Le salon du Big Data s'est tenu au CNIT les 3 et 4 avril. Il a été l'occasion de constater l'intérêt des responsables informatiques pour cette problématique. Ils étaient présents en nombre, afin d'approfondir une révolution dont on ne sait pas encore vraiment ce qu'elle peut apporter concrètement. Plus d'une trentaine de sociétés occupaient l'espace salon, souvent avec des noms encore confidentiels tels que DataiKu, une émanation d'anciens ingénieurs d'Exalead, et le tout dans quelques mètres carrés.
En ouverture de la conférence mercredi, Tariq Krim, ancien PDG de Netvibes et fondateur de JoliCloud, et également membre du CNN, le Conseil national du numérique, aura mis un peu de baume au coeur des entrepreneurs du web français en soulignant que c'est juste par le marketing que la France pêche. « Une société française a des produits géniaux dont elle ne sait pas assurer le marketing, tandis qu'une boîte américaine avec deux bouts de code vous fait croire que c'est 'The Next Big Thing'. »
Trop de flou sur l'origine des donnéesÂ
Dans la foulée, Matteo Pacca, partenaire chez McKinsey, a fait le point sur l'état d'avancement du big data. « Les fournisseurs sont flous en ce qui concerne les sources de données, et leur visualisation. Entre les deux, les plateformes de traitement sont bien identifiées. »  Il liste notamment comme fournisseurs IBM, Microsoft, Google, EMC, Terradata, Oracle, Amazon, SAP, SAS ou HP. Â
Ce qui lui fait penser que le domaine n'est pas encore mûr.  Dans cette marche vers l'importance grandissante de la donnée, Matteo Pacca remarque l'apparition des Chief Data Officer dans les entreprises. Il en cite deux, John Bottega, de Bank Of America, et Peter Serenita, de HSBC. Il s'agit de deux banques, qui avec les opérateurs télécoms sont en fait les entreprises qui investissent le plus actuellement dans le big data, selon McKinsey.  Matteo Pacca retient également le titre d'un article de la Havard Business Review, qui cite le data scientist comme étant « le job le plus sexy du 21ème siècle ». Le data scientist est ce spécialiste des données qui doit se pencher sur des volumes d'informations en croissance permanente et identifier les opportunités pour l'entreprise.Â
Une France encore peu sensibilisée au big data
La France dans cette révolution apparaît encore peu motivée. Matteo Pacca a indiqué que 30% des demandes de clients aux équipes de McKinsey concernant le big data viennent des Etats Unis, 12% viennent de Grande Bretagne, idem pour l'Allemagne, tandis que la France n'en représente que 7%.
Une table ronde a ensuite donné un éclairage global sur le big data. Georges Epinette, DOSI (Directeur de l'organisation des systèmes d'information) du groupement des Mousquetaires, un des leaders de la grande distribution en France avec 39 milliards d'euros de chiffre d'affaires a séparé la question en deux. En ce qui concerne le back office, il n'a pas de doute, le big data permettra d'optimiser la supply chain et de réduire notamment les ruptures d'approvisionnement. « On y travaille, je ne dirais pas exactement comment » dit-il.
La relation avec le client est stratégique
En revanche, en ce qui concerne le front office la problématique est plus délicate car la technologie ne doit pas venir aliéner le mode de consommation du client. Il y a un réel besoin de transparence. « De nouveaux usages qui apparaissent peuvent être dérangeants. Or le business repose sur la confiance » rappelle le DOSI. « Attention si on suit à la trace les consommateurs, on ne peut pas faire n'importe quoi » prévient-il. Georges Epinette reprend, « dans la distribution, on cite 60% d'amélioration des marges grâce au big data, cela peut faire tourner la tête. » D'où les questions clef : « Il faut savoir où on veut aller et quel est notre mode de business ? » Le rêve marketing d'une discrimination parfaite est dangereux.
Le groupement des Mousquetaires recrute actuellement des data scientists
Autres enjeux autour de ces données : leur qualité et leur traitement qui demande une nouvelle façon de travailler entre le service informatique, les statisticiens et le marketing. « Il y a trop de silos, il faut une hybridation des profils. Nous sommes d'ailleurs en train de recruter des data scientists en ce moment » indique-t-il. Georges Epinette est plutôt réticent à confier ses données gratuitement à une société qui lui revendrait leur interprétation. Le DOSI cite également comme démarches concrètes en cours, la réflexion sur la manière de relancer le client au niveau commercial dans son cycle de vie, et un projet mené avec la DGCIS (Direction Générale de la Compétitivité, de l'industrie et des Services) afin de définir des modèles prédictifs pour la distribution, et qui fonctionne comme un think tank. Â
Lors de la même table ronde, Stéphane Grumbach de l'INRIA (Institut national de la recherche en informatique et en automatique) note une circulation des données de l'Europe vers les Etats Unis, avec les retombées économiques et politiques qui s'en suivent. La question étant même remontée jusqu'au président de la République.
La France n'a que le juridique pour s'opposer aux Etats Unis
« Les débats sont pollués par le fait que la France n'a pas d'industrie pour répondre et donc n'a que la législation comme recours » souligne Stéphane Grumbach. Le chercheur relève également qu'aujourd'hui nous en sommes au même point que nous l'étions au démarrage de l'électricité ou du pétrole : « on ne connaît pas encore toutes les applications futures possibles du big data. » Â
Il faut donc faire preuve d'ouverture d'esprit et peut-être même adopter un modèle ouvert américain de type Facebook, où tout se gère entre l'utilisateur et le site web via un contrat, pour faire face à la restriction de l'usage des données qui existe en Europe. Il attire l'attention sur le fait que les états devront statuer sur les initiatives en matière de big data, qui ne seraient pas politiquement correctes, par leurs conséquences. Par exemple, le big data peut mener à anticiper des crimes et à soupçonner des gens qui n'ont encore commis aucun délit.Â
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Le big data ce n'est pas l'analyse des comportementsÂ
Lors de cette même table ronde, Jean-Baptiste Dezard, responsable marketing pour IBM note que « l'on croit que la killer app pour le big data, sera le calcul des comportements, alors qu'il faut regarder les applications médicales par exemple. »  On peut alors travailler de façon empirique à l'anglo-saxonne ou de façon séquentielle à la française. Il explique également la désillusion qui a pu poindre par le fait que le secteur « a pris des solutions de 1970 et les a rebaptisées big data. Pour combattre cet état d'esprit, il faut montrer des retours clients ! »  il insiste sur le contrôle nécessaire des données : « On traite des données exogènes [NDLR : extérieures à l'entreprise], il faut donc les contrôler. »
Jean-Baptiste Dézard rappelle que le big data est la résultante de la numérisation de l'économie et qu'il s'agit donc d'un enjeu stratégique que de savoir le gérer. Selon lui, l'adoption en France est encore trop lente dû à une approche du contrôle des données qui est anxiogène en ce qui concerne la protection de la vie privée, mais aussi à une peur de la destruction créative.
Enfin, toujours sur la même table ronde, Christophe Barroux spécialiste du cloud chez Google, estime que ce qui bloque le développement du big data, est le flou sur le ROI, même s'il annonce par ailleurs des améliorations d'un facteur neuf des temps de traitement chez certains de ses clients entreprises.Â