Créer et faire grandir une start-up est une entreprise aventureuse. Pour chaque Criteo, Uber ou Nimble Storage, il y a des centaines de sociétés apparemment brillantes qui sont entrées en fanfare dans le paysage technologique pour en disparaître sans échos quelques mois plus tard. On entend moins souvent parler de ces échecs que des succès et c’est bien dommage parce qu’il y a de grands enseignements à tirer de ceux qui ont essayé et trébuché. Heureusement, CB Insights, qui alimente une base de données sur les investissements en capital risque, a compilé les emails, billets de blog et interviews partagés par les fondateurs de start-ups au cours des dernières années. Nos confrères d’Infoworld en ont extrait les grandes lignes, instructives.
En mettant de côté les regrets, auto-critiques ou griefs rejetant la faute sur tel ou tel, ces chroniques font apparaître quelques thèmes assez révélateurs, en dehors des problèmes déjà identifiés, liés aux difficultés de financement ou au rejet pur et simple par les consommateurs des services et produits qui leur sont proposés. Des créateurs de jeunes pousses pourront y reconnaître des indices correspondant à leur propre situation. Et, partant du fait que certains projets informatiques sont quelquefois organisés comme des start-ups, on pourra aussi en tirer quelques leçons pour éviter de conduire son chantier IT dans le mur.
Comment éviter de tirer le rideau sur son fonds de commerce. (crédit : Pixabay/Geralt)
Signe n°1 : Vous n’avez pas de focus fort et cohérent
Si votre start-up n’a pas de focus fort, ou si celui-ci est sans cesse modifié ou étendu, il faut peut-être commencer à s’inquiéter. C’est une leçon que de nombreux fondateurs ont appris à leurs dépens. « Nous essayions de faire tout pour tout le monde », écrit ainsi Yash Kotak, le fondateur de la société Lumos, dans un billet intitulé « 5 raisons pour lesquelles ma start-up IoT a échoué », publié en juin 2015 sur le site de partage d’idées Medium. « Nous fabriquions des commutateurs pour automatiser les lumières, les ventilateurs et les chauffe-eau. Nous voulions automatiser votre téléviseur, votre réfrigérateur, votre four, tout autant que votre voiture si c’était possible ». Le problème, ajoute-t-il, ce n’est pas que cela soit fondamentalement mauvais d’attaquer les choses sous plusieurs angles. Mais, bien souvent, on ne peut utiliser ses ressources que de façon réduite avant de pouvoir conforter l’ensemble, et c’est à ce moment-là que quelque chose dérape. « Les ressources étant limitées, il est préférable d'identifier et de résoudre très bien un seul problème plutôt que de rester dans l’à-peu-près sur plusieurs points », reconnaît Yash Kotak. Ça vous rappelle quelque chose ?
Thor Fridriksson a rencontré les mêmes écueils dans sa défunte start-up Pumodo qui développait des apps pour les amateurs de sport. Il se souvient qu’après s'être empêtrés dans la « hype machine » et son battage médiatique, lui et son équipe ont commis l’erreur d’être médiocres sur un tas de choses au lieu d’être exceptionnellement bons sur une seule. « Notre business plan changeait chaque semaine », écrit-il sur le site de microblogging Tumblr. « Nous avions commencé par nous axer sur le football avant de devenir une app traitant de tous les sports ». Le mantra de Pumodo était alors « Think bigger », selon T.Fridriksson.
« Des idées, on peut en avoir 13 à la douzaine. Ce qui fait la différence, c’est l’exécution », confirme dans un post sur Crunch Network Jeanette Cajide, fondatrice de l’app mobile Blurtt arrêtée en 2014. Elle aurait pourtant dû le savoir. Sa start-up est passée par quatre modèles économiques différents afin de se résoudre à jeter l’éponge. C’est justement l’un des autres signes avertissant que quelque chose cloche.
