Depuis plusieurs semaines, les discussions se poursuivent, sous tension, concernant la possibilité d’une redevance sur la copie privée appliquée aux appareils reconditionnés. Les acteurs du reconditionnement sont inquiets face à cette éventualité. Hier, la Commission pour la rémunération de la copie privée – l’autorité en charge d’appliquer cette taxe et rattachée au ministère de la Culture - a adopté un barème spécifique pour ces appareils instituant un abattement de 35% pour les tablettes et 40% pour les smartphones. Cela représenterait ainsi un montant de 7,80 euros pour les tablettes contre 7,20 euros pour les smartphones, quand on sait qu’une ponction de 12 euros est appliquée aux produits neufs en amont.
L’annonce met à mal le travail des acteurs du reconditionnement, qui voient dans cette décision de potentielles pertes pour de nombreuses PME et des emplois sur la sellette. La tribune dominicale du Journal du Dimanche, « Ecologie ou exception culturelle : la question ne devrait pas se poser ! », signée par 1661 artistes, auteurs et acteurs de la culture est un coup supplémentaire porté aux entreprises de reconditionnement.
Une tribune aux arguments et chiffres douteux
Cette tribune a été l'occasion pour les signataires de défendre leur point de vue et une application à la lettre du droit d'auteur, dans ce contexte de crise sanitaire. Mettant en porte-à-faux « les vendeurs de produits reconditionnés [qui] refusent de contribuer à ce système vertueux », les artistes voient dans la position de ces vendeurs une manière de se défausser grâce à l'économie circulaire et l'écologie. Cet argument n’a pas ravi les acteurs du reconditionnement, « injustement » pris pour cibles. Parmi eux, Benoit Varin, cofondateur de Recommerce a tenu à répondre à cette tribune. « Il est totalement incorrect de présenter cette citation comme étant l’argument des reconditionneurs français. Il n’en n’est rien. Il est aussi inexact de nous faire dire que nous refusons de respecter le droit européen ». En effet, l’article 14bis B adopté sans modification par la Commission du développement durable à l’Assemblée nationale stipule que « les équipements numériques reconditionnés ne seront pas assujettis au paiement de la rémunération pour copie privée, lorsque ces équipements ont déjà donné lieu à une telle rémunération ». Ainsi, seuls les appareils neufs doivent actuellement payer cette rémunération pour copie privée.
Pour Benoit Varin, « le débat actuel porte bien sur la création d’une nouvelle charge qui pèsera sur les reconditionneurs, pas sur une perte qui pourrait être subie par le secteur de la culture ». L’agacement est perceptible face à la citation d’un seul acteur, Back Market, défendu dans la tribune comme « un écrasant leader en France de la vente de produits électroniques reconditionnés qui capte 85% de ce marché » alors que celui-ci n’est en fait qu’une marketplace pour les produits reconditionnés. « il ne sera pas touché par la copie privée », affirme ainsi le cofondateur de Recommerce. « Ce ne sont pas eux que Copie France cherche à assujettir à la rémunération pour copie privée. C’est la filière française, composées de TPE-PME au modèle fragile qui sera taxée. Back Market, en tant que partenaire, a simplement voulu nous aider à défendre notre filière en profitant de l’annonce d’une actualité forte liée à leur levée de fonds » ajoute-t-il.
Un marché et des emplois en péril
Alors que les artistes de la culture, signataires de la tribune, affirment que « les smartphones reconditionnés représentent déjà près de 15% des téléphones achetés en France », la réponse apportée par Benoit Varin, président de Rcube et Jean Lionel Laccourreyre, président du SIRRMIET (Syndicat interprofessionnel du reconditionnement et de la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms) donne certaines précisions quant à la réalité du marché. « Le marché des téléphones reconditionnés progresse, cela équivaut aujourd'hui à 10% des ventes de téléphones ». Représenté par des TPE et PME françaises, le marché est encore instable et cette annonce pourrait faire flancher certaines entreprises. « 2 500 emplois sont en jeu sur les 5 000 que nous représentons aujourd’hui », explique Benoit Varin. « Sur la vente d’un iPhone 8 de 64 Go, nous dégageons 18,33 euros de marge qui nous servent à payer nos charges, nos employés, notre matériel » précise-t-il. Face à cela, une redevance de 7,20 euros représente une somme conséquente pour ces entreprises. « C’est avant tout pour le prix que les consommateurs achètent des appareils reconditionnés », rappelle-t-il.
Concernant la rémunération de la copie privée, on note une forte augmentation des droits collectés en un an malgré la crise sanitaire, passant ainsi de 260 millions d’euros en 2019 à 273 millions d’euros en 2020. La prochaine étape, décisive pour les reconditionneurs, concerne la proposition de loi sur l'empreinte environnementale du numérique débattue à l’Assemblée nationale le 10 juin prochain. A cette occasion, les acteurs français du reconditionnement comptent faire bloc, notamment concernant la menace de suppression de l’article 14bis B qui protège actuellement le secteur de toute redevance supplémentaire. Dans une vision plus large, les reconditionneurs français souhaitent se rapprocher des autres acteurs européens, notamment avec l’association Eurefas, afin de demander une harmonisation européenne en matière de copie privée et une définition commune du reconditionnement, parfois confondu avec le terme « renewed » (qui signifie remis à neuf).