30 usines et une seule plateforme de données industrielles d'ici 3 ans. C'est l'objectif que s'est fixé Lesaffre, le spécialiste de la fermentation et des micro-organismes pour le pain, la nutrition, la santé et les biotechs. Aujourd'hui, en avance sur sa feuille de route, il a déjà équipé 7 de ses 30 plus grands sites en Hongrie, en Chine et aux États-Unis, implantations qui consultent et exploitent ainsi en temps réel toutes les données associées à leur fonctionnement. Lesaffre compte un total de 80 sites de production dans 50 pays.

Faire accepter l'idée d'un système data unifié

La société agro-alimentaire a regardé les solutions des 4 usual suspects du domaine, à savoir les Français Aveva et Dassault Systèmes, l'Américain Emerson Data et l'Allemand Siemens. Mais son coeur a rapidement penché pour la solution Aveva PI System, de captation, historisation, enrichissement, contextualisation et visualisation de data industrielle. La raison ? L'éditeur est à la fois le seul français (c'est une filiale de Schneider Electric) et le seul spécialiste de l'industrie, et ce, depuis plus de 50 ans. De plus, les équipes de Lesaffre ont vu la solution fonctionner chez Michelin, Aluminium Dunkerque ou encore Bel. Ce dernier ayant un modèle très proche de celui du fabricant de levures : ETI, entreprise familiale du secteur agroalimentaire.

Dès 2022, Lesaffre avait « travaillé à faire murir l'acceptation dans le groupe de l'idée d'un système data industrielle unifié », comme le raconte Fabrice Letalle, directeur de l'excellence opérationnelle et du 4.0. L'entreprise disposait déjà d'applications de machine learning appliquées à la fermentation depuis 2021, systèmes qui l'ont aidé à démontrer la valeur de la data pour l'entreprise. Malgré tout, à chaque transposition sur un nouveau site dans le monde, ces solutions nécessitaient d'importants redéveloppements. « Nous avions donc vraiment besoin d'une plateforme de data industrielle », poursuit Fabrice Letalle. À partir de septembre 2023, Lesaffre a donc d'abord démarré un important travail de définition de son modèle Pi System, puis a déployé ses premières usines, à commencer par un site pilote dans l'usine hongroise, pour identifier les bonnes pratiques à transmettre aux autres usines. Chacune des deux étapes a duré environ 6 mois.

Des alignements de cuves de 15 mètres de haut

« Nos sites de production, ce sont beaucoup de cuves et de tuyaux en inox », décrit le directeur de l'excellence opérationnelle et du 4.0 « Un fermenteur, c'est un réacteur de 10 à 15 mètres de haut. Et l'ensemble peut s'étendre sur 500 mètres de longueur. De plus, nos plus grandes usines sont déjà très automatisées, avec du PLC (automates industriels programmables), du Scada, mais de façon hétéroclite. » Pour autant, pas de problème d'interfaçage de ces systèmes anciens avec Pi System, qui « parle dans 400 protocoles », comme le souligne Fabrice Letalle. « C'est un de ses points forts ». L'industriel n'a d'ailleurs pas non plus eu besoin d'équiper ses usines en IoT, car les cuves disposent déjà de nombreux capteurs, par exemple. « Nous n'avons pas eu à mener d'importantes modifications de nos usines pour les intégrer avec Aveva Pi System », résume Ludovic Sauvage, digital and data transformation manager.


Fabrice Letalle, directeur de l'excellence opérationnelle et du 4.0 (à G) et Ludovic Sauvage, , digital and data transformation manager chez Lesaffre. (Photos : Lesaffre)

Lesaffre a réalisé en amont un important travail de paramétrage d'Aveva Pi System afin de l'adapter à ses spécificités. « Il fallait définir quelles seraient les listes d'actifs présents dans notre standard de la solution, précise Fabrice Letalle, mais aussi les attributs, comme la température ou le PH, la façon dont nous allions les nommer, les plages de données nécessaires, le délai de rafraichissement des data, etc. C'est un important et long travail de taguage qui a été réalisé, et qui continue d'ailleurs pour d'autres branches d'usine ». Les équipes de Fabrice Letalle et les équipes data ont aussi passé beaucoup de temps sur les conventions de nommage.

Pas de croisement avec les data de la plateforme groupe

Les structures d'événements ont dû être clarifiées : quand commence une fermentation, quand se termine-t-elle, quelles sont les sous-étapes, etc. « Un travail d'appropriation du processus pour associer celui-ci à un modèle de données gouverné au niveau groupe et appliqué au niveau local », précise Ludovic Sauvage. « C'est un principe central de notre gouvernance data : le global régit des modèles qui sont applicables en local. Et nous nous assurons de la transposition de la donnée pour avoir des référentiels communs à tous, mais pour laisser les employés travailler en quelque sorte comme avant ». L'équipe projet a d'ailleurs réuni des membres des équipes industrie 4.0, data et métiers/processus. « Un trio qui garantit une définition claire et lisible pour le métier, tout en étant régie en central ». S'y ajoute une composante régionale, en plus des équipes centrales.

Pour l'instant, Lesaffre ne croise pas encore les data de sa plateforme data industrielles et de sa plateforme data groupe. La première reste réservée à l'activité industrielle proprement dite. « Pendant la phase de fermentation, on relève des informations sur les ingrédients, sur la température, sur le pH mesurés en temps réel, égrène par exemple Fabrice Letalle. On surveille la durée. Il faut entre une demi-journée et une journée pour une fermentation en fonction des souches. Nous disposons alors de l'historique de toutes les fermentations. Et nous pouvons leur appliquer des algorithmes de machine learning, trouver des corrélations, etc. ».

Des défis culturels et cyber

Un des défis majeurs est venu de ce que Fabrice Letalle décrit comme une « culture de la subsidiarité ». Autrement dit, de nombreux opérateurs restaient assez réticents à partager leur savoir-faire pointu, acquis au fil des ans, dans leur métier de la fermentation. Une réserve qui s'est transformée en obstacle à la standardisation. Pour embarquer les opérateurs dans le projet, Lesaffre a organisé des formations réunissant, dans une même pièce, des employés des métiers, du digital, venus de plusieurs usines, dans plusieurs pays différents afin que les opérateurs voient d'eux-mêmes les bénéfices de la solution et aient moins de craintes.

Un autre défi provient des nombreuses différences culturelles qui conduisent à nommer différemment un même outil, une même étape de processus, et du fait que toutes les usines du groupe soient différentes les unes des autres. Aujourd'hui, l'entreprise a mis en place un langage commun dans tous ses sites, et constitue un réseau d'experts de la solution, qui émergent partout dans le monde. Mais demeure un dernier défi de taille : une politique cyber cohérente dans les usines avec zéro compromis, ce qui passe par un travail commun entre les équipes cyber, IT et OT.