Signe n°2 : Votre vision s’est emballée
Au départ, Blurtt permettait de créer pour 2 dollars une vraie carte postale personnalisée à partir de son téléphone et de l’envoyer à son destinataire par la poste. Un an plus tard, le modèle s’est transformé en un service gratuit qui comportait des publicités imprimées au dos de la carte. L’année suivante, nouveau virage. La start-up s’est muée en « plateforme mobile de micro-cadeaux et cartes de vœux ». Peu après, elle écarte cette idée et essaie de convaincre les utilisateurs de télécharger son app pour créer des images légendées. « A la fin, la passion et la magie avaient été perdues », admet Jeanette Cajide. « Il faut se rappeler pourquoi on a démarré à l’origine et ne jamais le perdre de vue », parce que quand on commence à ne plus aimer le faire, il faut arrêter, estime-t-elle.
C’est un peu ce qui s’est passé avec Secret, cet outil qui permettait de partager des messages de façon anonyme. Pendant quelques minutes en 2014, il a fait fureur parmi les utilisateurs initiés de la Silicon Valley. Sans compter que la start-up qui le développait ne manquait pas d’argent, loin de là. A son apogée, elle était valorisée plus de 100 millions de dollars. Mais cela ne suffit pas toujours pour faire avancer la machine. Après avoir dû se dépêtrer avec les plaintes pour harcèlement et la diffusion de rumeurs sans fondements (que pouvait donc engendrer d’autres le partage de messages anonymes ?) et, dans le même temps, connu une baisse d’utilisation, la start-up a fermé son service et rendu l’argent à ses investisseurs, après seulement 16 mois d’existence sur le marché.
Entre temps, Secret avait évolué plusieurs fois, modifiant son design et sa philosophie pour essayer d’apporter une réponse satisfaisante aux plaintes reçues et essayer de contenter tout le monde. A la fin, son co-fondateur David Byttow a déclaré que la start-up ne correspondait plus à la société qu’il avait commencé à bâtir. « Secret ne représente pas la vision que j’ai eue quand j’ai démarré », écrit-il sur Medium le 29 avril 2015, en expliquant que, de ce fait, fermer l’entreprise était la meilleure décision à prendre « pour moi, nos investisseurs et notre équipe ».
Une perte de la vision d’origine fut aussi la raison invoquée pour l’effondrement de ProtoExchange, une marketplace d’outsourcing dans le domaine de l’ingénierie matérielle, ainsi que pour l’arrêt de Digital Royalty, une start-up investie dans les stratégies liées aux médias sociaux. Cette dernière a subi des modifications considérables dans les mois qui ont précédé sa fermeture. « Certains de ces changements se sont faits sous notre contrôle, d’autres non », relate sa fondatrice Amy Jo sur le site de la société. « Pour respecter nos valeurs fondamentales, qui ont été l’épicentre de notre culture, nous avons décidé de raccroché notre couronne », écrit-elle en faisant référence au nom de la société, Digital Royalty.
Signe n°3 : Vous n’êtes pas prêts pour le succès
Quelques start-ups ont des idées géniales, mais elles manquent de ressources ou de savoir-faire pour les mettre en œuvre. Cette dangereuse combinaison ne crée pas exactement les fondations nécessaires à un succès durable. Ainsi en est-il allé pour UDsign, la start-up de Martin Erlić, qui est passée en l’espace d’un an du nouveau concept prometteur à la société bonne pour la casse. L’idée paraissait pourtant solide : l’app UDesign devait permettre de créer simplement ses propres motifs à appliquer sur un vêtement personnalisé. Cela semble plutôt intéressant, non ? Mais au lieu de recruter des développeurs expérimentés, Martin Erlić et ses associés ont décidé d’improviser et de faire eux-mêmes le boulot. « Ce qui est arrivé, c’est que nous avons dépensé en marketing tout ce que nous aurions pu consacrer à peaufiner le produit », explique-t-il sur Medium. « Nous avons cru pouvoir faire passer les choses comme ça au départ et les rattraper plus tard. C’était une erreur ». Du tape-à-l’œil sans fonctions, c’est une très vieille histoire qu’Attila Szigeti, fondateur de la start-up Rate My Speech, a également vécue. « Nous n’avions qu’une ébauche grossière de prototype, sans aucun produit qui soit vraiment intéressant à présenter, et nous n’avons pas pu attirer suffisamment de monde », se souvient-il, lui aussi dans un post publié sur Medium en juin dernier.
