DADVSI : la saisine du Conseil constitutionnel au microscope
La loi sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI) sera-t-il censuré par le Conseil constitutionnel ? Le texte, adopté le 30 juin par le Parlement, fait en effet l'objet d'un recours devant le gardien de la norme suprême déposé par une coalition de députés de gauche et de l'UDF. Cyril Rojinsky, avocat au barreau de Paris, décortique à notre demande les arguments avancés dans la saisine et apporte ses éclairages sur leur portée.
Une procédure législative hasardeuse
Les premiers éléments de la saisine concernent la procédure législative. En particulier, le retrait de l'article 1er puis sa réintroduction dans les débats. "Cet article concerne un élément essentiel voté par surprise, note maître Rojinsky, puisqu'il porte sur la licence globale. Il a été retiré du projet de loi, puis réintroduit par le gouvernement sans possibilité de l'amender. Or, on ne peut retirer que l'ensemble du texte, et pas simplement un article".
Jean-Louis Debré, le président de l'Assemblée nationale, avait beau jeu de défendre cette façon de faire et de claironner qu'il disposait des références jurisprudentielles la justifiant. Il n'a jamais été en mesure de satisfaire Jean-Marc Ayrault qui lui en demandait copie. "Le Conseil constitutionnel peut considérer que le retrait de l'article 1er suivi de sa réintroduction est un vice important et décider de censurer le texte dans son ensemble. Ou simplement s'en prendre à l'article concerné, s'il estime qu'il n'est pas indivisible du reste", note Cyril Rojinsky.
Un manque de clarté omniprésent
Sur le fond, les arguments avancés dans la saisine "sont globalement connexes les uns des autres", selon maître Rojinsky. Les premiers concernent le non respect du principe d'intelligibilité de la loi : un texte de loi est censé être clair et compréhensible par le citoyen. "Or, déplore l'avocat, il reste obscur même pour les juristes : de nombreuses dispositions sont inintelligibles". C'est le cas, par exemple, de l'interopérabilité qui est prévue sans être définie et doit donc faire l'objet d'une interprétation. Cela laisse une grande marge de manoeuvre au gouvernement lorsqu'il s'agira de publier les décrets d'application.
Deuxième principe violé : la légalité des délits et des peines. "La loi pénale est d'interprétation stricte, explique maître Rojinsky. Les délits et les peines doivent être clairement définis. Mais de nombreuses définitions manquent dans ce texte". C'est notamment le cas de l'interopérabilité, une nouvelle fois mise en cause, qui ne bénéficie d'aucune définition légale. Ce qui pose problème : la loi prévoit en effet que le contournement des mesures techniques de protection à fin d'interopérabilité permet d'échapper à des poursuites. Mais si l'interopérabilité n'est pas explicitée, cette mesure reste caduque et inapplicable.
Enfin, dans ce panorama non exhaustif des arguments potentiellement recevables par le Conseil constitutionnel, terminons par l'existence dans le texte de différenciations, voire de discriminations, non motivées par l'intérêt général. Si le droit constitutionnel autorise des exceptions au principe d'égalité en raison de situations objectivement différentes, "la loi pose des différenciations pas justifiées, par exemple entre le droit des auteurs et les droits voisins", souligne Cyril Rojinsky.
Au final, le Conseil constitutionnel censurera-t-il la loi ? "C'est difficile de se prononcer, répond maître Rojinsky. On pourra assister à une censure partielle, sur certains éléments du texte. Surtout, le Conseil pourra apporter des réserves d'interprétation, c'est-à-dire qu'il donnera des pistes pour aider le juge à interpréter les dispositions de la loi. C'est un travail de clarification qui s'avérerait bénéfique pour tout le monde", conclut le juriste.