Faut-il séparer infrastructures et services pour assurer l'avenir du très haut débit ?
Et si pour réussir le déploiement du très haut débit en France, fixe ou mobile, il fallait séparer fonctionnellement les opérateurs d'infrastructures des opérateurs de services ? Le modèle est celui de la SNCF dans lequel les trains et les voies sont gérés par deux sociétés différentes.
(Source EuroTMT) Depuis 1998, pour justifier l'ouverture du marché des télécoms à la concurrence, un dogme a été imposé : la concurrence se fera par les infrastructures. Cela favorisera la création d'emplois (et la croissance économique) non seulement chez les opérateurs, mais aussi chez les équipementiers (sous-entendus européens). Comme tous les opérateurs historiques détenaient une infrastructure nationale couvrant l'ensemble des foyers et des entreprises, le cadre réglementaire mis en place obligeait ces anciens monopoles à ouvrir leurs réseaux pour faciliter le développement de la concurrence.
Douze ans plus tard, en 2010, ce dogme a été largement contourné tant dans le fixe que dans le mobile. Et les effets annoncés n'ont pas été au rendez-vous. Il suffit pour s'en convaincre de constater l'état de délabrement de l'industrie high-tech européenne. Pour autant, le dogme de la concurrence par les infrastructures ne semble pas devoir être remis en cause. La Commission européenne a bien ajouté, à la caisse à outils des régulateurs nationaux, la possibilité d'organiser la séparation fonctionnelle de leur opérateur historique en séparant les « tuyaux » d'un coté et les applications transitant par ces tuyaux de l'autre, à l'image de la séparation réalisée entre la SNCF qui gère le trains et Réseau Ferré de France qui gère les voies. Mais les rares pays européens à l'avoir mise en oeuvre, l'ont réalisée pour soulager financièrement l'opérateur historique, à l'instar de la Grande-Bretagne avec BT.
En fait, une grande majorité de pays ne considère pas ce remède comme devant être mis en oeuvre. Comme en France où le succès du dégroupage est considéré comme une preuve de la bonne santé du marché. Pourtant ce modèle a atteint ses limites et de nombreux arguments plaident en faveur de la séparation fonctionnelle.
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La situation du haut débit en est un : si les opérateurs alternatifs couvraient, à la fin du troisième trimestre, 76% de la population, ce taux de pénétration est en grande partie à mettre au compte des investissements réalisés par les collectivités locales dans les réseaux de collecte, permettant aux opérateurs alternatifs d'accéder aux NRA (Noeuds de Raccordement d'Abonnés) de France Télécom.
Autrement dit, sans les 3 milliards d'euros dépensés par les pouvoirs publics locaux, la concurrence serait dans un état embryonnaire. Deuxième problème dans le DSL : seulement deux-tiers des abonnés « dégroupables » ont accès au triple-play, l'autre tiers en étant exclu en raison d'un débit trop faible. Et ce tiers devra attendre l'arrivée du FTTH (si les réseaux en fibre optique arrivent, un jour, jusqu'à lui) pour y avoir accès, l'avis de l'Autorité de la Concurrence ayant quasiment coulé le projet de montée en débit préparé par l'Arcep.
D'autre part, les scénarios de développement du très haut débit montrent aujourd'hui que la seule solution passe par une mutualisation des infrastructures. De même dans le haut débit mobile, des acteurs plaident en faveur de l'attribution de la bande 800 MHz à un seul acteur qui fournirait une offre de gros aux opérateurs mobiles. D'ailleurs de manière plus générale, dans la téléphonie mobile, l'heure est aux accords de partage d'infrastructures prouvant ainsi que la concurrence ne passe pas par la détention en propre d'un réseau, mais par les services et les contenus. Alors que le développement du très haut débit est présenté par le gouvernement comme une priorité, le cadre actuel est très insuffisant pour éviter une double fracture territoriale et sociale. Il serait donc peut-être temps d'ouvrir le dossier de la séparation fonctionnelle et d'étudier les conditions dans lesquelles elle pourrait être mise en oeuvre.