Les DSI doivent démontrer les ROI à court terme des investissements technologiques, mais travailler sur des innovations destinées à faire évoluer le modèle de leur entreprise. Peut-être plus important encore, ils doivent à la fois tirer les leçons de leurs succès majeurs et éviter de répéter les erreurs trop fréquentes qui font échouer la transformation numérique. Avant 2020 et la pandémie, cette dernière visait principalement la croissance, la capacité à exploiter la data, la migration vers le cloud et la capacité à fournir des technologies compétitives. Mais ces dernières années, les DSI se sont concentrés davantage sur la mise en oeuvre du travail hybride, l'amélioration de l'efficacité par l'automatisation, la modernisation des applications, la mise en oeuvre du machine learning et l'entreprise data driven. Enfin, 2024 marquera le début d'une ère de transformation IA-driven.
Même si les motivations de la transformation numérique évoluent, les DSI peuvent encore la faire dérailler en cherchant à personnaliser les solutions ou en donnant la priorité à un trop grand nombre d'indicateurs de performance clé (KPI). Mais ils peuvent au contraire la doper en donnant la priorité à des initiatives comme l'alignement des projets de data science avec la gouvernance des données, ou l'amélioration des opérations IT avec de l'AIops. Reste que certains problèmes refont sans cesse surface et perturbent les résultats de l'entreprise, quels que soient les objectifs stratégiques de départ. Sur la base de conversations avec des experts du secteur, voici sept manières de rater sa transformation numérique que les DSI doivent éviter à tout crin.
1. Se concentrer sur la technologie et non sur l'impact business
Selon une récente enquête de Gartner, l'objectif majeur d'une transformation numérique est la plupart du temps d'exceller en matière d'expérience client ou d'expérience employé. Reste que l'enquête du cabinet d'études révèle également que seuls 12 % des DSI dirigent, livrent et gouvernent les initiatives numériques en collaboration avec leurs homologues dirigeants métier. Il est difficile d'obtenir des résultats à partir d'un investissement technologique sans que les dirigeants d'entreprise ne soient partenaires. Selon le Gartner, sans une collaboration avec les métiers, 88 % des DSI sont vouées à échouer. « Peu d'entreprises réalisent le rôle que jouent la structure organisationnelle et la culture dans la conduite de la transformation, et se concentrent plutôt sur la technologie », déclare Sunil Senan, SVP et responsable mondial data, analytique et de l'IA de l'ESN Infosys.
En se concentrant seulement sur la technologie, les DSI peuvent bien sût obtenir certains résultats transitoires comme une plus grande agilité de l'infrastructure en migrant vers le cloud ou une meilleure expérience utilisateurs en passant de systèmes propriétaires à des applications SaaS. Mais bien au-delà, la transformation digitale d'une entreprise exige de ses dirigeants qu'ils repensent les priorités des clients, les opérations et les domaines où la technologie peut donner un véritable avantage concurrentiel. « Pour atteindre les objectifs de la transformation numérique, les entreprises doivent se concentrer sur les sources d'augmentation à court terme de l'efficacité de leur structure et de leur modèle actuels, tout en poursuivant des opportunités d'expansion discontinue à moyen et long terme dans les activités qui nécessiteraient potentiellement des changements structurels et culturels », conseille Sunil Senan.
