Depuis plusieurs années, nous entendons parler de la dictature des algorithmes, c’est à dire des prises de décisions sans interventions humaines dans les entreprises : que ce soit dans le domaine de la recherche avec les robots et les laborieuses mises en avant de Google et YouTube, la curation d'articles de presse, le calcul de la solvabilité d’un client lors de la souscription d’un prêt bancaire, la sélection des clients à relancer ou la lutte contre la fraude avec les traitements big data. Plusieurs domaines donc où les algorithmes sont devenus rois et remplacent une main d’œuvre humaine désormais surannée.
Sans ranimer l’éternel débat sur la fin de la démocratie avec l’avènement de la datacratie, il n’est pas inutile de regarder ce qui passe chez l’emblématique Uber. Cette licorne est devenue le modèle de tous les serial entrepreneurs adeptes du credo : « t’as pas créé ta start-up avant 50 ans, t’as raté ta vie ». Dans cette entreprise adulée comme le Veau d’or, la gestion des chauffeurs non salariés n’a pas été confiée à une armada de managers mais à un savant algorithme qui exploite les notes attribuées par les clients pour remonter les bretelles des conducteurs. Les indicateurs de performances et de satisfaction assurent en effet le travail d’un manager humain mais avec une acuité intransigeante.
Deux chercheurs de l’Université de New York, Alex Rosenblat et Luke Stark ont publié une étude sur le contrôle des collaborateurs d’Uber par les algorithmes. Et cette étude avance ainsi que le rôle du management intermédiaire est assuré par les clients d’Uber qui sont invités à noter chaque course. Les deux chercheurs concluent dans leur étude que les allégations d’Uber sur l’indépendance des chauffeurs (liberté, flexibilité et esprit d'entreprise) ne résistent pas à la réalité où toute volonté d’autonomie est éradiquée. Les chauffeurs sont fortement incités à remplir un planning pour indiquer leurs heures de travail afin de mieux planifier la flotte de véhicules disponibles. Lors du dernier Dreamforce 2015, nous avons rencontré Travis Kalanick et des dirigeants de l’entreprise installée à SF, et, après une vingtaine de minutes, nous ne savions plus très bien si nous avions affaire à l’UberGeschäft du 21ème siècle ou à la manufacture du 19ème avec des ouvriers payés à la tâche.
En France, la magie des start-ups ubérisées, ce serait finalement cette capacité à remonter le temps pour abolir toutes contraintes sociales et imposer la dictature des algorithmes. Merci Uber, la France a enfin trouvé le chemin de son redressement : nous serons bientôt tous des auto-entrepreneurs sous la coupe d'une suite numérique.