Les réglementations européennes seront de plus en plus nombreuses et contraignantes pour assurer la résilience des infrastructures IT à l’image de celle de DORA pour Digital Operational Resilience Act. Les exigences de ce cadre réglementaire portent sur chaque aspect de la cybersécurité, y compris la surveillance des cybermenaces et le signalement des cyberattaques mais aussi sur des contraintes en matière de sauvegarde et d’archivage à long terme. Cette réglementation applicable dès janvier 2025, aura pour mission de renforcer la résilience opérationnelle IT des acteurs du secteur financier, les banques et les assurances notamment, y compris les prestataires de services TIC qui opèrent au sein de l’Union européenne dans ces services financiers. Au total, près de 22 000 organisations seraient concernées. Une petite introduction pour rappeler que les sauvegardes ne sont plus une option et que l’archivage des documents sensibles est un véritable enjeu pour les entreprises européennes.
Pour le stockage à très long terme, le cold storage, les options ne sont pas nombreuses, que ce soient dans le cloud ou en local. Les solutions reposent sur des disques optiques, des disques durs (en mode classique ou Worm - Write Once Read Many), et bien sûr les librairies de bande avec des unités de Spectra Logic ou Quantum. Toutes ces solutions ont bien sûr des limites en termes de capacité de données stockable (200 Go sur les Blu-Ray multicouches, 30 To sur les HDD et jusqu’à 18 To sans compression sur les cartouches LTO-9) et de durabilité. De 15 à 30 ans pour la bande si les bonnes conditions de conservation (humidité et températures) sont maintenues, 20 à 40 ans pour les BDXL et enfin 5 à 6 ans pour les HDD hélium. Des solutions alternatives sont en cours de développement pour l’archivage à long terme avec des initiatives autour de l’ADN (Bio-Memory en France par exemple) et les projets de Microsoft (Silica) et de Cerabyte (stockage des données sur des plaques de verre et céramique).
Encore au stade de prototype
Lors d’un IT Press Tour dans la Silicon Valley, nous avons rencontré à Palo Alto des dirigeants de Cerabyte, une start-up allemande fondée par Christian Pflaum (CEO), Alexander Pflaum (CFO) et Martin Kunze (CMO). Christian Pflaum nous a expliqué que “ 70% des données sont froides et rarement activées après 90 jours, mais conservées durant des décennies par les entreprises”. L’objectif de Cerabyte est de proposer une solution capable de résister à des températures extrêmes (-273 à 300°), aux champs électromagnétiques, aux UV et aux radiations et de stocker des données pendant une centaine d’années. Le matériau exploité par Cerabyte pour l’écriture puis la lecture est un substrat en verre du type Gorilla Glass (un petit carré pour commencer avant de passer à un ruban flexible) avec des couches de céramique de 50 à 100 atomes d'épaisseur déposées sur le substrat. Les données sont gravées dans la céramique avec des impulsions laser femtosecondes façonnées par un dispositif à micro-miroir numérique et projetées à travers l'optique d'un microscope sur la surface du support. Les données sont stockées sous forme de carrés de micro-points semblables à des QR-Codes. Les trous brûlés représentent un zéro binaire et l'absence de trou brûlé représente un 1. Le carré de verre peut de plus être double face pour une capacité supplémentaire. Ce support d’environ 15 cm est ensuite intégré dans une cartouche qui peut aujourd’hui accueillir 3 plaques de verre, mais Cerabyte prévoit d’en insérer 10, puis à terme 100.
La plaque de verre avec un substrat de céramique s'insère dans une cartouche pour plus de sécurité. (Crédit S.L.)
“ Un système de démonstration entièrement opérationnel, composé d'un rack de lecture et de plusieurs racks de bibliothèque a été développé”, nous a indiqué le CEO. " Pour écrire sur le support de données, une cartouche est transportée d'un rack de bibliothèque vers le rack de lecture. Ensuite, il est ouvert et un support de données est retiré et positionné. Les données sont écrites sous forme de motifs de type QR Code avec une vérification des données écrites à l’aide d’une caméra microscope. Lorsqu'un support de données est entièrement écrit, il est renvoyé dans la cartouche qui est ensuite replacée dans la bibliothèque. Le flux de travail de lecture est similaire : seules les caméras du microscope sont engagées et les données sont lues dans les deux sens. La correction des erreurs et l'allocation de fichiers fonctionneront de la même manière que les autres technologies de stockage de données traditionnelles”.
Ce premier système ne rivalise évidemment pas avec les systèmes de stockage sur bande les plus modernes. Cerabyte a établi une ambitieuse feuille de route sur 6 ans pour rassurer les investisseurs et les clients. Avec son modèle de démonstration, Cerabyte propose aujourd’hui jusqu’à 1 Po dans une baie, avec un débit de 100 Mbit/s, mais envisage dès 2025 d’atteindre 5 Po par baie avec un débit de 500 Mbit/s, 10 à 30 Po avec un débit de 1 Gbit/s en 2026/2027, et enfin 60 à 100 Po avec de 2 Gbit/s de débit en 2028-2030 (voir infographie ci-dessous).” La simplicité du support de données en verre n'est que l'une des nombreuses raisons pour lesquelles Cerabyte est une technologie rentable et évolutive pour le stockage futur des données. Aucune énergie n'est consommée pour conserver les données et aucune migration de données n'est requise une fois écrites, ou pour être plus précis, une seule migration de données est nécessaire” assure le dirigeant.
Le prototype de Cerabyte se compose d’une baie qui permet d’écrire les données sur le support de stockage en verre/céramique et de les lire ultérieurement. D'autres modèles avec plus de capacité sont attendus dans les prochaines années. (Crédit S.L.)
Silica peine à émerger
Outre sa durée de vie, le produit de Cerabyte se distingue par sa faible empreinte carbone puisque la conservation à long terme ne nécessite pas d’énergie. Cette solution allemande n’est toutefois pas la premiére à explorer les possibilités du stockage sur verre. Le projet Silica de Microsoft – pour ses besoins internes - a été présenté en 2017, puis relancer en 2019 avec Warner Bros, pour répondre aux besoins de stockage durable à long terme avec un support Worm sur une plaque de quartz. L’écriture des données passe ici aussi par des lasers femtosecondes et la lecture recourt à une microscopie utilisant une lumière ordinaire. Même si la démonstration de Microsoft montre que la solution n’en est plus au stade de projet théorique, elle n'est pas encore prête pour une mise en production.
Les fabricants de supports de stockage essayent depuis longtemps de résoudre discrètement l’épineux problème de l’archivage des données. Des supports comme les BDR et les bandes, longtemps utilisés pour le stockage des données, subissent une dégradation sûre et tranquille. De même, les disques durs ne peuvent pas tourner indéfiniment. Les fournisseurs de contenu doivent trouver un équilibre entre la maintenance constante de leur solution de stockage, des serveurs par exemple, et le coût de la préservation des données qu’il faut renouveler tous les six ans environ. Le verre est peut-être la solution, mais il y a encore du chemin à faire avant qu’elle n’arrive sur le marché.