2. Donner la priorité à tout en ignorant les tendances du marché et les besoins des clients
Une autre erreur fatale en matière de transformation numérique serait de la considérer comme une mise à niveau de tous les systèmes existants avec l'élimination de toute la dette technique accumulée. Les DSI ne peuvent pas tout prioriser et doivent regarder au-delà des risques technologiques, des coûts, des lacunes de sécurité et des inefficacités pour cibler les investissements qui apporteront le plus de valeur au client et s'aligneront sur les tendances concurrentielles. « L'une des plus grandes erreurs des entreprises est de s'attaquer à trop de choses à la fois, estime Josh Miramant, CEO de Blue Orange Digital. Et une transformation numérique réussie doit être dans une gestion du changement organisationnel bien conçue. Une solution parfaitement construite n'a aucune valeur si elle n'est pas conçue en fonction des utilisateurs. »
Srikumar Ramanathan, directeur des solutions de l'ESN Mphasis, identifie une source d'échec corrélée à celle-ci : si l'informatique place la barre trop haut, avec des projets trop longs à réaliser et ne n'apporte finalement pas d'améliorations incrémentales aux clients. « Les transformations numériques les plus réussies ciblent un impact pour les parties prenantes - clients, employé, fournisseurs, etc. - dans un cycle court de trois à six mois », estime-t-il. Il en va parfois de même quand le développement interne est favorisé face à l'achat de solutions externes. « L'innovation coûte cher, rappelle Sean Knapp, fondateur et CEO de l'éditeur de pipelines data Ascend. Et les DSI devraient gérer les aspects culturels de la transformation numérique en décourageant les développements internes qui n'apportent pas de réelle valeur ajoutée à l'entreprise, et en favorisant fortement au contraire une innovation sélective et stratégique ». Ils doivent commencer par mettre les besoins clients en regard avec les limites technologiques actuelles, rechercher des approches de mise en oeuvre simples, fournir des réponses efficaces par itérations courtes et recueillir les commentaires des clients afin d'ajuster les priorités.
3. Négliger la gestion du changement dès le départ
Autre recette infaillible pour échouer ? Faire passer la communication au second plan et n'aborder la gestion du changement qu'avant le déploiement de nouveaux services. « Lorsqu'il s'agit d'innovation d'entreprise, la plupart des employés sont enthousiastes, observe John Veltri, directeur général de la société de conseil en cloud Sada, mais il est essentiel de noter qu'une petite partie d'entre eux peut cependant s'inquiéter de la façon dont ils pourront collaborer avec leurs pairs ou dont ils accompliront leurs tâches quotidiennes. Certains s'inquiètent même du niveau de sécurité de leur emploi après la transformation. »
D'un côté, l'IT adore trouver des solutions et les mettre en oeuvre, surtout lorsqu'elles répondent à des limitations techniques sous-jacentes enracinées dans les systèmes existants et la dette technique. De l'autre côté, les parties prenantes de l'entreprise exigent souvent des résultats rapides. Résultat, les équipes se sentent obligées de se plonger dans la mise en oeuvre en omettant les étapes de communication et le programme de gestion du changement, pourtant essentielles au début d'une démarche de transformation numérique. Il est pourtant simple par exemple de documenter la vision mise en oeuvre et de communiquer celle-ci aux parties prenantes et aux utilisateurs finals avant de commencer.
4. Attendre des responsables IT qu'ils sachent comment mener des initiatives de transformation
Dans son ouvrage, Digital Trailblazer (pionnier numérique), le consultant Isaac Sacolick conseille aux DSI de former les dirigeants IT au pilotage d'initiatives de transformation. Ceux-ci sont souvent issus du monde de la technologie, comme la gestion de produits, la gestion de programmes, le développement d'applications, la data sciences ou les opérations informatiques. Ils ont généralement mené à bien avec succès des projets technologiques, mais n'ont peut-être ni la confiance ni l'expérience nécessaires pour diriger une transformation. S'ils ne sont pas formés, comment apprendront-ils à connaître les besoins des clients, à gérer des priorités contradictoires, à aligner des équipes auto-organisées autour d'une vision, à superviser la gestion du changement ou à gérer les détracteurs ?
La constitution d'une équipe dirigeante de pionniers du numérique est un plus grand défi aujourd'hui en raison du travail hybride, de la pénurie de compétences et du large éventail de pratiques et méthodes impliquées. Les DSI qui n'imposent pas de méthodes de travail ou de modèles de gouvernance standard risquent de voir leurs équipes débattre des cadres agiles à adopter, des outils devops à privilégier ou de la manière d'intégrer le design thinking dans leurs feuilles de route. Les enjeux sont trop importants pour que les DSI limitent la formation au développement des compétences techniques et laissent le développement du leadership aux DRH. Une approche pour les directeurs informatiques consiste à s'associer à ces métiers pour investir dans des programmes de leadership transformationnel et développer une vision de l'avenir du travail au sein de l'entreprise.
