« Le digital va investir la banque de manière très violente », prédit Régis Dos Santos président du SNB/CFE-CGC, le syndicat national de la banque. Les technologies d’intelligence artificielle, en particulier, pourraient bien déferler plus vite que prévu dans la banque de détail. Pour le président de l'organisation syndicale, il devient urgent de s’y préparer en engageant dès cette année « ou dans les deux ans au maximum » des plans de formation pour les milliers de collaborateurs concernés afin de préparer l’avenir. L’arrivée au printemps dernier des technologies d’apprentissage machine Watson d’IBM au Crédit Mutuel CIC a constitué un signe annonciateur de la transformation qui s’engage. Watson comprend le langage naturel. En l’entraînant à répondre aux questions que peuvent poser les clients des banques de détail, il sera un jour en mesure de leur répondre directement à travers des assistants virtuels. D’autres tâches peuvent lui être confiées. Dans un établissement tel que Bank of Singapour, le système aide par exemple les conseillers financiers à savoir quels clients ils doivent relancer en priorité.
« Nous pensions que nous avions encore un certain nombre d’années devant nous, 5 à 7 ans peut-être, avant de devoir y faire face, mais l’arrivée de Watson au Crédit Mutuel montre que, ça y est, on installe maintenant un système qui va assister le salarié », nous a exposé le président du SNB. Loin de lui l’idée de vouloir s’opposer aux technologies numériques. Il estime d’ailleurs que la banque a déjà digéré une première révolution digitale, tous les établissements ayant désormais leur banque en ligne, leurs applications smartphones ou leurs agrégateurs de comptes bancaires. « Mais nous attendons maintenant la rupture digitale brutale qui va arriver car Watson n’est pas un simple assistant, il va monter en puissance, aller chercher seul l’information, la rapporter au conseiller clientèle ». D’autres plans d’investissement sont annoncés, rappelle-t-il, par exemple chez BNP Paribas qui va engager 2 à 3 milliards d'euros sur le passage au digital, ou encore au groupe BPCE qui prépare un plan pour l’an prochain. Tandis qu'au Crédit Agricole, le directeur du marketing digital est devenu le mois dernier DG du GIE Technologies et Services du groupe bancaire.
Ne pas se retrouver comme les taxis face à Uber
« La rupture s’enclenche et risque d’aller plus vite qu’on ne pensait. Ce n’est pas une peur, mais je n’ai pas envie que l’on se retrouve demain comme les taxis face à Uber. L’idée n’est pas du tout de batailler contre le digital au profit de l’emploi, c’est de dire : il y a un avenir pour le conseiller humain ». En particulier dans les pays latins où le rapport à l’argent est différent par comparaison avec le monde anglo-saxon. Il restera en France un réseau bancaire physique où les conseillers devront monter en compétences. « Si l’on veut que l’humain reste, il faut mener des formations dès aujourd’hui », pointe le président du SNB.
La mise en place de technologies comme Watson va apporter des réponses à des problématiques comme le phénomène des emails qui sont encore « niées par tout le monde », selon Régis Dos Santos. « Un conseiller clientèle reçoit 100 à 200 emails par jour et jusqu’à 300 en période de pointe, de ses collègues, des clients, etc. Je ne vais donc pas me battre contre Watson qui va proposer aux conseillers des pré-réponses aux emails. » Dans un 2ème temps, le système développé par IBM agira comme un assistant commercial allant chercher les informations dont le client a besoin sur les procédures à suivre, expose Régis Dos Santos. Il pourra gérer les agendas. « Dans un horizon pas si lointain, je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas traiter directement certaines opérations ». Notamment pour une clientèle de base qui est très consommatrice de temps et qui génère très peu de chiffre d’affaires pour l’établissement bancaire. Il faut donc se spécialiser.
Faire monter les conseillers généralistes en compétences
Les banques sont aujourd’hui constituées en grande partie de généralistes qui parlent de 100 ou 120 produits, ou plus, et ne peuvent pas être experts sur tous les sujets. Avec le déploiement de technologies qui répondront directement aux questions les plus courantes, ou même aux autres, lorsqu’un client se déplacera dans une agence bancaire pour valider les informations qu’il a déjà trouvées sur Internet, il voudra s’adresser à un expert capable de lui apporter une véritable plus-value. « Nous savons que les effectifs vont continuer à baisser dans les services bancaires et la pyramide des âges fait que cette baisse s’accompagne pour l’instant sans drame », explique le président du SNB.
La banque continue néanmoins à recruter et une partie des collaborateurs pourra être reconvertie dans les nouveaux métiers du numérique. Notamment sur l’utilisation des réseaux sociaux utilisés comme nouveaux canaux d’échanges et d’acquisitions de clientèle. Sur ces domaines, il faudra prévoir des formations complémentaires, ainsi qu’une formation régulière, même pour les collaborateurs les plus jeunes car les évolutions sont permanentes. Quant à la tranche d’âge supérieure, elle est appelée à devenir une population d’experts, assure Régis Dos Santos. « Or, on ne peut pas vraiment les former aux métiers d’une nouvelle banque dont on entrevoit à peine les contours et à des métiers qui vont de toute façon évoluer », fait-il remarquer. Pour lui, il faut donc dans un premier temps proposer des formations de culture générale avant d’engager des cursus plus avancés, par exemple pour disposer d’experts pointus en gestion de patrimoine.
L'humain est un investissement au même titre que le numérique
« Si demain, nous devons former des milliers de collaborateurs, nous risquons d’avoir un taux d’échec si nous ne leur faisons pas suivre, déjà, des formations diplômantes ». Une partie des conseillers clientèle ont un cursus Bac+2 qu’il faut, selon le président du SNB, porter à Bac+4 ou Bac+6. « Il faut reconnaître l’élévation du niveau de compétences et remettre ces collaborateurs en situation d’apprentissage », estime-t-il. « Notre responsabilité est d’anticiper ce qui va arriver. L’humain est un investissement au même titre que le digital. Si nous n’agissons pas rapidement, nous faisons le jeu des banques en ligne et low cost ». Pour une partie des clients, jeunes ou très petites entreprises, les réponses apportées par des alternatives aux comptes bancaires sont parfois attirantes. Sur ce terrain, un acteur comme Comptenickel par exemple approche déjà les 475 000 clients. Une réelle menace pour les circuits traditionnels.