Afin d'accélérer le développement de nouveaux médicaments, l'entreprise familiale Boehringer Ingelheim, fondée en 1885 et qui est aujourd'hui le 15ème laboratoire au niveau mondial, mise sur l'intelligence artificielle, l'analytique et la science des données. Pour ce faire, l'entreprise a également créé sa propre division Global Computational Biology and Digital Sciences (gCBDS) afin d'utiliser de grandes quantités de données pour la recherche de nouvelles substances actives.
Cette recherche vise, en particulier, à isoler de nouveaux anticorps thérapeutiques. Les traitements par anticorps sont une arme importante dans la lutte contre les maladies graves comme le cancer, les maladies auto-immunes et les maladies infectieuses. De plus, ils semblent avoir moins d'effets secondaires que les médicaments classiques, ce qui suscite l'espoir de nouveaux traitements.
Toutefois, le développement de nouveaux anticorps demande beaucoup de temps et de travail. Il faut non seulement une précision méticuleuse, mais aussi de longues séries d'essais en laboratoire.
L'IA plutôt que les essais en labo
D'où la volonté de Boehringer d'accélérer ce processus avec des méthodes « in silicium ». En d'autres termes, il s'agit de faire avancer plus rapidement la recherche de nouveaux anticorps grâce à des simulations sur ordinateur. Selon Andrew Nixon, directeur des recherches biothérapeutiques chez Boehringer Ingelheim, l'objectif était clair : « Le développement in silicium doit permettre à Boehringer de développer et de proposer de nouveaux traitements aux patients dont les besoins non satisfaits sont importants ».
Pour y parvenir, l'entreprise mise sur une collaboration avec l'équipe de recherche d'IBM. Les informations sur la séquence génétique, la structure et le profil moléculaire de cibles pertinentes pour la maladie, ainsi que les critères de réussite pour les molécules d'anticorps d'intérêt thérapeutique, tels que l'affinité, la spécificité et la capacité de développement, devaient servir de critères de base pour générer de nouvelles séquences d'anticorps humains par simulation.
Au coeur du projet de Boehringer, un modèle d'IA pré-entraîné développé par IBM, qui sera encore affiné avec des données propriétaires supplémentaires du laboratoire employant 52 000 personnes dans le monde (dont près de 3 000 en France). Pour ce faire, l'entreprise s'appuie sur les dernières technologies de modèles de fondation d'IBM, qui devraient rendre le développement d'anticorps plus rapide et plus efficace et améliorer la qualité des anticorps candidats proposés par l'algorithme.
Identifier les meilleurs candidats
Ces modèles de fondation, qui se sont avérés efficaces pour la génération de produits biologiques et de petites molécules avec des affinités pertinentes aux cibles, sont utilisés pour concevoir des anticorps candidats pour les molécules cibles définies, la protéine ou le gêne qu'il faut essayer d'inactiver par exemple. Les résultats sont ensuite testés à l'aide d'une simulation basée sur l'IA, ce qui permet de sélectionner et d'affiner les meilleurs liants pour la cible déterminée.
Dans une étape de validation, Boehringer prévoit ensuite de produire les anticorps candidats à l'échelle du laboratoire et de les évaluer expérimentalement. Par la suite, les résultats des essais en laboratoire seront utilisés pour améliorer les méthodes de simulation sur ordinateur par le biais de boucles de rétroaction.
Données propriétaires en complément des bases publiques
Les technologies de modélisation biomédicale d'IBM utilisées à cet effet se basent sur un grand nombre de données disponibles publiquement. Notamment des bases de données d'interactions protéine-protéine et d'interactions médicament-cible, sur lesquelles des modèles sont entraînés. Ces modèles peuvent ensuite être affinés par des partenaires, tels que Boehringer, à l'aide de données propriétaires spécifiques afin de produire des protéines et petites molécules développées avec les propriétés souhaitées.
La collaboration avec IBM n'est que l'un des nombreux projets d'IA menés par le laboratoire d'Ingelheim am Rhein. L'entreprise est actuellement en train de mettre en place un écosystème numérique avec des partenaires du monde académique et commercial afin de découvrir et de développer plus rapidement des médicaments et de créer des services susceptibles d'améliorer la vie des patients. Le labo travaille par exemple avec la technologie médicale de Zeiss pour développer des analyses prédictives qui permettent un dépistage précoce des maladies oculaires et la prescription de traitements personnalisés, afin de prévenir la cécité chez les personnes souffrant de graves maladies oculaires.
Pour ce faire, les partenaires misent sur l'analyse assistée par IA de grands ensembles de données d'images. L'objectif est de créer une base pour les études cliniques afin de développer des traitements personnalisés et plus précis aux premiers stades des maladies chroniques de la rétine, afin d'améliorer le pronostic de préservation de la vue chez les patients concernés. Via cette même approche, l'IA doit également amener un dépistage plus précoce des maladies oculaires.