5. Supposer que les équipes auto-organisées répondront aux exigences de sécurité et de conformité
Les enjeux en matière de réglementation et de sécurité sont plus importants que jamais et s'y ajoutent désormais des objectifs de durabilité, de diversité et d'autres exigences ESG que les responsables de l'innovation doivent prendre en compte dans la transformation numérique. Supposer que toutes les personnes impliquées dans la conduite de l'innovation connaissent bien toutes ces contraintes réglementaires et de sécurité est une erreur aux conséquences considérables. S'attendre à ce que les développeurs des équipes agiles auto-organisées, les data scientists et les spécialistes de l'expérience utilisateur possèdent toutes les connaissances et les pratiques requises peut entraîner des risques matériels et des revers de mise en oeuvre. Les DSI doivent s'assurer que les experts en sécurité et en conformité collaborent efficacement avec toutes les équipes impliquées dans la transformation numérique.
6. Investir dans l'IA sans stratégie ni gouvernance des données
L'IA générative sera sans nul doute une priorité pour les DSI au cours des prochaines années. Heureusement, si l'on en croit Joerg Tewes, CEO de l'éditeur de base de données in memory Exasol les DSI ont une grande expérience en la matière : « Les entreprises ont toujours eu besoin de transformer leurs imposantes quantités de données en informations exploitables. L'IA va, en théorie, accélérer le processus, mais les particularités restent les mêmes ». Un débat subsiste cependant : dans quelle mesure l'expérience des DSI en matière de fourniture de services data driven servira-t-elle à l'ère de l'intelligence artificielle ? « Les organisations qui pensent pouvoir tirer directement parti de l'IA comme un simple incrément à leurs stratégies de transformation numérique existantes se trompe lourdement, répond Kjell Carlsson, responsable de la stratégie et de l'évangélisation de la data science chez l'éditeur de MLops Domino Data Lab. L'IA est constituée de technologies fondamentalement différentes qui nécessitent une stratégie et des compétences totalement nouvelles ».
La gestion des données est un élément clé de cette stratégie. « Avant de se lancer dans une transformation numérique complexe, les dirigeants doivent évaluer la viabilité de leurs données et mettre en oeuvre travail de nettoyage et de gestion pour s'assurer que les données sont exactes et complètes. Sinon, l'IA basera ses résultats sur des hypothèses incomplètes ou inexactes, ce qui entraînera des conséquences potentiellement désastreuses pour l'organisation », explique Brett Hansen. Selon Joerg Tewes, des questions organisationnelles sont également en jeu et pourraient amplifier les problèmes au fur et à mesure que l'IA devient de plus en plus utilisée : « Pour minimiser la complexité et créer des synergies, le DSI et le CDO (chief data officer) doivent rendre compte directement au CEO. Tous trois doivent aligner la stratégie business et la stratégie data, avec l'appui de compétences data et d'analytiques ».
7. Déclarer que la transformation numérique est un voyage sans communiquer de feuille de route
De nombreux DSI diront que « la transformation numérique est un voyage », mais communiquent-ils et mettent-ils à jour la feuille de route de celui-ci ? Celle-ci donne aux employés une direction, des détails sur l'objectif et les priorités stratégiques. Elle indique les investissements prévus, les possibilités de fusion-acquisition et partage une vision de l'itinéraire à suivre, ainsi que les étapes à franchir : technologies ciblées, technologies dont l'extinction est prévue, calendrier, intégrations prévues, fonctions prioritaires et délais de livraison prévus.
« L'un des faux pas les plus courants consiste à sous-estimer la fatigue décisionnelle qu'implique une telle transformation », déclare Asaf Darash, CEO de la plateforme d'enregistrement client Regpack. Or, l'existence d'une feuille de route va limiter le type de décisions, le moment où elles sont nécessaires et les options associées. Les DSI doivent toutefois se garder d'élaborer ces documents depuis leur tour d'ivoire, sans aller sur le terrain pour comprendre les besoins des clients et les objectifs business des parties prenantes. Il est d'ailleurs tout aussi important de passer du temps avec les techniciens pour en savoir plus sur les architectures, les plateformes et l'IA.
« Pour mener à bien une transformation numérique réussie, un responsable IT efficace doit s'intéresser à ce qui se fait sur le terrain, déclare Jeremy Burton, CEO de l'éditeur de la solution d'observabilité Observe. « Si les responsables informatiques ne comprennent pas concrètement les détails et l'impact business de ces nouvelles technologies, telles que les microservices, la livraison continue, l'infrastructure cloud-native et l'IA, ils prendront du retard ».