Si vous lisez cet article sur un terminal Blackberry, votre appareil est officiellement obsolète. L'entreprise a annoncé que le système d'exploitation BlackBerry 7.1 et les versions antérieures, BlackBerry 10 et PlayBook 2.1 ne seront plus disponibles à partir d'aujourd'hui, et elle prévient que les termianux fonctionnant avec ces anciens services et logiciels par l'intermédiaire de l'opérateur ou de connexions WiFi ne fonctionneront plus de manière fiable, y compris pour les données, les appels téléphoniques et les SMS.
Cette fin survient presque 15 ans après le dévoilement de l'iPhone au Macworld de San Francisco par Steve Jobs - et le 7 janvier 2007, peu de gens auraient cru que Blackberry subirait un tel sort. À l'époque, Blackberry était l'un des grands noms des portables et approchait les 10 % de part de marché, un chiffre qui allait passer à 20 % quelques années plus tard. En 2010, la société mère de Blackberry, Research In Motion (RIM) a même réussi à se hisser parmi les cinq premiers fabricants mondiaux de terminaux mobiles sur la période janvier-mars 2010 selon IDC. RIM a alors écoulé 10,6 millions de mobiles sur le premier trimestre.
Blackberry est mort comme il a vécu : attaché à un clavier physique. (Crédit : Adam Patrick Murray/IDG)
Mais comme toutes les autres entreprises qui n'ont pas su s'adapter au changement radical provoqué par l'iPhone, Blackberry, vu comme précurseur, n'a jamais su s'adapter. Même le Key2, qui était basé sur Android et possédait un écran tactile (et qui n'est plus pris en charge), s'est obstiné à conserver son petit clavier physique, qui était autrefois la caractéristique de la marque. Une présence qui était l'une des principales raisons pour lesquelles la société mère de l'époque n'a pas fait grand cas de l'iPhone d'Apple.
Apple, la menace silencieuse
« Ce n'était pas une menace pour l'activité principale de RIM », a déclaré l’un des lieutenants de Mike Lazaridis, Larry Conlee, dans un extrait du livre de 2015, « Losing the Signal : The Untold Story Behind the Extraordinary Rise and Spectacular Fall of BlackBerry ». Pour lui, l'iPhone « n'était pas sécurisé. La batterie se déchargeait rapidement et son clavier [numérique] était minable » avait-il précisé à l’époque, pour rassurer son patron. Bien sûr, toutes ces choses ont été corrigées ou oubliées au fur et à mesure que l'iPhone gagnait en popularité et en maturité. La polyvalence, le design, la plateforme d'apps, et l'appareil photo de l'iPhone ont continué à surpasser tout ce que Blackberry a publié, et en l'espace de cinq ans, la part de marché s'est complètement érodée, les gens se ruant sur les smartphones tactiles. De plus, même avec des encouragements financiers, RIM n'a jamais réussi à attirer les développeurs qui délaissaient sa plateforme d'apps au profit d'Apple et Google. Microsoft n'a pas fait mieux avec ses smartphones Windows.
Blackberry n'a jamais contré cette menace et le reste appartient à l'histoire. Il n'était pas nécessaire qu'il en soit ainsi. Blackberry était populaire pour une raison. Il excellait dans le domaine de l'e-mail et de la messagerie bien avant l'iPhone, et il aurait pu s'appuyer sur ce qu'il faisait de mieux tout en donnant aux gens ce qu'ils voulaient. Mais au lieu de cela, il s'en est tenu à son clavier tandis que l'iPhone et les terminaux Android le dépassaient en développant leurs fonctionnalités et leurs plateformes d'apps.
Des erreurs et des leçons
L'iPhone a battu Blackberry en traçant sa propre voie. Steve Jobs a peut-être critiqué Blackberry sur scène pour sa structure rigide et son « Internet pour bébés », mais l'iPhone n'était pas une réponse aux produits de RIM. C'était son propre produit, ce qui explique en partie pourquoi ses concurrents l'ont ignoré jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Blackberry a présenté à la hâte une réponse avec son propre clavier numérique à la fin de 2008, alors que l'iPhone avait déjà plusieurs longueurs d’avance. Chaque fois que l’utilisateur tape sur une touche, celle-ci clignote en bleu sous les doigts et il faut cliquer sur le clavier à l’écran pour chaque frappe. Un point qui aura agacé plus d’un utilisateur.
Le Blackberry Storm n'a pas été le tueur d'iPhone que Blackberry voulait qu'il soit. (Crédit : Blackberry)
Une incapacité à reconnaître la concurrence
Mais la disparition de Blackberry ne repose pas sur les épaules d'un seul téléphone. Blackberry n'a peut-être pas été capable de battre l'iPhone ou Android, mais son plus grand échec a été de ne pas reconnaître un concurrent sérieux, une erreur qui ne se reproduira probablement pas de sitôt. Comme nous l'avons vu avec l'Apple Watch, les AirPods et l'iPad, les entreprises sont beaucoup plus rapides à reconnaître et à répondre aux initiatives d'Apple, et nous verrons probablement un changement rapide d'Oculus (Meta) lorsque Apple lancera son casque AR/VR plus tard cette année.
La disparition de Blackberry est également une leçon pour Apple. Il s'agit peut-être de la première et unique entreprise au monde à 3 000 milliards de dollars, mais aucune piste n'est sûre dans le monde de la technologie, même avec une gamme de produits aussi réussie que celle d'Apple. Siri en est un parfait exemple. Apple avait une longueur d'avance jusqu'à ce qu'Amazon et Google s'invitent sur ce marché. Alors qu'Apple se prépare à entrer dans d'autres secteurs (automobile, réalité virtuelle,...), la société doit comprendre à la fois ce qu'elle peut ajouter et ce que ses concurrents font bien.
Une morale universelle
Aujourd'hui, il est peut-être facile de montrer Blackberry du doigt et d'en rire. Mais Apple serait bien avisé d'apprendre des erreurs commises par la firme canadienne. Ce pionnier du mobile aurait pu être un nom éminent dans ce domaine, même aujourd'hui, s'il avait tenu compte de l'avertissement de l'iPhone. Une histoire qui se répète avec l'iPhone : des menaces pèseront sur la domination d'Apple, qui ne survivra qu'en reconnaissant les vraies menaces et en n’étant pas trop têtue pour réagir.