Le géant pétrolier et gazier BP prévoit de fermer ses deux datacenters européens et de transférer 900 applications vers le cloud d’Amazon Web Services (AWS) au cours des deux prochaines années et demie, dans le cadre d'une stratégie de migration cloud ambitieuse. Après avoir transféré la majorité des charges de travail de son datacenter de Houston (Texas) vers l'infrastructure de cloud public de Microsoft Azure et d'Amazon Web Services, BP a décidé d'opter pour AWS pour sa migration cloud en Europe. « Notre stratégie cloud repose sur deux fournisseurs. Pour notre datacenter américain, nous utilisons également Azure et nous sommes des partenaires importants de Microsoft. Avec deux fournisseurs, nous avons le choix, et c’est vraiment utile pour nous. Nous pensons que les deux restent honnêtes et nous continuerons à varier nos usages entre l’un et l’autre », a déclaré Stewart Fry, vice-président mondial des services IT d'entreprise et des plateformes numériques de BP à nos confrères de Computerworld, lors de la conférence AWS Re:invent qui a eu lieu du 30 novembre au 4 décembre à Las Vegas.
Alors, pourquoi ce choix unique d’AWS pour la migration cloud en Europe ? « Pour des solutions d'ingénierie, et pour que les ingénieurs puissent travailler ensemble, AWS est notre préférence », a répondu Stewart Fry. Ce dernier craignait qu'en optant pour du multicloud, l'entreprise « diluerait l'échelle et l'aide qu’elle pouvait obtenir d'un partenaire, et nous savons que nous avons besoin de l'aide d'un partenaire », a-t-il ajouté. « Nous restons toujours en mode double fournisseur cloud pour de nouvelles applications, et nos équipes peuvent choisir. Nous ne leur imposons rien. Nous interdisons seulement d’aller sur Google, mais elles peuvent choisir l'un ou l'autre de ces deux fournisseurs, sans privilégier pas l'un par rapport à l'autre ».
Du cloud first 100% public
Cette migration fait partie de la stratégie « Cloud First » globale initiée en 2013 par l’entreprise, qui est passée en 2016 d'une stratégie cloud hybride à une stratégie « 100 % cloud public ». Cette année-là, BP a mis en route un nouveau plan de migration. L’entreprise a fermé ses propres datacenters, à commencer par celui de Houston. « Dans le cas de ce premier datacenter, il n’était pas question de déplacement », a-t-il déclaré. « Tout devait passer par une certaine transformation... Soit une mise à niveau d'OS, soit une migration de base de données vers [Amazon] Aurora ou RDS, soit un ré-ingénierie ». Avec cette approche, BP s’obligeait à évaluer la viabilité de toute application, ce qui entraînait une dépréciation naturelle bienvenue des systèmes existants. « Sur Houston, nous avons rationalisé un peu moins de 30 % de nos applications », a déclaré M. Fry. « Nous pensions atteindre un niveau de rationalisation compris entre 15 et 30 % ». Ce dernier admet cependant que le datacenter européen, le plus grand de BP, qui héberge également « nos applications les plus complexes », représente un plus grand le défi.
Houston, nous avons un problème
La migration du datacenter de Houston, en cours d’achèvement, aura pris environ trois ans et demi. Aujourd'hui, M. Fry souhaite que la migration des deux datacenters européens les plus grands et les plus complexes, qui appartiennent et sont exploités par Global Switch à Londres, se fasse en deux ans et demi. « Nous pensons pouvoir aller plus vite, essentiellement parce que nous avons appris beaucoup de choses et que nous voulions être courageux et audacieux pour aborder ce nouveau défi », a déclaré M. Fry. « Et nous ne voulons pas être pris dans un cycle de renouvellement de notre datacenter, au risque de voir s'écrouler l'analyse de rentabilisation ».
La clé pour M. Fry est de respecter l'échéancier et de réduire tout impact potentiel sur l'entreprise pendant la migration. « Si nous n'avions pas d’activité à maintenir, nous pourrions mener cette migration beaucoup plus rapidement », a-t-il ajouté. « Le problème, c'est que toutes ces applications exécutent une tâche critique ou font quelque chose d'utile ». Par exemple, BP a récemment transféré en 60 heures l'un de ses plus grands environnements SAP sur AWS, un monstre de 16 téraoctets qui contrôle l'approvisionnement en carburant dans le monde entier, sauf aux États-Unis. Selon Claire Dickson, DSI de Downstream (activité service du pétrolier), en 2017, BP a déjà réduit d'un tiers le coût d'exploitation de ses applications SAP après avoir migré les charges de travail américaines vers AWS. « Nous avons déplacé 2000 applications, et nous avons assez d'expérience pour savoir quelles réponses apporter à un grand nombre de problèmes qui pourraient se poser pendant le processus », a-t-elle déclaré.
