Chaque année, l’étude « Tech Trends » de Deloitte établit les tendances technologiques de fond qui transforment les directions informatiques et les modèles économiques. Son édition 2015, « La fusion du business et de l'IT », décrit 8 orientations « susceptibles d’avoir un impact significatif sur les entreprises » dans les deux ans. Elle souligne le rapprochement qui s’opère entre les départements informatiques et les métiers à l’heure des projets de transformation numériques centrés sur les clients.

Ce matin, lors d’un point presse à Paris, Eric Delgove et Sébastien Ropartz, associés du cabinet de conseil en France, ont aussi pris le temps de faire le point sur les orientations présentées en 2014 et de les ajuster. Les principales se sont confirmées, notamment le rôle de « capital risqueur » des directeurs des systèmes d’information. Ces derniers hésitent de moins en moins à prendre certains risques pour ajouter de la valeur au patrimoine informatique de l’entreprise, avec des démarches d’expérimentation, même si, souligne Deloitte, « le droit à l’erreur est encore difficilement accepté sur les grands programmes ». Les DSI sont également conscients du poids, dans leurs SI, du code historique coûteux à modifier, qualifié par le cabinet de dette technique. L’accélération de la mise en production avec DevOps est devenue l’une de leurs priorités, de même que le besoin d’orchestration dans le cloud pour relier les services.

Retour 2014 : peu de wearables dans l'entreprise

Pour d’autres tendances en développement, comme l’analyse cognitive et le in-memory pour les systèmes transactionnels, la concrétisation apparaît moins nettement dans les projets en cours. Enfin, deux domaines n’ont pas évolué aussi vite que prévu, comme l’introduction des « wearables » (objets et vêtements connectés) dans l’entreprise. La pause faite par Google sur ses lunettes en atteste. De même, l’utilisation des influenceurs sur les réseaux sociaux n’a pas pris l’ampleur estimée l’an dernier, en partie selon le cabinet en raison des contraintes liées à la protection de la vie privée. « Cela reste naissant », constate Sébastien Ropartz qui pense que la tendance est décalée d’un an [NDLR : dans ce domaine, le Français Augure vient de lever 15 M€]. Pour l’instant, l’utilisation des médias se centre surtout sur l’écoute des clients afin de pouvoir réagir.

Cette année, dans son étude « Tech Trends 2015 : The fusion of business and IT », la 1ère des huit tendances décrites par Deloitte porte sur l’évolution du rôle de DSI à l’heure des projets numériques. Le cabinet décrit aussi le potentiel derrière les API, la valeur additionnelle des objets connectés, les enjeux du marketing personnalisé, le retour des applications cœur de métiers ou encore l’intelligence amplifiée. Il aborde aussi les nouvelles compétences que la DSI devra s’attacher pour mener à bien sa mission.

1 – Le CIO vu comme un Chief Integration Officer

« La transformation numérique continue à bouleverser le rôle du DSI, pris dans une bataille défensive de repositionnement », a pointé Eric Delgove ce matin. « Cette dimension digitale n’existait pas il y a deux ans ». Pour intégrer les innovations technologiques exigées par ces projets tout en gardant l’équilibre sur la réalité opérationnelle, le DSI « doit devenir le hub de cette nouvelle organisation » entre les directions métiers et les nouveaux rôles qui se créent parmi ces « C-level ». Aux côtés des CEO, CIO, CFO, CMO, on trouve maintenant des chief digital officer, des chief data officer ou des chief innovation officer. Dans ce contexte, on attend du CIO qu’il soit capable d’importer des idées, de les tester et de dialoguer autour d’objectifs partagés par la DSI et les métiers.

