L’étude de Carl Benedikt Frey et Michael Osborne de l’Université d'Oxford continue de marquer les esprits. En 2013 les deux chercheurs publient « The Future of Employment : How Susceptible Are Jobs to Computerisation ? », un pavé de 70 pages expliquant que 47% des emplois américains étaient menacés d’informatisation. « Cette étude a eu beaucoup d’impact sur ce que les gens pensent de l’intelligence artificielle dans leur travail », estime Helen Poitevin, directrice de recherche chez Gartner. « On a tendance à être un peu alarmiste sur ces questions depuis. » Mais contrairement aux prédictions des universitaires d’Oxford, le cabinet d’études estime, lui, que l’IA va être créatrice d’emplois, à partir de 2020.
Dans deux ans, selon Gartner, le nombre d’emplois créés grâce à l’intégration de briques d’intelligence artificielle en entreprise (2,3 millions) sera supérieur au nombre d’emplois détruits (1,8 million). D’après Helen Poitevin, la perte d’emplois a lieu quand les tâches sont automatisées grâce à l’IA. C’est le cas de nos jours pour certaines activités dites répétitives qui peuvent être prises en charge informatiquement. La prolifération des agents conversationnels dans l'entreprise ou pour le service au client en est la preuve. Et l’analyste indique que 2018 sera l’année où les investissements seront majoritairement réalisés dans des portions de technologies qui amènent une destruction d’emploi.
La peur de l'IA est renforcée par sa méconnaissance
Cependant quand les entreprises se servent de ce genre d’innovations pour créer de nouvelles solutions ou inventer de nouveaux modèles économiques, elles auront besoin de forces de travail et donc créeront de l’emploi. Interrogée sur le modèle de calcul utilisé pour estimer les pertes et créations d’emplois - ceci alors que les entreprises peinent elles-mêmes à évaluer l’impact de ces technologies dans leurs activités - Helen Poitevin déclare que les analystes se fondent sur les prévisions de la valeur des technologies du Gartner. « Quand le chiffre d’affaires augmente grâce aux technologies, les charges de travail varient également », indique-t-elle.
Selon Gartner, les emplois créés grâce à l'intégration de l'IA en entreprise dépasseront le nombre d'emplois détruits par ce même phénomène à partir de 2020. (Crédit : Gartner)
Comme souvent, la peur de quelque chose est accentuée par la méconnaissance de cette chose. Ainsi, le panel de 4000 personnes interrogées par Gartner estime à 77% que l’IA aura un impact net sur la baisse des emplois. Mais dans le même temps, 67% de la part d’employés de ce panel indique ne pas savoir si son entreprise utilise des solutions faisant appel à des algorithmes d’intelligence artificielle. Le paradoxe va plus loin quand l’étude révèle que 48 % du panel indique n’avoir jamais utilisé l’IA alors que, dans ce groupe, 3 personnes sur 5 avouent utiliser un service de suggestion d’itinéraire comme Google Maps ou Waze.
Gartner prévoit ainsi 4 scénarios d’évolution des technologies dans le monde du travail. Un premier ressemble à ce que l’on est en train de vivre aujourd’hui : les gens intègrent et se servent d'outils peu puissants sans savoir qu’ils recourent à des briques de machine learning. Cela passe souvent par des solutions de recommandations personnalisées d’itinéraires, de films, de musiques, etc. Mais des services plus performants comme les chatbots ou la reconnaissance faciale ou vocale seraient moins utilisés.
IA ultra contrôlée, IA surpuissante, IA collaboratrice
Un autre cas de figure serait celui d’une IA ultra contrôlée après un rejet global de la société. « Dans les dix à quinze prochaines années, un événement perturbateur pourrait amener ce scénario », imagine Helen Poitevin. Une personne percutée et tuée par une voiture sans chauffeur, des fuites d’informations confidentielles à cause d’écoutes par des objets connectés, des gouvernements voulant influer sur l’opinion publique massivement sur les réseaux sociaux, etc. Ces cas de figures sont plus qu’envisageables puisque certains se sont déjà produits. Dans ce scénario, il y aurait une volonté de tout maîtriser, savoir qui est responsable si une technologie, un service ou un objet a un problème, etc. « On peut même penser à la création de permis pour pouvoir opérer les machines qui utilisent l’IA », pense l’analyste. Cette pensée protectionniste serait malgré tout créatrice d’emplois, surtout du côté juridique et législatif. Mais dans les débats ayant cours aujourd’hui, beaucoup estiment que ce sont les créateurs d’un algorithme d’IA qui devraient être tenus pour responsables. Si tel était le cas à l’avenir, les analystes du Gartner estiment que les capacités de cette technologie pourraient rester figées.
Les répondants à l'étude de Gartner sont prêts à accepter des algorithmes d'intelligence artificielle qu'ils accèdent à leurs signes vitaux, reconnaissent leur voix et leur visage pour avoir une meilleure expérience utilisateur et améliorer leur sécurité. (Crédit : Gartner)
Enfin, il reste deux cas aux extrêmes opposés. D’une part, un cas où les technologies d’intelligence artificielle seraient détenues par quelques-uns, quand les autres les subiraient. 44 % des personnes interrogées par Gartner pour cette étude estiment d’ailleurs que l’IA sera utilisée pour de mauvaises causes dans l’avenir. Un tiers va jusqu’à continuer à penser que cette technologie nous contrôlera. Et donc la moitié estime qu’elle devrait être utilisée pour de petites tâches. D’autre part, l’IA pourrait enfin adopter un véritable rôle de collaborateur en entreprise. Les répondants à l’étude indiquent majoritairement souhaiter utiliser les solutions boostées à l’IA pour être assistés dans leur travail. Les plus jeunes répondants vont même jusqu’à imaginer être managés par un logiciel, à 14% pour ceux nés après les années 2000 et à 12% pour les millenials. Quoiqu’il en soit, les cas d’usage de l’intelligence artificielle restent pour le moment pragmatiques : on l’utilise pour gagner du temps (58%), de l’argent (53%) et avoir accès plus facilement à des informations (47%).