Le SaaS a connu une croissance explosive au cours des dernières années, car les fournisseurs, les leaders d'opinion et les responsables informatiques ont salué l'efficacité accrue, la réduction des coûts et la diminution des délais d'obtention des bénéfices attendus des déploiements que ce modèle peut apporter. Cependant, dans leur empressement à tenir les promesses du SaaS, les responsables IT perdent souvent toute visibilité sur ce pan technologique de leur entreprise, ce qui entraîne une sous-utilisation, voire une inutilisation, des applications. Selon le cabinet d'analyse Gartner, les entreprises dépenseront en trop 750 M$ pour des fonctions applicatives inutilisées rien que cette année.
Selon Pankaj Setia, professeur de systèmes d'information et de stratégie à l'Institut indien de gestion d'Ahmedabad, l'adoption massive de logiciels en SaaS et de modules complémentaires est inévitable car les entreprises se concentrent davantage sur la technologie que sur les fonctionnalités proposées. Or, selon lui, « tout responsable IT devrait penser à développer des capacités numériques avancées qui améliorent la situation de son organisation, car une entreprise est intéressée avant tout par sa performance. Et l'amélioration des performances se manifeste par ces capacités. Les DSI doivent donc repenser la manière dont ils vont créer des capacités métiers utiles, et ne pas se contenter d'acquérir des technologies offrant sans cesse davantage de fonctionnalités ».
Les fournisseurs de logiciels d'entreprise mettent souvent l'accent sur la forte réduction du coût marginal des fonctionnalités supplémentaires et sur l'impact cumulatif de ces modules sur les résultats, afin de convaincre les équipes chargées des achats du retour sur investissement des offres groupées par rapport à l'ajout ultérieur de fonctionnalités au fur et à mesure des besoins.
« Les entreprises tentent généralement de garantir l'adoption d'une application en démocratisant l'accès à celle-ci et en imposant ou en encourageant l'utilisation de modules d'auto-apprentissage », observe Sudhir Kesavan, associé chez PwC en Inde. « Parfois, elles surveillent également l'utilisation au moyen de tableaux de bord sur la fréquence d'utilisation au sein de la base d'employés ciblée. Si ces mesures permettent de s'assurer que cette cible utilise l'application, elles ne garantissent pas que l'ensemble des fonctionnalités pour lesquelles l'entreprise paie sont bien exploitées. »
Quelles que soient les raisons de la prolifération des logiciels en SaaS, il est essentiel de relever le défi de l'optimisation de leurs coûts et d'améliorer l'efficacité globale de l'organisation. Voici les leviers stratégiques essentiels pour éviter la prolifération du SaaS.
1. Gouvernance rigoureuse, audits réguliers et analyse de l'utilisation
Les responsables informatiques doivent procéder à des audits logiciels réguliers afin d'identifier et d'évaluer l'utilisation de toutes les applications SaaS au sein de l'entreprise. Kamal Goel, vice-président senior de l'IT chez Hitachi Systems India, donne quelques pistes en matière de modus operandi : « recueillez des données sur l'adoption et l'utilisation des logiciels, ainsi que sur les commentaires des utilisateurs, afin de déterminer quels outils apportent une réelle valeur ajoutée à l'organisation et lesquels sont sous-utilisés ou redondants. Cette analyse vous aidera à prendre des décisions éclairées sur les abonnements à conserver, à réduire ou à résilier. »
Chez un précédent employeur, le service informatique de Kamal Goel a réalisé un audit complet de toutes les applications SaaS utilisées et constaté que plusieurs équipes étaient abonnées à un outil de gestion de projet, mais que la plupart d'entre elles n'utilisaient qu'une fraction de ses fonctionnalités. « En passant à un outil plus ciblé et plus rentable et en abandonnant l'ancien, l'organisation a réalisé d'importantes économies sans compromettre la productivité », explique-t-il.
Parfois encore, les équipes continuent de s'appuyer sur les systèmes et processus existants, tandis que la qualité des données et des informations contenues dans le nouveau système diminue, ce qui rend superflues ses fonctionnalités les plus avancées. Selon Sudhir Kesavan, « la gouvernance de l'entreprise doit s'entêter à s'appuyer exclusivement sur les informations et analyses fournies par le nouveau système, même si cela entraîne une mauvaise décision ou des retards. Une telle obstination pousse les équipes à se mettre en conformité avec les directives, car elles réalisent que leurs indicateurs de performance vont en pâtir. »
2. Associer fonctionnalités et cohortes d'utilisateurs, comprendre le véritable ROI
Etablir une correspondance entre les fonctionnalités et les cohortes d'employés, associée à la fréquence des besoins de la base d'employés cible, constitue une aide précieuse dans les négociations des DSI avec les fournisseurs.
« Invariablement, les fonctionnalités de base seront utilisées par une majorité à une fréquence élevée, tandis qu'à l'autre extrémité du spectre, certaines fonctionnalités ne seront invariablement employées que par des utilisateurs chevronnés ou une cohorte spécialisée, dans une démarche ad hoc. La cartographie des fonctionnalités et des cohortes d'utilisateurs aidera l'organisation acheteuse et le département achats à négocier non seulement le bon volume, mais aussi le bon modèle de licence - par utilisateur, à la puissance calcul ou sur la base de licences flottantes », précise Sudhir Kesavan.