2 - L’économie des API

« Au premier abord, cette tendance semble très technique, elle est en fait hyper business », avertit Sébastien Ropartz. Quand les entreprises ouvrent des API (10 000 d’entre elles ont été publiées sur les 18 derniers mois), qu’elles standardisent et documentent cet accès au cœur de leurs systèmes d’information, elles le font pour plusieurs raisons, rappelle-t-il. Certes, elles transmettent des données vers l’extérieur, mais elles en récupèrent aussi potentiellement et « étendent leur influence sur le marché ». L’associé de Deloitte cite le cas des voyagistes. En ouvrant leurs API vers les agences, ils pourront en retour accéder directement aux informations sur les passagers et activer leur propre CRM pour éviter de se faire « désintermédier » par l’agence de voyage, explique-t-il. Autre cas cité, celui du Crédit Agricole avec son CA Store. En permettant aux développeurs d’accéder à ses données, la banque favorise la constitution d’un écosystème qui bâtit des services pour elle. En deux ans, 23 applications ont été développées sur CA Store. Deloitte souligne que pour savoir quelles données ouvrir, les métiers sont essentiels pour déterminer celles qui sont les plus créatrices de valeur pour l’entreprise.

3 – L’informatique ambiante au profit de l’entreprise

Les entreprises explorent le potentiel des objets connectés mais elles sont encore peu nombreuses à en apprécier l’étendu, estime Deloitte. Pour l’instant, la plupart de ces objets sont reliés à un réseau fermé. « Ce que l’on voit se dégager, c’est le passage à une dimension de réseaux d’objets pour fournir une valeur additionnelle à l’utilisateur », explique Eric Delgove. Pour exploiter ce potentiel, il faut maîtriser l’analytique, la sécurité, l’intégration et l’orchestration, définit Deloitte. « Demain, la couche d’analytique au-dessus des objets connectés me permettra d’avoir des informations, par exemple à adresser au conducteur d’un véhicule, personnalisées en fonction de son parcours et de ses habitudes », explique l’associé. Le cabinet cite l’exemple de l’assureur Axa dont la filiale Direct Assurance prévoit une offre « Pay how you drive » incluant le tracker Withings. Du côté métier, on passe d’une logique de gestion des sinistres à une relation de prévention.

4 – Un marketing à multiples dimensions

« Cette tendance illustre un phénomène de poids, celle de l’hyper-personnalisation du marketing », a exposé ce matin Sébastien Ropartz. Sur les 5 à 6 dernières années, les entreprises se sont concentrées sur l’optimisation de leur relation client par canal, avec pour chacun une politique marketing. « Aujourd’hui, l’approche omnicanale du marketing est encore à faire et elle est très structurante », rappelle l’associé de Deloitte en pointant l’intégration avec les applications de back office. Il faut néanmoins le faire pour être en mesure de s’adresser au client « sans couture ». « Tout le monde est en train d’opérer cette bascule pour éviter les ruptures entre les canaux. La mécanique est en marche, mais il y a énormément d’ajustements à faire ». Pour Deloitte, le terrain est désormais propice pour mettre plus de technologie et d’analytique dans le marketing, ce qui doit amener les CMO à travailler avec les CIO. Selon le cabinet, 45% des marketeurs pensent que la donnée est encore sous-utilisée en marketing.[[page]]

 5 – Software-Defined Everything : logiciel à tous les niveaux

La virtualisation des datacenters (serveurs, réseaux, stockage) permet de faire baisser de 20% leurs coûts d’exploitation. Mais elle doit aussi permettre de réduire les temps de mise à disposition des ressources en automatisant les opérations et en fluidifiant les activités. Les DSI sont constamment interpellés par leurs utilisateurs les plus jeunes qui ne comprennent pas pourquoi ils doivent attendre deux semaines un serveur qu’ils peuvent avoir immédiatement sur Amazon Web Services ou sur un autre cloud public, fait remarquer Eric Delgove. « Avec la mise en oeuvre de DevOps, on a besoin d’agilité au service de l’informatique interne. Mais si on n’est pas capable de supprimer des ressources non exploitées, on va vers des coûts hors de contrôle », rappelle l’associé. Il cite ici le cas de Morpho, du groupe Safran, qui a fait majoritairement muter ses infrastructures vers des solutions IaaS Open Source d’OpenStack. Il a acquis la capacité à générer 30 000 instances de machines virtuelles par mois pour accélérer les tests. Chaque mois, 30% des VM ne sont pas redémarrées par les utilisateurs et peuvent être de nouveau libérées.

