Chaque année, le cabinet Deloitte fait remonter du terrain, à travers plus de 250 de ses collaborateurs dans le monde, les huit grandes tendances technologiques et métiers qui progressent dans les entreprises. Son rapport « Tech Trends 2017 - L’entreprise cinétique », commenté hier à Paris par l’équipe de Deloitte Digital France, en constitue la synthèse. Avec huit grandes tendances : l’IT sans frontières, les dark analytics, l’intelligence des machines, la réalité mixte, l’architecture incontournable, Everything as-a-service, Blockchain : l’économie de la confiance et, enfin, les technologies exponentielles. Premier constat, qui donne le titre au rapport, les entreprises doivent adopter un mouvement permanent pour « surmonter l’inertie opérationnelle » et maîtriser leur destin. Elles doivent tout à la fois faire de la veille, transversaliser de plus en plus, s’ouvrir sur des environnements externes et des start-ups pour identifier les nouvelles technologies au plus près et tirer profit de celles-ci comme d’une force de traction pour aller de l’avant, a déroulé en introduction François-Xavier Leroux, directeur Deloitte Digital.
Mais d’une année sur l’autre, le cabinet de conseil se fait aussi un point d’honneur à réajuster certaines perspectives de son précédent rapport (cf Tech Trends 2016) qui n’ont pas évolué comme il l’avait prévu. Sur l’Internet des objets par exemple, le rythme n’a pas été aussi rapide qu’on l’attendait, a d’abord indiqué Sébastien Ropartz, associé chez Deloitte Digital. « Dans le domaine industriel, la grande vague de l’industrie 4.0 était censée se développer à toute vitesse », rappelle-t-il. Si le sujet a bien été pris en compte par les grands groupes, on n’a pas réussi à passer dans les phases de déploiement. On l’a abordé par les usages, mais il faut auparavant des business cases sur des cycles courts, sans lesquels les métiers ne veulent pas évoluer, explique l’associé. Les projets IoT continuent, sur un rythme plus lent. Deloitte fait un 2ème réajustement sur la blockchain qui reste néanmoins une tendance forte. « Nous avions prévu une démocratisation et potentiellement un début de généralisation, alors que nous sommes davantage sur des PoC et des communautés fermées », commente Sébastien Ropartz.
Huit années de rapports Tech Trends de Deloitte résumés en un schéma. (agrandir l'image)
1 - L’IT sans frontières
Pour 2017, la première tendance souligne la transformation de la DSI qui se rapproche des métiers et des partenaires externes pour « servir plus efficacement » les clients. Il faut encore gagner la confiance des décideurs métiers et constituer à cette fin des équipes beaucoup plus pluridisciplinaires. Le rapport de Deloitte cite l’exemple d’une grande banque, challengée par les services en ligne et les fintechs. Après s’être convertie à l’agile et à devops, elle ouvre des API sur ses systèmes d’information (l’économie des API était une tendance identifiée dans le rapport Tech Trends 2015) tout en travaillant avec des start-ups et en incubant des projets. « Cette prise de conscience a des impacts organisationnels très forts », indique François-Xavier Leroux en pointant la séparation qui s’affaisse entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. « Les vieux schémas sont en train de tomber », ce qui se répercute aussi sur la gestion des compétences dans les grands groupes. « De nouvelles générations de DSI arrivent et certains commencent à embarquer des business units. Dans certaines entreprises, le DSI va détenir une partie du business. C’est donc une forte transformation sur l’IT », conclut le directeur de Deloitte Digital.
2 – Dark analytics
De nouveaux gisements de valeur existent dans les données non structurées que l’on stocke, comme les images, le son, la vidéo ou les traces numériques, et que l’on ne savait pas forcément exploiter jusque-là. Les progrès importants réalisés ces deux dernières années sur l’Intelligence artificielle et les outils de deep learning qui s’appliquent à l’analyse des images et des fichiers sonores permettent de bâtir des cas d’usage qu’on ne pouvait pas développer avant. Deloitte cite l’exemple d’un groupe pétrolier qui exploite les données remontées de ses puits pour améliorer ses explorations et revenir le cas échéant sur des sites abandonnés. Mais pour tirer profit de ces données jusque-là inutilisées, il faut disposer des compétences requises, data scientists notamment, au besoin via des partenariats ou des rachats de start-ups. Deloitte note l’importance de la visualisation des données, « notamment pour l’acculturation des dirigeants », explique le cabinet.
