La 5G promet non seulement des connexions ultra-rapides et une bande passante plus large que le WiFi et la 4G/LTE, mais aussi une meilleure connectivité, une faible latence et la capacité de prendre en charge des milliers d'appareils dans un même lieu. Selon les experts, si ces atouts sont très attractifs pour le secteur manufacturier, il faudra encore un certain temps avant que la technologie ne devienne la norme. Selon Gartner, les usines intelligentes représentent une des opportunités majeures pour la 5G. Si la 4G/LTE existante peut encore répondre à un certain nombre de cas d’usage, la faible latence et la haute fiabilité de la 5G répondront davantage aux besoins du secteur. « Les entreprises industrielles attendent beaucoup et rapidement de la 5G », a déclaré Sachin Lulla, chef de la stratégie et de la transformation numérique au niveau mondial chez Ernst & Young. « Une nouvelle vague d'hyper-connectivité est en train de redéfinir l'entreprise. Avant l'énergie et les services publics, la santé, le secteur public et les transports, le secteur manufacturier sera le principal créateur de valeur pour ce qui est des investissements dans la 5G », a-t-il ajouté.

« Aujourd'hui, l’absence d’une connectivité fiable, à faible latence et à large bande passante a eu un impact négatif sur l'adoption des technologies de pointe ayant besoin de ce type de support», a encore déclaré Sachin Lulla. « Mais tout cela va changer avec la 5G : la technologie apporte l'interconnectivité qui faisait défaut entre machines, matériaux et personnes, et libère des millions de dollars en valeur », a-t-il affirmé. « L’augmentation de la productivité, la diminution des stocks, l’amélioration du temps de disponibilité, la sécurité des travailleurs et la souplesse des chaînes d'approvisionnement sont à l’origine de ce surcroît de valeur », a-t-il ajouté. Selon une enquête réalisée récemment par Ernst & Young au Royaume-Uni, 10 % des entreprises britanniques allouent déjà des fonds à la 5G, et 50 % d’entre elles prévoient d’adopter la 5G au cours des deux prochaines années. Dans le secteur manufacturier, la tendance est encore plus forte, puisque près des deux tiers des entreprises britanniques prévoient de mettre en œuvre la 5G dans les deux ans suivant sa disponibilité. « Beaucoup d’entreprises industrielles ont commencé à adopter et à tester la 5G », a déclaré Sachin Lulla.

Le secteur automobile, très avide de 5G

« Par exemple, Audi a déjà commencé à tester la 5G pour le contrôle de mouvement par robot », a déclaré le chef de la stratégie et de la transformation numérique au niveau mondial de Ernst & Young. L'usine Nokia d'Oulu utilise la 5G pour délivrer la connectivité au niveau de son usine, en combinant informatique edge, cloud et analyse IoT. Selon M. Lulla, la technologie a déjà permis de gagner 30 à 50 % en temps de livraison des produits. En Chine, BMW Brilliance Automotive essaye de mettre en place une couverture sans-fil 5G complète dans toutes ses usines. Dans ce pays, l’adoption de technologie n'est pas limitée au secteur automobile. « La Chine consacre des investissements énormes et le pays est en tête dans la course à l’adoption précoce de la 5G dans ses industries », a encore déclaré Sachin Lulla. Pour les fabricants, les avantages de la 5G ne concernent pas seulement des améliorations de l'efficacité interne. Ces entreprises ont également tout à gagner de la croissance du secteur de la 5G. Selon une étude d'IHS Markit publiée ce mois-ci, d'ici 2035, la 5G générera 13,2 billions de dollars d’activité. L'impact le plus important aura lieu dans le secteur manufacturier, avec un gain d’activité de près de 4,7 billions de dollars. Ce chiffre comprend la valeur des équipements 5G que les fabricants vendront à d'autres entreprises.

Coûts et défis de la 5G

Le déploiement industriel de la 5G ne sera pas simple, surtout au début. Selon une récente étude d'Ernst & Young, la majorité des entreprises se disent très préoccupées par la sécurité, car les appareils connectés en 5G vont considérablement étendre la surface d'attaque potentielle de leur réseau. Dans cette étude, 40 % des répondants ont déclaré que la cybersécurité était l'une de leurs trois principales préoccupations, suivie par le manque de maturité de la technologie (34 %) et le manque de pertinence commerciale (32 %). Ces mêmes entreprises ont aussi fait part de leurs préoccupations en matière de coûts. « Pour les déploiements internes, les entreprises devront effectuer une mise à niveau substantielle de leurs systèmes back-end », a déclaré Holger Mueller, analyste chez Constellation Research. « De nombreux sites de fabrication n'ont même pas de Wi-Fi. Ce qui va ralentir l'adoption précoce », a-t-il déclaré. Selon lui, cette adoption se limitera dans un premier temps à certains espaces des ateliers de fabrication et s'étendra à mesure que l'équipement et les systèmes back-end seront mis à niveau ». Le coût total pourra considérablement varier en fonction de la quantité d'infrastructures compatibles 5G déjà en place dans l’entreprise.

Une amélioration dans le temps

Parce que l'infrastructure, les normes et les appareils 5G ne sont pas encore disponibles et éprouvés, de nombreux fabricants utilisent aujourd'hui la fibre, le WiFi et la 4G/LTE plutôt que la 5G. « Mais beaucoup de gens commencent à s’intéresser à la 5G aujourd'hui, et considèrent que cette technologie permettra une stratégie plus pérenne que l'adoption de la 4G », a déclaré Dan Hays, directeur et responsable de la stratégie d'entreprise pour les États-Unis chez PricewaterhouseCoopers LLP. « La 4G/LTE existe depuis un peu plus d'une décennie. Les appareils 5G, disponibles aujourd'hui, sont très précoces. Ils ne sont pas encore produits en masse et n'ont pas encore atteint un niveau de coût qui permettrait de les adopter à grande échelle », a-t-il déclaré.

