Dans le cadre de notre grand théma « L'entreprise data driven », nous avons voulu comprendre concrètement comment les entreprises passent d'une exploitation très linéaire de la data, à une véritable stratégie susceptible d'accompagner leur développement. Dans la première émission tirée de notre matinée, nous avons ainsi reçu l'opérateur de transports publics Transdev et l'industriel minier et métallurgique Eramet, deux groupes internationaux au CA de plusieurs milliards d'euros. Ces deux géants internationaux, à l'organisation décentralisée, ont déployés des data offices avec des relais locaux, afin de déployer des projets le plus près possible des métiers.
« Nous opérons dans 19 pays et 7 zones géographiques conséquentes, avec quelque 16 modes de transport différents, précise ainsi Laurent Verhoest, chief digital et technical officer de Transdev Group. L'entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 7,7 md€ en 2022 pour un effectif d'environ 100 000 personnes. « Pour autant, l'autonomie dans l'entreprise descend au niveau du contrat, poursuit le CDO. Avec une maturité des équipes très hétérogènes en matière de data, en fonction des régions, des métiers. » Pour devenir data driven, autrement dit pour « transformer la data en action » comme le définit Laurent Verhoest, Transdev a mis en place un data office au niveau du groupe, décliné dans ses différentes zones géographiques. « Le data office France est d'ailleurs un beau succès organisationnel, insiste-t-il. Il a vraiment pris son envol et avance maintenant de façon tout à fait autonome en lien avec nous. Il déploie ses propres cas d'usage et homogénéise l'impact de la stratégie data sur les territoires. »
Le sujet brulant de la propriété des data IoT
L'occasion néanmoins pour le CDO de rappeler la complexité d'une telle organisation avec une activité focalisée sur des zones d'activité très locales. Difficile pour des questions de langue, de culture, d'organisation locales de transposer une démarche déployée à Göteborg, en Suède, ou à Sydney en Australie, par exemple, dans l'agglomération de Rouen. « Le déploiement d'une solution technologique de data sharing facilite évidemment les échanges de données, rappelle le Laurent Verhoest, mais tout le reste, c'est de l'humain ! »
Le groupe a déjà déployé des cas d'usage très concrets de la data au service de la stratégie, comme la gestion de proportions de plus en plus importantes de bus électriques dans les flottes de ses clients. Ainsi, aux Pays-Bas, il teste l'exploitation de données pour anticiper la recharge en ligne des véhicules afin de gêner le moins possible le planning de passage des bus pour les passagers. Une expérience est déjà répliquée en Suède et en France. Transdev teste aussi des projets de maintenance prédictive, même si l'entreprise doit respecter un planning de maintenances réglementaires ou contractuelle peu compatible avec la démarche.
Un des enjeux centraux, pour l'opérateur de transports, est celui de la propriété de la data issue des véhicules et de sa prise en compte dans les contrats. Un sujet central pour beaucoup de grands groupes à la tête d'un grand nombre d'actifs physiques, de plus en plus générateurs de data. « Le bus envoie des données, mais aussi la portière, le ventilateur, etc, précise Laurent Verhoest. Or, tout le monde se bat pour revendiquer la propriété de cette donnée. L'opérateur, le fabricant, l'intégrateur, etc. Et c'est un vrai défi au niveau des contrats. » Transdev attend d'éventuels éléments de clarification issus du Data act européen, mais il s'empare déjà très concrètement du sujet. « Depuis notre expérimentation aux Pays-Bas, nous avons commencé à réintégrer dans nos process achats et dans tous nos contrats types, pas mal de clauses sur la data pour au moins essayer d'entamer une discussion avec nos fournisseurs sur ce sujet loin d'être clair. »
Un data office au coeur des métiers
Chez Eramet, l'histoire du data office traduit assez bien le niveau d'importance qu'a revêtu la data dans les entreprises au fil du temps, en particulier chez les industriels. Le data office du géant minier et métallurgique français a en effet d'abord été rattaché à l'entité innovation, avant de passer sous l'égide de la DAF aux côtés de la DSI, puis aujourd'hui de la direction des opérations. Le service est ainsi hébergé au coeur des métiers, avec une responsabilité à la fois de gouvernance et d'analyse. Il compte une dizaine de personnes, et comme chez Transdev, des data office relais, soit également une dizaine de personnes.
Jean-Loup Loyer, chief data et analytics officer d'Eramet. (crédit : ED)
« Nous travaillons à la mise en oeuvre de projets très concrets, insiste Jean-Loup Loyer, chief data et analytics officer. Si un de nos concurrents a déjà mis en place une initiative qui répond à notre besoin, nous n'allons pas réinventer quelque chose d'équivalent. Nous allons nous en inspirer directement. » La DSI fournit le socle technologique nécessaire au développement et à l'industrialisation des projets. L'infrastructure matérielle, réseau, cyber, mais aussi les applications métier d'où viennent bon nombre des data utilisées par le data office. Ce dernier jouant ainsi un rôle d'intermédiation entre DSI et métiers.
Des cas utilisateurs inspirés du terrain ou de la concurrence
Pour lancer mettre en oeuvre de nouvelles expérimentations data sur des cas d'usage spécifiques, Eramet peut ainsi partir d'exemples réussis chez Arcelor ou Rio Tinto qu'il va proposer aux équipes métiers, en mode descendant. Mais les data offices passent aussi près de la moitié de leur temps sur le terrain pour identifier des problèmes à résoudre et les transformer également use cases, en mode ascendant. « Comme Transdev, nous sommes un groupe très décentralisé, une sorte de fédération d'ETI de 500 à 3000 employés chacune, explique Jean-Loup Loyer. Nous sommes présents dans le monde entier, sur tous les fuseaux horaires, avec toutes les cultures possibles. Et dans ces conditions, il est très compliqué d'avoir une stratégie data groupe homogène. Donc pour identifier des use cases data pertinents, nous passons 50% du temps sur le terrain, dans différents sites. Et nous avons des relais locaux à travers ces data. » Les projets sont priorisés en fonction de leur correspondance avec la stratégie d'entreprise.
Depuis quelques années, Eramet a par exemple déployé un projet dans une de ses usines en Norvège pour optimiser sa production d'alliages de manganèse. « Les fours métallurgiques mesurent plusieurs étages de haut et sont bardés de capteurs qui mesurent en permanence des centaines de variables comme la pression, la température, le débit d'eau, etc. » rappelle le CDO. Ces données sont utilisées pour catégoriser les processus en fonction de leur efficacité énergétique, de leur stabilité, etc., et proposer aux équipes des recommandations de suivi d'une variable particulière, ou d'actions aussi précises que de baisser la puissance des fours de 20% pendant 2 jours.
La particularité d'Eramet réside aussi dans sa population d'employés avec une culture digitale très hétérogène, et parfois très faible. « Dans certains cas, nous remplaçons le papier et le crayon par une application sur tablette, raconte Jean-Loup Loyer. Près de la moitié de notre temps est consacré à l'accompagnement du changement, l'acculturation, la formation. Nous suivons bien entendu les gains financiers ou extrafinanciers générés par nos projets pour nous assurer qu'ils créent de la valeur et justifier le budget nécessaire les années suivantes. Mais nous suivons aussi de près l'usage, nous revoyons les processus, les organisations pour nous assurer que tout fonctionne. »