Environ trois douzaines de chercheurs en informatique ont signé un mémoire destiné au tribunal pour expliquer pourquoi ils contestent la volonté d'Oracle de protéger ses API Java par un copyright. Selon eux, une telle décision ferait reculer l'industrie informatique et empêcherait les utilisateurs finaux d'accéder de façon abordable à la technologie. Parmi les signatures apposées au bas du mémoire « amicus curiae », figurent celles de grands scientifiques, entre autres celle du développeur américain Tim Paterson à qui l'on doit le MS-DOS et celle du créateur d'Arpanet Larry Roberts.
Oracle accuse Google de violer le droit d'auteur de ses API Java dans le système d'exploitation Android et réclame plusieurs milliards de dollars de dommages et intérêts au géant de l'Internet. Ce dernier nie toute malversation et fait notamment valoir qu'en vertu de la loi américaine, les API ne sont pas protégées par le droit d'auteur. L'an dernier, un tribunal de Californie avait, pour la majorité des plaintes, statué en faveur de Google. Le juge William Alsup avait estimé que les API Java concernées ne pouvaient pas être couvertes par le droit d'auteur parce qu'elles représentaient une partie fonctionnelle de la plate-forme Java et étaient indispensables aux tiers s'ils veulent utiliser le langage Java. En général, le droit d'auteur ne s'applique pas aux créations fonctionnelles par nature.
Les créateurs de JavaScript et du compilateur GNU C++ parmi les signataires
L'éditeur de Redwood Shores avait fait appel de la décision, et le mémoire déposé jeudi aimerait influencer le tribunal qui aura à se prononcer sur le bien fondé de l'appel. Le document a été déposé par l'Electronic Frontier Foundation au nom de 32 informaticiens et développeurs de logiciels. Parmi les autres signataires, on trouve Brendan Eich, l'inventeur du JavaScript et CTO de Mozilla, Michael Tiemann, auteur du compilateur GNU C++ et un des dirigeants de Red Hat, ou encore Andrew Tridgell, un développeur Samba. « La liberté de pouvoir réimplementer et étendre les API existantes a été la clé du progrès et de la concurrence dans le domaine informatique, pour le hardware et le software », énoncent les signataires. « Elle a permis l'émergence et la réussite de nombreuses industries solides - comme l'industrie du mainframe, du PC, des périphériques (stockage, modems, cartes son, imprimantes, etc.), des stations de travail et des serveurs, et ainsi de suite - que nous considérons aujourd'hui comme des acquis, et elle a fait en sorte que des concurrents puissent rivaliser avec les acteurs établis et pousser l'innovation technologique ».
Le mémoire soutient par exemple que la propagation des PC bon marché a été possible parce que IBM n'a protégé son système BIOS par aucun droit d'auteur, ce qui a permis à des concurrents comme Compaq et Phoenix de créer leurs propres implémentations BIOS et de construire des clones de PC. « La nature ouverte des API est également indispensable au développement du système Unix, du langage de programmation C et des protocoles ouverts de l'Internet », dit encore le mémoire. « Si le tribunal remettait en question l'avis bien pesé du juge Alsup, il permettrait à Oracle et à d'autres de monopoliser l'utilisation des systèmes intégrant leurs API. Les créateurs d'API pourraient empêcher n'importe quel développeur de créer un programme compatible », poursuit le mémoire. Une porte-parole d'Oracle a déclaré que l'éditeur refusait de commenter le document déposé par les informaticiens.
Lors du procès, Oracle avait fait valoir que la structure complexe et la syntaxe des API Java demandaient un travail créatif digne de protection. Selon Oracle, Google a sciemment copié ses API et en a tiré des milliards de dollars de bénéfices avec Android, devenu le système d'exploitation pour smartphones le plus vendu au monde aujourd'hui.