Selon Erik Josefsson, vice-président et chef du secteur des industries de pointe chez Ericsson, artisan de la technologie 5G sous-jacente, la 5G en est actuellement à la version 15. Par rapport à la 4G, cette version offre un débit de données élevé, une couverture étendue et une faible latence, mais celui-ci n’atteint pas l'objectif de latence de 1 milliseconde. « On atteint les 10 millisecondes, mais on est encore loin de la milliseconde. La version 16 est ultra fiable, sa latence est faible, inférieure à 10 millisecondes, pour les cas d’usage plus complexes », a-t-il déclaré, ajoutant que « Ericsson lancera la version 15 des produits 5G au début de l'année prochaine ». « La version 16 est en cours de finalisation et les produits seront mis sur le marché dans un ou deux ans plus tard et, comme la 4G, la 5G continuera à s’améliorer avec le temps », a-t-il encore ajouté. « Quand nous avons lancé la 4G, sa capacité était moins bonne qu'aujourd'hui », a-t-il aussi précisé. Heureusement, les appareils 5G pourront être mis à jour par voie logicielle, de sorte que la version 15 actuelle ne sera pas obsolète. « De plus en plus de fonctionnalités avancées seront livrées avec la version 16 et le matériel existant fonctionnera avec la nouvelle mouture ».

Normes et fiabilité

Selon Gartner, le nombre de terminaux 5G IoT va augmenter de manière significative. Entre 2020 et 2023, le nombre d’unités devrait passer de 3,5 à 28,6 millions. Cependant, la plupart de ces unités seront destinées à équiper des voitures et des caméras de surveillance connectées. Toujours selon Gartner, dans le secteur manufacturier, l’adoption de la 5G pour l’IoT se situera encore à un niveau intermédiaire, car les entreprises peuvent utiliser d'autres technologies comme le LPWA 3GPP sur les réseaux 4G/LTE sans avoir besoin d'attendre le déploiement de la 5G. « Aujourd’hui, l’usage des réseaux 4G/LTE se renforce encore quand les entreprises ont besoin d’une plus grande fiabilité, comme les chariots élévateurs, où il faut éviter des collisions avec la marchandise », a déclaré Bill Menezes, analyste chez Gartner. « Tout dépend des besoins de performance. Mais à mesure que le niveau d’exigence augmentera, la 5G sera privilégiée ».

La 5G deviendra également plus attractive à mesure que les appareils et les fonctions gagneront en maturité. Aujourd'hui, les fonctions offertes par la 5G sont encore réduites. De plus, on trouve peu d'appareils compatibles 5G sur le marché et le déploiement de réseaux cellulaires 5G publics commence à peine. « L'option 5G deviendra également plus attractive à mesure de l’évolution des normes et de la disponibilité des technologies », a déclaré Dan Bieler, analyste chez Forrester Research. « Deux caractéristiques majeures de la 5G ne sont pas encore disponibles : une latence extrêmement faible et la possibilité de se connecter à des milliers d'appareils dans une petite zone géographique, jusqu'à un million de capteurs sur un kilomètre carré. Or, ces deux fonctions sont parmi les plus intéressantes pour les fabricants », a déclaré M. Bieler. Selon lui, les premiers appareils capables de supporter une latence très faible seront mis sur le marché dans les deux ou trois prochaines années. « Une grande partie du battage médiatique actuellement orchestré par les fournisseurs ignore le fait que de nombreuses normes n'ont pas encore été définies », a-t-il ajouté.

Des freins chez d'autres constructeurs

« La faible latence est particulièrement importante pour les chaînes de montage de haute précision. Par exemple, les constructeurs BMW et Daimmler ont dit qu'ils ne pouvaient même pas envisager d'utiliser la 5G tant qu’elle ne permettra pas une latence super-faible parce que si un robot fait tourner un arbre à came à une vitesse donnée et qu'un autre est désynchronisé ne serait-ce que de quelques millisecondes, l'arbre se plie et il est bon à jeter. Le « Good enough » n’est pas acceptable dans ces industries. Il faut que tout soit absolument parfait », a-t-il déclaré. « D’ici à ce que la 5G réponde à cette exigence de latence super-faible, de nombreux fabricants continueront à utiliser des robots connectés par fibre », a-t-il expliqué. Malgré cela, Dan Bieler constate un gros intérêt des fabricants pour la 5G.

Plus tôt cette année, le plus grand salon mondial de l'industrie manufacturière de Hanovre, en Allemagne, avait consacré une place importante à la 5G. « Tous les grands fabricants allemands y travaillent », a déclaré l’analyste qui était présent lors de ce salon. « Ils construisent leur propre infrastructure de réseau 5G privée et connectent toutes les machines de leurs usines. On assiste à un réel changement dans la conception des processus de fabrication par les entreprises. Beaucoup d'autres pays devraient suivre cet exemple ». Kim Knickle, spécialiste de l’innovation digitale dans l'industrie manufacturière chez Insight, prédit qu'il faudra encore des années avant que les fabricants consacrent un budget important à la 5G. « Si l’on table sur une bonne disponibilité de la 5G en 2022, on peut estimer que celle-ci ne sera pas disponible avant 2024 dans l’industrie manufacturière », a-t-elle ainsi déclaré.