Bien sûr, ces équipes n'ont pas toutes les réponses, et M. Fry tient à insister sur le fait qu'il n'y a pas de solution miracle pour mener à bien une migration cloud : « Nous ne savons pas à l’avance comment vont se comporter certaines de nos applications dont la technologie est propriétaire et sans équivalent actuel. C’est pour ces applications-là que nous demanderons à AWS et à d'autres de nous aider à trouver une solution. Mais nous sommes convaincus qu'en deux ans et demi, nous pourrons résoudre ces problèmes. Des vendeurs viennent me voir chaque semaine pour me dire qu'ils ont une solution miracle. Mais c'est absurde. Nous avons presque tout vu et, au final, pour comprendre cette complexité, il faut surtout des ingénieurs intelligents et d'excellents partenaires. Ensemble, ils pourront résoudre ces problèmes ».
Leçons apprises
Parmi les autres leçons importantes apprises par BP, il faut également citer la migration des grandes applications complexes en premier, et non en dernier ; le respect de l'échéancier et la dépréciation des applications là où c’est possible. « Comment faire le strict minimum pour respecter vos obligations dans votre datacenter et éviter en même temps le surinvestissement ? S’engager à respecter le calendrier est vraiment important. Vous pouvez vous tromper. Mais c'est un élément crucial », a-t-il dit. Naturellement, pour une entreprise comme BP, le remplacement des dépenses d'investissement par des dépenses opérationnelles exige un changement culturel au niveau du département financier, et même si M. Fry n’a pas voulu entrer dans les détails, il a admis que « quand des dépenses de trésorerie sont en jeu, il faut réfléchir à la manière de les justifier ».
Stewart Fry admet également que c’est une lourde tâche pour les entreprises d'essayer de tirer parti de tous les nouveaux produits et fonctionnalités proposés par les grands fournisseurs de cloud. « L'un des défis à relever est de savoir comment rester attentif à toutes les innovations. Les comprendre, les mettre à la disposition des gens pour qu'ils les exploitent, et s’en servent réellement », a-t-il déclaré. « Tout va si vite, c'est incroyable. Et pour une entreprise du secteur de la consommation, c’est vraiment difficile de rester au courant ». Pour répondre à ce défi, BP a opté pour un modèle traditionnel centralisé en étoile : l'équipe de M. Fry installe des garde-fous, mais les départements peuvent choisir l'outil le mieux adapté à leur tâche, en excluant la solution Google Cloud, comme il l'a déjà dit plus haut.
« Lors de notre première migration dans le cloud, à partir de cet environnement très contrôlé, nous avions étendu le VPN à AWS et à Azure et nous avons expliqué les règles à respecter pour travailler dans cet environnement. Mais, au bout d'un moment, nous avons estimé que tout cela était trop contraignant, parce que mon équipe n'arrivait pas à répondre aux demandes de fonctionnalités et d'habilitation exprimées par les équipes d'application », a-t-il ajouté. Désormais, « nos règles concernent des choses qui comptent vraiment : la sécurité, les versions, un peu de facturation. Certaines équipes d'application veulent toujours que nous gérions leurs affaires, mais la clé est de permettre aux gens d'innover dans leur branche ».
Par exemple, BP envisage d'utiliser l'outil de données en continu Kinesis d'Amazon pour obtenir des informations en temps réel sur la surveillance des émissions et l'exploitation des pompes des stations-service dans le secteur du commerce de détail. L’entreprise voudrait également utiliser la boîte à outils d'apprentissage machine de SageMaker pour développer des modèles permettant de mieux prédire les usages, identifier des gains d'efficacité, et faire également de la maintenance prédictive des actifs avec l’IoT.
Objectifs environnementaux
La nature exclusive de ce partenariat s'accompagne également de certains objectifs communs en matière de développement durable. Ainsi, BP s'est engagé à fournir aux serveurs d'AWS 170 mégawatts d'énergie renouvelable chaque année via un parc solaire en Espagne et un parc éolien en Suède en 2021, avec l'espoir de doubler à terme la capacité de plus de 400 mégawatts.
Robert Lawson, directeur de l'exploitation pour le gaz mondial chez BP Supply and Trading, a déclaré dans un communiqué : « BP et AWS visent tous deux à réduire les émissions de CO2 sur leurs activités respectives. L'une des façons dont BP peut jouer un rôle important pour aider ses clients est d'utiliser sa taille et sa capacité de négociation pour fournir des approvisionnements novateurs, fiables et souples en énergies renouvelables à ses principaux clients et partenaires commerciaux ».