3 – L’intelligence des machines
« L’intelligence artificielle, on en parle depuis 50 ans, mais on a franchi un pas décisif », rappelle Sébastien Ropartz. Dans le domaine de l’apprentissage machine, il rappelle que la mise en open source par Google en 2015 de son outil TensorFlow, l’un des outils les plus utilisés en IA, a notamment contribué à accélérer le développement des capacités algorithmiques sur ce terrain. « Nous sommes passés du monde de l’automatique dans lequel on construisait une chaîne de traitements prédictifs à des approches statistiques avec des programmes dont le comportement va s’adapter et guider la décision », décrit-il et cela commence avec des technologies hyper basiques comme les bots. « Sur cette question, je veux démystifier un point, nous ne sommes pas dans une destruction de l’emploi à tout va, le monde de ces robots se déploie, mais pas pour remplacer l’humain », assure l’associé de Deloitte Digital, car ces petits programmes réalisent des tâches extrêmement simples pour accélérer les processus, orienter les flux de courrier entrants par exemple. Certaines banques commencent à traiter ainsi 80% des réponses. « Cela va supprimer des tâches mais pas des postes », affirme pourtant Sébastien Ropartz. Néanmoins, lorsqu’on l’interroge sur la nécessité absolue de faire évoluer les compétences, comme l’a relayé en début d’année le syndicat national de la banque, l’associé de Deloitte Digital reconnaît que l’ensemble de ces technologies pose le problème fondamental de la formation. « L’IA ne donne pas une réponse à 100% mais vient accompagner les tâches des humains », complète Henri Pidault, CTO de Deloitte Digital.
4 – Réalité mixte
La réalité augmentée et la réalité virtuelle agrémentées d’un peu d’IoT vont trouver une place dans les entreprises dans les prochains mois, estime Deloitte, même si le potentiel de ces technologies est freiné par les questions d’ergonomie. Mais la possibilité de les utiliser en partie sur les smartphones va permettre de ne pas se doter d’équipements supplémentaires, estime François-Xavier Leroux. Les cas les plus concrets se rencontrent dans le monde industriel, avec des applications dans la maintenance prédictive en réalité augmentée, et sur les chaînes de montage. Sur la réalité virtuelle, Alstom a déjà déployé une salle de simulation. Les projets ont pu être freinés par des matériels pas totalement adaptés à ces usages. La prochaine étape serait de ne plus s’encombrer de ces équipements plutôt gênants, prévoit le directeur de Deloitte Digital. Certains acteurs de l’e-commerce s’appuient par ailleurs sur la réalité virtuelle pour mettre en avant leurs produits, mais cela reste marginal. Les grands de la consommation travaillent dessus et il devrait y avoir quelque chose dans les 18 ou 24 mois.
5- La refonte de l'architecture
Au-delà des sujets glamours, il y a de vrais sujets d’architecture IT parfois oubliés. Pour les CIO, mis au défi par les métiers et le digital, l’une des préoccupations majeures est de simplifier cette architecture. « Quand on arrive sur certains déploiements, on butte systématiquement sur les systèmes legacy », rappelle Sébastien Ropartz. Le CIO a donc un vrai problème, celui de transformer son cœur de SI pour déployer les nouvelles technologies. Sur ce terrain, les approches se tournent vers l’open source, le cloud, les standards ouverts, la virtualisation et la conteneurisation, déjà adoptée par les start-ups. Du côté des grands groupes, « la technologie de conteneurs commence à s’insérer sur de petites briques du SI », note l’associé.
6 – Everything as a service
Déjà identifiée, la dernière vague de transformation de la DSI, c’est de devenir un bouquet de services, accessibles au sein de l’entreprise, voire au-dehors. « La logique de marketplace revient assez souvent et cela positionne l’IT comme un gisement de valeur et plus comme un centre de coût », note François-Xavier Leroux.
7 – Blockchain, l’économie de la confiance
« L’an dernier, on pensait que blockchain allait disrupter la chaine de confiance. Ce n’est pas du tout ce qui s’est passé », constate le directeur de Deloitte Digital. « Ce sont justement les tiers de confiance – banques, assurances, systèmes de place comme Swift – qui se sont emparés de la technologie ». Nous sommes passés du mythe des pionniers centrés sur bitcoin à des acteurs qui manient finalement très bien les systèmes de chiffrement et qui entrent dans des essais réels. Par ailleurs, la blockchain se déploie sur des communautés fermées qui connaissent très bien les logiques de tiers de confiance. « Les acteurs traditionnels sont totalement montés sur ces technologies. Cela laisse envisager de beaux déploiements », prévoit Deloitte.
8 – Les technologies exponentielles
Dernière tendance en forme d’avertissement, les entreprises doivent « garder dans le viseur » toutes les technologies qui ne sont pas encore matures mais qui ont un fort potentiel de rupture et qui pourraient changer leurs business models dans un futur relativement proche. Les nanotechnologies, la biotechnologie, les technologies quantiques en font partie, énumère le cabinet de conseil. Dans un domaine comme le stockage de l’énergie, par exemple, celui qui aura réussi à développer un cas d’usage aura un avantage certain. « Il faut garder une veille très précise pour sentir assez vite le moment du décollage, car il y aura une prime au premier arrivé », avertit François-Xavier Leroux. Et la veille permettra aussi de lancer à temps la formation des équipes.