De nombreux fournisseurs (Google, Honeywell, IBM,...) fourmillent depuis des mois de projets dans le domaine de l'informatique quantique. Mais l'objectif n'est pas seulement de pousser toujours plus loin les capacités en termes de qubits : encore faut-il disposer d'un système de refroidissement suffisamment efficace pour maintenir le calculateur en conditions opérationnelles stables. Ce sujet est central puisque sans refroidissement, impossible de faire tourner comme il le faut un système quantique. Comme d'autres, les scientifiques d'IBM se sont penchés sur la question et travaillé depuis plus de deux ans sur un système de refroidissement cryogénique inédit. Dans le cadre de ce projet baptisé « Goldeneye » un objectif a été atteint. L'équipe de recherche a en effet annoncé avoir réussi à atteindre une température de fonctionnement d'environ -25 millikelvin, soit- 273,125 °C. Une valeur proche du zéro absolu (0 kelvin) et de sa fameuse barrière des -273,15 °C.
Pour l'instant, il ne s'agit que d'une performance de laboratoire, pas en condition d'utilisation réelle donc, mais la promesse apparait forte. Dans les mois qui viennent, des équipes d'IBM s'installeront au centre quantique du groupe à Poughkeepsie, dans l'Etat de New-York, pour continuer leurs travaux. « L'équipe explorera des systèmes cryogéniques à grande échelle pour développer au mieux les besoins de refroidissement des centres de données quantiques de demain, tels que la plateforme Bluefors Kide en cours de développement pour une utilisation avec IBM Quantum System Two », fait savoir IBM. Dans son billet de blog, big blue explique que les réfrigérateurs à dilution sont des dispositifs cryogéniques expérimentaux qui refroidissent un volume d'espace au régime milli-Kelvin (mK), en utilisant un mélange de deux isotopes d'hélium, appelés hélium-3 (He-3) et hélium-4 (He-4). Les réfrigérateurs à dilution effectuent ce refroidissement en utilisant un certain nombre d'étapes pour éliminer la chaleur du mélange d'isotopes d'hélium, puis utilisent des pompes à vide pour faire circuler et diluer He-3 dans le mélange He-3/He-4 jusqu'à ce qu'une température cible soit atteinte. « Jusqu'à récemment, tous les réfrigérateurs à dilution étaient des systèmes humides, nécessitant des substances déjà froides comme l'azote liquide et d'autres fluides cryogéniques pour démarrer le refroidissement », explique le groupe. « Les réfrigérateurs d'aujourd'hui sont plus communément secs, utilisant un composant mécanique appelé cryo-refroidisseur pour fournir les températures initiales de 50 K et 4 K pour pré-refroidir le mélange d'hélium ».
Pat Gumann, responsable technique du projet Goldeneye d'IBM Research , ajuste le fond du réfrigérateur à dilution plus grand que tout autre disponible dans le commerce aujourd'hui. (Crédit : Connie Zhou pour IBM)
Une capacité de contenance jusqu'à six réfrigérateurs à dilution individuelle
Le « super-réfrigérateur » d'IBM est capable de refroidir un volume d'1,7 mètre cube, soit bien plus que des précédents modèles allant de 0,4 à 0,7 mètre cube. « Le projet Goldeneye présente une toute nouvelle construction du cadre et du cryostat - le principal composant en forme de tonneau responsable du refroidissement - pour maximiser le volume expérimental tout en réduisant le bruit et en atteignant les températures requises pour refroidir le matériel quantique expérimental », fait également savoir IBM. « La conception est modulaire, ce qui a rendu le prototypage, l'assemblage et le démontage beaucoup plus faciles pour une équipe de quatre ingénieurs IBM. D'autres réfrigérateurs à grande dilution peuvent nécessiter des grues plus grandes et une douzaine de techniciens ou plus pour le montage et le démontage. Le cryostat présente également une conception à clapet, permettant à la chambre à vide externe de s'ouvrir latéralement et éliminant le besoin de retirer toute la coque externe pour accéder au matériel à l'intérieur. La plupart des réfrigérateurs à dilution utilisés aujourd'hui nécessitent une équipe d'opérateurs pour fonctionner correctement, mais le système entièrement automatisé de Goldeneye comprend une grue à flèche spécialement conçue qui pourrait un jour permettre même à une seule personne de faire fonctionner le réfrigérateur - qui peut être surveillé à distance à l'aide d'un plate-forme de visualisation open source ».
L'intérieur du cryostat offre la possibilité d'installer un ensemble de 10 plaques internes pour le montage des composants dans sa moitié supérieure et inférieure : cinq unités régulières en haut et cinq unités inversées en bas. Il peut également contenir jusqu'à six réfrigérateurs à dilution individuelle, permettant pour près de 10 mW de fournir une puissance de refroidissement de 100 mK et plus de 24 W de puissance de refroidissement à des températures de 4 K. Enfin, le poids de l'ensemble du système - 6,7 tonnes métriques - contribue également à amortir les vibrations, réduisant ainsi le besoin d'autres techniques d'amortissement couramment utilisées.
Intérieur du super-frigo expérimental Goldeneye (à gauche) et l'équipe Goldeneye d'IBM Quantum (à droite). crédit : IBM
Le déploiement d'IBM Quantum System Two prévu pour 2023
« Ce test a démontré les performances de Goldeneye à travers les yeux d'un qubit en mesurant les fréquences et les temps de cohérence des qubits - combien de temps ils peuvent conserver les informations quantiques. Nous avons pu reproduire des temps de cohérence d'environ 450 microsecondes, similaires à ceux mesurés sur d'autres systèmes de réfrigération à dilution commerciaux. Nous n'avons pas observé de diminution des performances du qubit malgré l'environnement interne différent et un volume expérimental beaucoup plus important. Et malgré sa taille, Goldeneye est efficace. Il nécessite moins d'espace que les réfrigérateurs actuels à dilution à grande échelle afin d'accueillir une quantité équivalente de matériel quantique », selon IBM.
« Il faudrait 10 fois plus d'espace de laboratoire pour déployer du matériel équivalent dans les réfrigérateurs de pointe d'aujourd'hui. Nous ne savons pas si les réfrigérateurs utilisés pour refroidir les futurs ordinateurs quantiques seront réellement aussi grands. IBM Quantum System Two, que nous déploierons l'année prochaine, sera d'abord réalisé avec la plateforme cryogénique Kide de Bluefors, un système modulaire plus petit qui, selon nous, nous permettra déjà de connecter plusieurs processeurs ensemble jusqu'en 2025. Cependant, l'accès à Goldeneye nous permettra d'envisager de nombreuses façons de faire évoluer nos processeurs quantiques même au-delà de 2025, et nous aidera à conceptualiser davantage l'infrastructure cryogénique des centres de données quantiques de demain ».