Depuis 2011, Apple occupe presque chaque jour la première place des entreprises en termes de capitalisation boursière. Quand elle s'y est hissée pour la première fois, la firme de Cupertino était valorisée un peu moins de 340 Md$. En juin dernier, elle est devenue la première société de l'histoire à atteindre une capitalisation boursière de 3 000 Md$. L'ascension et la domination continue d'Apple ont été alimentées par l'innovation apportée à ses produits et leur design élégant, et par une attention obsessionnelle pour les petits détails. Depuis toujours, Microsoft est l'anti-Apple. Personne ne qualifierait d'élégant son système d'exploitation Windows.
Quiconque a déjà utilisé un produit Microsoft ne dirait pas non plus que l'entreprise se montre maniaque sur les moindres détails. Quant à l'innovation, bon nombre de ses produits sont des imitations qui doivent surtout leur réussite au monopole mondial détenu par Microsoft sur les PC portables et les ordinateurs de bureau par l'entremise de son OS. Mais il y a de fortes chances qu'en 2024, Microsoft dépasse Apple sur le plan de la capitalisation boursière et qu'il conserve cette avance dans un avenir proche. Il le fera en s'appuyant sur l'innovation, alors qu'Apple va se contenter d'exploiter une gamme de produits vieillissante pour maintenir ses bénéfices.
Steve Jobs au coeur du succès d'Apple
Ce n'est un secret pour personne : le succès fulgurant d'Apple repose sur la vision singulière de Steve Jobs. Les produits les plus importants de la société, du Macintosh à l'iPod, en passant par l'iMac, le MacBook, l'iPhone et l'iPad, portent son empreinte unique. Ce n'est pas qu'il ait imaginé de nouveaux produits à partir de rien. Le Mac, par exemple, est sorti trois ans après le PC d'IBM. Et Microsoft avait un système d'exploitation mobile appelé Pocket PC, puis Windows Mobile dès 2003, soit quatre ans avant le lancement de l'iPhone. Mais le génie de Jobs, c'est qu'il a été capable de réinventer les produits existants, de comprendre comment les gens voulaient les utiliser (avant même qu'ils ne le sachent eux-mêmes). Les produits qu'il a créés transcendaient leur fonctionnalité et étaient beaux à regarder, à toucher et à utiliser. On peut prendre n'importe lequel d'entre eux, pas nécessairement pour faire quelque chose, mais juste pour le plaisir de les utiliser.
Il est rare que l'on éprouve du plaisir à utiliser un produit conçu par Microsoft. Par exemple, le système d'exploitation Windows Mobile était aussi terne que possible. L'idée était de mettre Windows dans la poche, mais l'OS mobile n'avait rien d'agréable. Il était difficile à utiliser et ne permettait même pas d'exécuter des applications téléchargeables. Doté d'un meilleur logiciel et d'un matériel de qualité supérieure, l'iPhone représentait tout ce que Windows Mobile n'était pas : un superbe design, un objet irrésistible et, une fois en main, un outil dont on ne pouvait plus se passer. Après son lancement en 2007, l'iPhone a gonflé le chiffre d'affaires d'Apple de plusieurs milliards de dollars. C'est la principale raison pour laquelle le fabricant est aujourd'hui la plus grande entreprise du monde. Tim Cook a été un excellent gardien du travail initié par Jobs. Ce technocrate classique a su accroître l'efficacité, cibler de nouveaux marchés et tirer chaque dollar possible des produits Apple. Mais ce n'est pas un visionnaire. Sous sa direction, il n'y a pas eu de nouveaux produits révolutionnaires. Certes, il a lancé l'Apple Watch et les AirPods. Mais ni l'un ni l'autre n'ont changé la donne.