Certaines start-ups ne vont même pas aussi loin. Wattage, l’ancienne société de Jeremy Bell, devait permettre à tout un chacun de faire fabriquer un gadget en quelques jours à partir d’une idée dessinée en ligne à l’aide d’un outil de création. Ce dernier proposait différents composants de type drag&drop : boutons, capteurs, haut-parleur, affichage, etc. Mais, là encore, il manquait à ce concept les jambes pour le faire tenir debout. « Quand j’examine les différents prototypes que nous avons créés, la qualité n’y était tout simplement pas », admet Jeremy Bell en mai 2015. « Nous faisions grand usage de la découpe au laser, ce qui nous permettait de produire des objets proches de la vision que nous avions, mais cela ne suffisait pas. Ce dont nous avions vraiment besoin, c’était une sorte d’hybride entre la découpe laser et l’impression 3D. Mais, malheureusement, l’impression 3D était encore bien trop lente et chère pour pouvoir être utilisée de façon réaliste. » Et il se trouve que le manque de réalisme reste un assez gros obstacle à surmonter.
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Signe n°4 : Vous activité est bâtie sur un champ de mines juridiques
Si vous jouez avec le feu, vous risquez de vous brûler. Cela paraît évident et pourtant un grand nombre de start-ups se sont ainsi désintégrées, le plus souvent en raison d’infortunes liées aux questions de droits. On peut citer Grooveshark, une start-up de découvertes musicales qui a réussi à durer 10 ans avant d’être rattrapée par ses oublis juridiques. « En dépit des meilleures intentions, nous avons fait de sérieuses erreurs », a concédé la société dans un mémo non signé annonçant sa fermeture. « Nous avons échoué à obtenir des licences des titulaires des droits pour la grande majorité des musiques que nous avions sur le service ». Les accords que Grooveshark avait conclus avec les maisons de disques l’ont obligé non seulement à fermer le service et à nettoyer ses serveurs, mais aussi à transférer tout ce que possédait la société (le site web lui-même avec toutes les apps, les brevets et les copyrights) aux détenteurs de droits floués.
Les choses n’ont pas été aussi terribles pour Exfm, un autre service de découverte musicale, mais les problèmes juridiques ont également joué un rôle clé dans sa décision d’éteindre la lumière. « Les défis techniques sont aggravés par le caractère litigieux de l’industrie musicale, ce qui signifie qu’au fur et à mesure de notre croissance, l’attention des maisons de disques se manifestait immédiatement sous la forme de mises en garde et d’emails juridiques », ont expliqué en 2013 les co-fondateurs, Dan Kantor, Marshall Jones et Jason Culler, dans un email à leurs abonnés.
Quant à la start-up de social streaming Turnable, un temps en vogue, elle a vécu un destin similaire tout en signalant qu’elle aurait dû faire plus attention aux problèmes rencontrés par ses prédécesseurs. « En fin de compte, je n’ai pas tenu compte des leçons provenant des échecs de tant de start-ups de musique », a avoué le fondateur Billy Chasen, dans un billet sur Medium en mars 2014. « C’est une aventure incroyablement coûteuse à poursuivre et une industrie avec laquelle il est très difficile de travailler. Nous avons dépensé plus d’un quart de notre argent en avocats, royalties et services liés au support de la musique ».
Signe n°5 : Votre produit dépend du service d’un autre fournisseur
On pourrait appeler cela « le point de défaillance unique », de l'anglais « Single point of failure ». Si votre activité repose sur le service d’un autre fournisseur pour fonctionner, on peut dire que vous cherchez les ennuis. Il y a eu quelques regrettables histoires de start-ups qui ont accroché leur wagon à Twitter et vu le tapis enlevé sous leurs pieds sans avertissement. L’exemple récent le plus marquant est celui de Twitpic. Le service de partage d’images, jugé indispensable pendant un temps s’est heurté aux ambitions croissantes de Twitter et s’est retrouvé engagé dans une bataille qu’il ne pouvait pas gagner, selon la missive de départ publié par la société sur son blog. « Twitter a contacté notre département juridique pour demander que nous abandonnions la marque déposée de notre application au risque de perdre l’accès à leur API. Ce fut un choc pour nous dans la mesure où Twitpic existe depuis début 2008 et que notre marque déposée a été enregistrée à l’USPTO [l’office américain de dépôt de brevets] en 2009 ».
