Des scientifiques reconnus ont demandé à la Cour Suprême des États-Unis de reconsidérer une décision de la Cour d'appel fédérale sur la protection des API Java, des spécifications techniques qui permettent aux programmes de communiquer entre eux. S'invitant dans le litige opposant Oracle et Google sur l'utilisation des API Java dans Android, les 77 scientifiques soutiennent que l'utilisation libre et ouvert des interfaces de programmation d'applications (API) a été à la fois systématique et essentielle dans l'industrie informatique depuis ses débuts, et défendent « l'hypothèse raisonnable » que les API et autres interfaces de programmation ne sont pas protégeables.
Parmi ces scientifiques, on compte cinq lauréats du prestigieux prix Turing - l'équivalent du prix Nobel en informatique-, quatre titulaires de la National Medal of Technology, et un certain nombre de membres de l'Association for Computing Machinery, de l'IEEE, et de l'Académie américaine des Arts et Sciences, selon l'Electronic Frontier Foundation, qui a déposé vendredi dernier la requête à la Cour Suprême au nom des scientifiques. Parmi les signataires signalons Vinton « Vint » Cerf, pionnier de l'Internet et évangéliste chez Google, et Ken Thompson, co-coauteur du système d'exploitation Unix.
Une bataille sur fond de royalties
Oracle attaque Google pour la violation de ses droits d'auteur et de ses brevets liés à Java dans son système d'exploitation Android. La firme de Mountain View a été spécifiquement accusé de copier la structure et l'organisation de l'interface de programmation d'applications Java, en partie pour faciliter le travail des développeurs - familiarisés avec Java - et les inciter à écrire des programmes pour le système d'exploitation mobile.
En 2012, le juge William Alsup de la Cour de district nord en Californie avait statué en faveur de Google en indiquant que les API ne sont pas protégeables. Mais la Cour d'appel fédérale a décidé en mai de cette année que les API Java pourraient en effet être protégées, et a demandé au tribunal de district de vérifier si l'utilisation de Google pourrait être considérée comme une «utilisation équitable». Le jury ayant déjà fait l'impasse sur l'utilisation équitable, Google a demandé à la Cour suprême d'examiner la décision du tribunal fédéral, ce qui aura de grandes implications sur les pratiques actuelles dans le développement logiciel, selon les scientifiques.
Encourager l'innovation grâce à la réutilisation des API
«Quand les programmeurs peuvent librement réutiliser ou désosser un API sans acquérir une licence coûteuse ou risquer un procès, ils peuvent créer des logiciels compatibles que le créateur original de l'interface n'aurait peut être jamais envisagé ou possédé les ressources nécessaires pour le faire », assure les scientifiques dans leur requête. Les informaticiens ont cité de nombreux cas de développements clefs, y compris les clones des PC IBM, le langage de programmation C et de l'Internet qui a bénéficié de l'absence de droits d'auteur sur les API.
La liberté de réutiliser des API permet également aux développeurs de logiciels de poursuivre le support d'applications ou d'exploiter des données «orphelines» dans les systèmes qui ne sont plus pris en charge par leurs créateurs », selon le document déposé à la Cour Suprême.
Si API sont protégeables, les « créateurs d'API auraient un droit de veto sur tout développeur qui souhaite créer un programme compatible ». Les informaticiens soutiennent donc l'ordonnance du juge Alsup indiquant qu'une API est un «système ou mode de fonctionnement, « qui ne peut pas être protégé en vertu du paragraphe 102 (b) de la Loi [américaine] sur le droit d'auteur ».