6 – La transformation des applications cœur de métier

Deloitte baptise cette tendance la « Core Renaissance ». « Ce n’est pas forcément la plus sexy, mais c’est une tendance de fonds », assure Sébastien Ropartz. Les entreprises se demandent si elles doivent sortir des applications cœur de métier sur lesquelles elles ont beaucoup investi mais qu’elles ont finalement peu entretenues ces dernières années. « Ces core systems sont en train de renaître », expose l’associé de Deloitte. « On s’est rendu compte que leurs coûts d’exploitation sont extrêmement faibles ». Poussées par le besoin de retravailler leur Front Office, les entreprises essaient de rendre ces modèles agiles en réécrivant tout ou partie des programmes pour pouvoir en décommissionner certains pans. Quatre approches sont à l’oeuvre : l'évolution des plateformes (modernisation des infrastructures, consolidation des environnements, montée de versions), la remédiation (encapsulation des interfaces et règles métiers, réduction de la dette technique, nettoyage des données), la revitalisation (avec des processus remodelés orientés utilisateur et des extensions web, mobiles et sociales) et la refonte (migration vers le cloud de pans fonctionnels, suppression des dépendances inutiles).

7 – L’intelligence amplifiée

L’apprentissage machine et la modélisation prédictive sur des données massives, complexes et peu structurées commencent à être utilisées pour accroître les connaissances et les capacités de l’utilisateur et non pour se substituer à lui. La technologie Watson d’IBM a déjà été mise à la disposition des médecins outre-Atlantique pour les aider dans leur diagnostic. Toujours aux Etats-Unis, une assurance santé prévoyait de l’utiliser dans son centre d’appels pour réduire la durée des échanges avec des assurés appelant pour savoir quels médicaments leur seraient remboursés sur la base de leur dossier médical. L’échange pouvait être ramené de 20 minutes à 8 secondes et l’assurance pouvait diviser par 10 la taille de son centre d’appels (de 3 000 à 300 personnes). « Ils ne l’ont pas fait car l’utilisateur ne voulait pas parler à un ordinateur », a expliqué Eric Delgove, mais ils ont finalement utilisé ces ressources pour renforcer les informations mises à la disposition des téléconseillers médicaux. Deloitte cite aussi l’exemple français de Dassault Systèmes qui propose avec son logiciel Perfect Shelf de simuler de façon réaliste les points de vente dans des environnements 3D et de tester l’impact de l’organisation des linéaires.

8 – Le collaborateur IT de demain

« Les DSI se penchent enfin sur le problème de compétences de leurs équipes », souligne Sébastien Ropartz. Les départements informatiques ont externalisé beaucoup de choses (TMA, offshoring…), elles ont maintenant besoin de compétences techniques en interne et de reprendre la maîtrise, insiste l’associé de Deloitte. « Il faut attirer de nouveaux talents ». Les DSI n’avaient pas toujours de budget pour recruter et cela reste « compliqué d’attirer autour de l’IT, même autour du numérique ». En Europe, l’offre d’emploi dans le secteur du numérique dépasse la demande, indique le cabinet de conseil qui souligne que la capacité d'une entreprise à favoriser l'innovation est un facteur d'attractivité. Autre question : quelles devront être, demain, les compétences à trouver dans l’entreprise. « La principale, c’est la faculté d’adaptation, pour pouvoir traiter l’ensemble des transformations technologiques », avertit Sébastien Ropartz. « Les entreprises ont compris enfin que l’agilité n’était pas seulement une problématique de delivery des projets ». Il faut valoriser la capacité d'apprentissage, avec les MOOC notamment. Il reste une question délicate : comment arriver à gérer les compétences sans casse sociale avec des contraintes à court terme.