Aucune technologie révolutionnaire en vue chez Apple
Ni l'un ni l'autre n'a transformé le monde de la technologie et le monde lui-même, comme l'ont fait les produits créés par Steve Jobs. L'ancien directeur du design d'Apple, Jony Ive, qui a travaillé aux côtés de Steve Jobs sur ses produits les plus transformateurs, explique ainsi la différence entre Apple sous Steve Jobs et Apple sous Tim Cook : sous Jobs, l'entreprise « fabriquait des produits qui ont changé le monde ». Depuis, l'objectif de l'entreprise est plutôt de « faire une tonne d'argent ». Jony Ive n'a pas tout à fait raison. Les produits qui changent le monde sont finalement plus rentables que les produits conçus uniquement pour gagner de l'argent. Et c'est bien là le problème d'Apple aujourd'hui : aucune nouvelle technologie susceptible de changer le monde n'est en vue. Bien que son casque Vision Pro, dont la sortie est prévue en 2024, puisse certainement contribuer à bouleverser le marché de la réalité augmentée et de la réalité virtuelle.
Microsoft a suivi une trajectoire diamétralement opposée à celle d'Apple. L'entreprise s'est construite sur le travail fastidieux plutôt que sur la vision. Dès le départ, le fondateur Bill Gates a davantage cherché à gagner le plus d'argent possible, le plus rapidement possible, plutôt que d'avoir des idées révolutionnaires ou de soigner le design de ses produits. À propos de Gates, Jobs ne se privait pas de dire ce qu'il pensait. Il a notamment déclaré un jour : « Bill est fondamentalement dépourvu d'imagination et il n'a jamais rien inventé... Il n'a fait que reprendre sans vergogne les idées des autres ». Il y avait une grande part de vérité dans ces propos. Mais Steve Jobs reconnaissait également que Bill Gates était probablement un homme d'affaires plus brillant que lui, et il lui faisait des compliments sans nuances, comme celui-ci : « Il n'a jamais vraiment compris ce qu'était la technologie, n'a jamais su ce que c'était, mais il avait un instinct extraordinaire pour ce qui marche ».
L'orientation inspirée de Microsoft vers le cloud et maintenant l'IA
Le second CEO de Microsoft, Steve Ballmer, se souciait encore moins que Bill Gates des produits. Lui et Gates ont utilisé Windows comme une masse pour écraser les concurrents et s'emparer de parts sur d'autres marchés. Mais cette stratégie n'a fonctionné qu'un temps. Sous la direction de M. Ballmer, Microsoft a fini par stagner, puis par sombrer. Pour une raison simple : le monde l'a abandonné. Google a lancé un moteur de recherche et un navigateur, et Microsoft n'a pas pu rivaliser. Apple a créé l'iPhone et Microsoft n'a pas pu rivaliser. En l'absence de produits révolutionnaires, l'entreprise était vouée à un long et inévitable déclin. Du moins, jusqu'à ce que Satya Nadella en prenne la direction en 2014. Au début, M. Nadella ressemblait à un technocrate classique comme Tim Cook. Il a passé en revue sans passion la gamme de produits de Microsoft et a supprimé ceux qui ne réussissaient pas, notamment Windows Phone, un gouffre financier qui a coûté plusieurs milliards de dollars à l'entreprise. Il a reconnu que l'avenir était dans le cloud et a multiplié les produits basés sur le cloud, tout en migrant des produits comme Microsoft Office (pas Microsoft 365) dans le cloud.
C'est ce qui a permis à l'entreprise de se redresser. Mais cela ne suffit pas à faire de Microsoft la plus grande entreprise du monde. C'est là que M. Nadella, avec sa voix douce, a montré qu'il pouvait être autant visionnaire que technocrate. Il a reconnu que l'intelligence artificielle (IA) était l'avenir et a misé gros sur cette technologie : 13 Md$ d'investissements dans la seule OpenAI, et qui sait combien d'autres milliards en interne. À terme, l'IA sera utilisée dans tous les produits Microsoft, ceux qui existent aujourd'hui et ceux qui existeront demain. Selon une estimation, l'IA générera 12 000 Md$ d'ici à 2030. Microsoft, qui est actuellement le leader dans le domaine de l'IA, et continuera probablement à dominer ce marché, est celui qui en tirera le plus de revenus. Si l'on ajoute à cela sa présence importante dans le cloud, il est probable qu'en 2024, Microsoft dépassera Apple au rang de première entreprise mondiale en capitalisation boursière. Apple ne pourra pas rattraper son retard, à moins de sortir un produit révolutionnaire. Ce qui est peu probable sous la direction de Tim Cook. Car en fin de compte, dans le monde de la technologie, ce qui compte, c'est la vision, plus que l'efficacité.