D’autres créateurs de start-ups ont subi une volte-face de Facebook. Ce fut le cas de Lookery, une société de marketing dont l’activité s’appuyait sur les données des réseaux sociaux. « Nous nous sommes exposés à un point de défaillance unique », pointe son co-fondateur Scott Rafer dans un billet en 2009. « De façon prévisible et raisonnable, Facebook a agi dans son propre intérêt plutôt que dans le nôtre ». Il explique que sa start-up « aurait pu et aurait dû » utiliser ses propres ressources pour établir un certain niveau d’indépendance plutôt que de continuer à investir dans la plateforme de Facebook. Un sentiment similaire a été exprimé par PostRocket, une société qui avait entrepris d’aider ses clients à gagner davantage de fans dans le jardin virtuel de Mark Zuckerberg. « Nous aurions pu et aurions dû faire mieux en vous apportant un produit fiable progressant au même rythme que le paysage marketing de Facebook », confessait en août 2013 le co-fondateur de la start-up Tim Chae. Tout en informant ses clients de l’arrêt de son service, il leur suggère en fait l’alternative de se tourner vers le nouvel outil analytique de Facebook, allant jusqu’à dire que le produit surpasse tous les autres services. Un parfait résumé du danger associé aux tentatives de combler les manques dans un service existant.
Certaines ont évité la fermeture, mais ont dû réduire leurs services
D’autres start-ups, qui n’ont pas été obligé de mettre définitivement la clé sous la porte, ont évoqué la difficulté de tenir le rythme face à des fournisseurs de services qui modifiaient régulièrement leurs API. C’est un exercice plutôt éprouvant de leur emboîter le pas quand vos propres fonds sont limités. La firme de marketing Argyle Social cite ce facteur parmi les causes de son échec. « Pour de petites structures, c’est difficile de suivre la cadence de Facebook et Twitter », a confié Adam Covati, fondateur d’Argyle, au site VentureBeat. « A chaque fois que les réseaux sociaux changent leurs API, cela représente beaucoup d’efforts de développement pour les outils tiers. (…) Nous pouvions voir qu’à long terme, nous aurions du mal à rester concurrentiel face à l'éventail de fonctionnalités de certains de nos concurrents ».
Le service de partage de chansons This Is My Jam a fait un constat identique. Dans un billet sur Tumblr publié cet été, Matthew Ogle et Hannah Donovan, deux de ses fondateurs, déplorent les ruptures intervenues dans les services sur lesquels le leur s’appuyait. « Nous interopérons avec YouTube, SoundCloud, Twitter, Facebook, The Hype Machine, The Echo Nest, Amazon et d’autres », énumèrent-ils.
Ce « point de défaillance unique » peut même venir d’un détail apparemment anodin comme les fonctions de recherche. Ainsi, pour attirer ses clients, une start-up du nom de Tutorspree a tout misé sur les fonctions de SEO (search engine optimization). Et quand le vent a tourné, elle s’est retrouvée perdue au beau milieu de l’océan sans même un gilet de sauvetage en vue. « Nous dépendions d’un seul canal et celui-ci nous a réorienté radicalement et soudainement », explique le co-fondateur Aaron Harris sur son blog en janvier 2014. Il peut se produire qu’un seul canal contribue à faire croître une entreprise très rapidement, mais les risques associés à ce canal unique sont importants et augmentent avec la taille de la société en question, résume Aaron Harris. Et il n’est pas nécessaire d’avoir des relations compliquées avec le service sur lequel on s’appuie, comme Yelp avec Google, pour sentir le danger de tels arrangements.