définitive de la loi Création et Internet par le Parlement. Mais les députés en ont décidé autrement et ont joué un tour dont la majorité présidentielle se souviendra certainement longtemps. Les élus du Palais Bourbon ont en effet rejeté, à la mi-journée, le texte de compromis rédigé et approuvé mardi par la Commission mixte paritaire. Sur les 36 élus présents dans l'hémicycle, 21 se sont prononcés - à main levée - contre le projet de loi, chamboulant ainsi la volonté du gouvernement de mettre en place une riposte graduée pour sanctionner le téléchargement illégal.
Si la droite a reçu un sérieux coup de massue - c'est, de mémoire de député, la première fois qu'un texte issu d'une CMP est retoqué - elle tient néanmoins à minimiser l'événement. De fait, ce séisme ne serait que la conséquence d'une fourberie des élus de gauche. Joint par LemondeInformatique.fr, Frédéric Lefebvre, absent lors du vote, relate : « J'étais dans l'hémicycle quand les débats ont commencé et je suis intervenu vers 12 heures. Je suis ensuite parti pour présider les ateliers du changement à l'UMP. Mes collègues, joints par téléphone vers 14h45, m'ont raconté que le PS avait fait une manoeuvre d'obstruction en planquant une dizaine de députés dans les couloirs. Le président de la séance étant socialiste, il a pris acte que le dernier orateur prévu - lui aussi socialiste - renonçait à son intervention et a procédé au vote. Les élus PS sont alors entrés dans l'hémicycle, créant ainsi une majorité artificielle. C'est un procédé dilatoire, peu ragoûtant, comme le PS sait le faire. Les Socialistes ont fait un coup, mais ils ne gagneront que quelques semaines car le gouvernement va réinscrire le texte à l'ordre du jour. »
« Beaucoup de députés UMP ne veulent pas de cette loi »
Contacté par la rédaction, Olivier Henrard, le conseiller technique de Christine Albanel, rapporte la même version. « Les députés socialistes étaient planqués dans les couloirs et sont sortis quand le président a appelé le vote. Ca ne grandit pas le PS. » Comme Frédéric Lefebvre, le juriste retient davantage le retard occasionné par l'incident du jour que l'expression d'un rejet plus profond, sur le contenu même du projet de loi : « Ce n'est qu'une péripétie, une comédie de couloir, qui ne reflète pas la position de fond de l'Assemblée. » Officiellement donc, la majorité ne prend pas ce revers comme une défaite et assure que le texte sera représenté. « L'Assemblée va reprendre le projet tel qu'il était avant son examen par la CMP, puis ce sera au Sénat de le réexaminer, suivant la procédure classique de la navette parlementaire. »
Toute la droite n'est cependant pas sur la même ligne. Nicolas Dupont-Aignan est l'un des deux députés de la majorité, avec Jean Dionis du Séjour, à avoir voté contre le projet de loi ce matin. Au MondeInformatique.fr, Nicolas Dupont-Aignan dit être « très heureux d'avoir contribué à la défaite de la loi ». Le député ne mâche pas ses mots pour décrire les laudateurs de la loi Création et Internet, et en particulier ses collègues dans l'hémicycle et le gouvernement : « La droite épouse le corporatisme des majors et le showbiz des artistes. Ce sont des gens qui défendent des intérêts privés et embarquent les artistes dans une mauvaise galère. » Pourtant, tous les députés du groupe majoritaire ne seraient pas favorables au projet concocté par le ministère de la Culture, explique-t-il. « Il n'est pas innocent qu'il y ait eu aussi peu de députés de l'UMP ce matin. Beaucoup ne veulent pas de cette loi. C'est pour cette raison que le gouvernement a instauré une procédure d'urgence, pour éviter le débat public et les voix discordantes. »
« Christine Albanel a fait naître le trouble dans ses propres rangs »
[[page]]Pour Jean Dionis du Séjour « tout le monde avait le sentiment que la messe était dite. Mais les orateurs ont été contrariés par ce qu'il s'est passé à la CMP. De l'amertume a été ressentie après le rétablissement de la double peine. Cet accident parlementaire n'est donc pas qu'un hasard et reflète un malaise plus profond. Le gouvernement a trop écouté le monde de la culture. » Quant à la manoeuvre dilatoire des députés socialistes dénoncée par Frédéric Lefebvre, Jean Dionis du Séjour ne s'offusque pas : « L'UMP fait systématiquement cela. Où étaient les députés de l'UMP ce midi ? C'est plutôt bien joué de la part des socialistes et si cela permet de corriger, lors du réexamen du texte, deux ou trois positions maladroites, ce sera très bien. »
Enfin, à gauche, le rejet du texte est largement apprécié. Martine Billard, députée des Verts, confie au MondeInformatique.fr une version des faits différente de celle présentée par Frédéric Lefebvre, absent de l'hémicycle lors du vote. « Christine Albanel parlait, parlait, comme si elle cherchait à gagner du temps pendant que des assistants essayaient de contacter les députés de droite pour qu'ils rejoignent leur siège. Puis il a bien fallu passer au vote. Des élus de gauche attendaient le débat suivant, ils sont alors entrés dans l'hémicycle et ont pris part au scrutin. L'UMP aurait pu faire pareil mais l'absence des élus de la majorité note en réalité un malaise sur la double peine. Christine Albanel n'a rien voulu entendre, a voulu aller jusqu'au bout et a fait naître un trouble dans ses propres rangs. »