ES&S remplace 145 machines à voter à trois jours du scrutin
La polémique enflait autour des machines à voter, manifestement non conformes à l'agrément de 2005. ES&S, le fabricant d'un des trois types d'ordinateurs de vote installés en France, réagit en remplaçant la quasi-totalité de ses machines. Dans le même temps, la justice administrative ne semble pas s'offusquer de cette non conformité.
Changement de cap pour les machines à voter. Alors que le début de semaine a été marqué par une polémique portant sur la conformité des machines à l'agrément émis par le ministère de l'Intérieur en 2005, ES&S vient de remplacer tous les ordinateurs de vote qu'il avait installés en France. « Toutes nos machines, de modèle iVotronic, sont désormais conformes à la certification d'octobre 2005, explique Denis Muthuon, le directeur commercial Europe d'ES&S, au mondeinformatique.fr. On a fait réaliser un audit sur ces machines remplaçantes dont le rapport a été publié hier (18 avril) par la Préfecture des Hauts-de-Seine. Celui-ci atteste que nos machines sont bel et bien conformes ».
Les premiers ordinateurs de vote livrés aux communes ne correspondaient pas à l'arrêté d'agrément parce qu'ils avaient subi des modifications, notamment l'ajout d'un boîtier déporté qui permettait au président du bureau de vote d'activer une session à distance. « Nous avons mis ce matériel à disposition de nos clients tout en lançant un processus de certification, précise Denis Muthuon. Le 16 mars, nous avons reçu un premier rapport, mais avons senti que l'agrément ne serait pas rendu dans les temps. Nous avons alors adressé un courrier à toutes les communes pour les informer qu'elles allaient finalement être équipées avec les anciens modèles. »
Le plan B, prêt depuis longtemps
Une version que ne partage pas Laurent Pieuchot, conseiller municipal PS à Issy-les-Moulineaux. « On nous a menti sciemment pendant trois semaines, colère-t-il. La Ville a acheté des machines en nous garantissant qu'elles correspondaient à l'agrément de 2005. Pour le Maire, il était même hors de question de débattre plus longuement. Puis, samedi dernier, on s'aperçoit que les tickets de contrôle sortant des machines indiquent que le logiciel installé date de janvier 2007. Donc après l'agrément. Mardi, des citoyens entreprennent alors de déposer des référés libertés devant le tribunal administratif. En sortant de là , on apprend que les machines ont été changées à Issy. »
Manifestement, selon le directeur commercial d'ES&S, « les personnes qui ont déposé les plaintes ont commis de nombreuses erreurs d'analyse de la machine. La plus importante : elles se sont procurées un ticket sur une machine qui n'allait pas être utilisée. » Le changement de machine n'aurait donc pas été décidé en catastrophe, à la dernière minute, pour couper court aux critiques grandissantes et éviter un camouflet devant la justice administrative ? « Il est impossible de fabriquer 200 machines en quelques jours, rétorque Denis Muthuon. On avait un plan B préparé depuis longtemps. »
Le juge administratif en appelle au Conseil d'Etat
Suite aux recours déposés par les citoyens, qui dénonçaient la non conformité des machines à l'agrément de 2005, le tribunal administratif de Versailles a rendu, le 17 avril, son ordonnance. « A la supposer établie, une telle circonstance (la non conformité, NDLR) ne permet pas, à elle seule, de caractériser une atteinte grave à la liberté fondamentale que constitue l'exercice du droit de suffrage ; [...] la requête ne peut qu'être rejetée », estime le juge. Nicolas Barcet, du site Betapolitique.fr, est outré : « il est scandaleux que l'utilisation de machines non conformes ne soit pas une atteinte au droit de vote. » Gilles Guglielmi, professeur de droit public à Paris II, se veut plus nuancé. Selon lui, la formulation touche au paradoxe et relève de la rhétorique du juge. « Le tribunal dit : "l'irrégularité existe mais au vu de l'urgence, ce n'est pas suffisamment important pour que je règle le problème à mon niveau". Or, explique Gilles Guglielmi, il faut comprendre : "c'est trop compliqué pour moi, ça dépasse le ressort territorial de Boulogne ou d'Issy, il vaut mieux que ce soit le Conseil d'Etat qui tranche le problème" ». De fait, estime le professeur, « il s'agit presque d'une incitation à faire appel. »