3. Processus d'approbation centralisé, décommissionnement systématique
Selon Anand Laxshmivarahan R, responsable du digital et de l'IT au sein du conglomérat indien Jubilant Bhartia Group, tout va pour le mieux quand une entreprise sait clairement de quelles capacités métiers elle a besoin et comment les mettre en oeuvre à l'aide d'applications SaaS standard, leaders sur leur marché. « Le problème survient lorsqu'à la place du département informatique, d'autres parties prenantes de l'entreprise commencent à prendre des décisions par elles-mêmes. C'est pourquoi la DSI doit être proactive en s'associant aux métiers pour traiter la question de la numérisation des capacités de l'entreprise », ajoute-t-il.
Sudhir Kesavan partage cet avis et ajoute : « Les modèles d'exploitation basés sur le numérique encouragent une fédération de compétences ayant leur domaine de responsabilité propres, ce qui entraîne une prolifération de logiciels spécifiques aux cas d'utilisation, voire de macros Excel, qui empêchent l'utilisation de nouveaux systèmes. Cette tendance a inévitablement pour effet de compromettre non seulement le retour sur investissement, mais aussi les bénéfices attendus en termes de sécurité et d'intégration ». Pour garantir l'adoption du nouveau logiciel SaaS et de l'ensemble de ses fonctionnalités, ainsi que la formation des utilisateurs, les DSI doivent comprendre le quotidien de leur base d'utilisateurs et mettre en place un programme formalisé pour mettre fin à l'utilisation de logiciels non standard.
Pour éviter de tels cas de Shadow IT, Kamal Goel propose que les leaders technologiques en entreprises mettent en place un processus d'approbation centralisé pour l'adoption de tout nouvel outil SaaS. « Les DSI devraient demander aux équipes de justifier tout nouveau besoin d'outillage, de démontrer sa valeur et d'expliquer comment il complète le portefeuille technologique existante. Cette approche garantit que chaque nouvel abonnement SaaS s'aligne sur la stratégie globale de l'organisation et empêche les adoptions impulsives qui peuvent conduire à une inflation du budget SaaS », explique-t-il.
Chez l'un des précédents employeurs de Kamal Goel, la DSI avait mis en place un formulaire officiel de demande pour toute application SaaS. Toute équipe souhaitant adopter un nouvel outil devait remplir ce formulaire, en précisant l'objectif de l'application, les avantages escomptés et les coûts estimés. La demande passait ensuite par un processus d'examen impliquant les principales parties prenantes, le service IT et la direction financière. « Ce processus a permis de réduire considérablement le nombre d'abonnements inutiles, car les équipes sont devenues plus attentives à leurs choix de logiciels », estime Kamal Goel.
Anand Laxshmivarahan R ajoute que les DSI peuvent également adopter des technologies offrant une visibilité sur la prolifération logicielle, qui peut alors être maîtrisée. « Nous sommes en train de mettre en place un cloud access security broker (CASB) qui nous donnera une visibilité sur le Shadow IT que nous n'avions pas auparavant », indique le DSI.
4. Révision périodique des contrats, passage en revue des fournisseurs
Examiner régulièrement l'évolution des fournisseurs et les contrats SaaS existants, pour s'assurer qu'ils répondent toujours aux besoins de l'organisation et s'alignent sur ses objectifs, fait également partie des armes dont disposent les décideurs IT pour maîtriser le budget SaaS. « Au fur et à mesure que les besoins de l'entreprise évoluent, certaines applications peuvent devenir obsolètes ou moins pertinentes. Négociez avec les fournisseurs pour obtenir de meilleures conditions ou envisagez des solutions alternatives offrant des fonctionnalités similaires à moindre coût », explique Kamal Goel. Et de citer le cas d'une organisation qui a découvert qu'au fil du temps, les fonctionnalités offertes par son logiciel de marketing par e-mail n'étaient pas pleinement utilisées. « Au lieu de continuer avec le fournisseur actuel, elle a opté pour une plateforme différente avec un ensemble de fonctionnalités mieux adapté, ce qui lui a permis de réaliser des économies substantielles », précise-t-il.
Il existe aujourd'hui des technologies qui permettent aux DSI d'avoir une visibilité complète sur l'environnement SaaS de l'entreprise. Cependant, les responsables IT à l'ancienne, qui se contentent de définir les environnements matériels et logiciels et se concentrent uniquement sur la gestion de l'environnement informatique, utilisent rarement ces technologies pour réduire la prolifération des SaaS. « Dans le contexte actuel de prolifération technologique, il est possible que des dirigeants intelligents trouvent des moyens de créer des opportunités de différenciation intéressantes pour leur entreprise en tirant parti des fonctionnalités inutilisées. En d'autres termes, les DSI devraient se concentrer sur les moyens de développer les capacités numériques de leur organisation, tandis que les employés devraient être encouragés à réfléchir à des initiatives créatives », tranche Pankaj Setia.