Face aux défis induits par la digitalisation de l'entreprise, DSI et direction générale n'anticipent pas assez les implications organisationnelles, induites par ce changement technologique, et négligent souvent l'accompagnement au changement. Car, aussi puissante que soit l'interface graphique d'une application (UX Design) ou sa richesse fonctionnelle, sans expliquer le sens de ce changement, son adoption sera vouée à l'échec.

Il n’y pas de déterminisme technologique

Les outils sont-ils source de changements organisationnels ? A cette question, Philippe Bernoux* répond « que si les technologies sont l’une des variables qui influent sur l’organisation, en aucun cas elles n’en constituent « le » facteur unique ni essentiel ». Ainsi, quelle est la motivation de l’entreprise à s’équiper de solutions collaboratives ? Il existe de nombreuses raisons : l’adaptation aux nouveaux rythmes des salariés (télétravail, extension des plages horaires, multiplication des équipements) l’intégration de nouveaux usages issus ou non de nouvelles générations, la recherche de compétitivité, d’efficacité, de productivité ou le simple effet de mimétisme. Si la technologie a favorisé de nouveaux comportements nomades, elle n’en est pas à l’origine. De la même façon, le développement de l’usage de certains moyens de communications, comme les messageries instantanées, n’est pas le fait de l’existence même de ces technologies, car leur adoption a été très tardive et accélérée par les médias sociaux. D’ailleurs, la technologie ou son adoption est souvent survenue d’un usage de la sphère privée porté dans l’entreprise (shadow IT, shadow collaboration) ; un phénomène qui a obligé l’entreprise à repenser son organisation et ses outils.

 L’organisation de l’entreprise en question

Selon les chercheurs du MIT, Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee**, la révolution numérique ne date pas d’aujourd’hui, et ce que l’on nomme à présent les « nouveaux médias » ne sont pas beaucoup plus récents. Ils nous rappellent que la révolution numérique a vu le jour il y a presque un demi-siècle déjà. Ils prédisent ainsi que le numérique va transformer encore plus profondément notre mode de vie et que le capital organisationnel (nouveaux processus ou nouvelles techniques) enrichit aussi notre économie. La transformation numérique est le moyen, pour les entreprises, de se constituer un avantage relatif dans la course à la domination des marchés. Ainsi, les entreprises qui ne changent pas leur organisation avec l’intégration des nouveaux outils, verront l’échec de l’adoption de ces mêmes outils. Et le temps de la sélection de l’outil reste le moment privilégié pour repenser l’organisation, si cette même sélection ne découle pas d’un changement organisationnel évidemment. Cette réflexion restera comme un moment révélateur de l’organisation et de son fonctionnement, une image des représentations possibles de celle-ci. Un effet induit de la technologie et non direct. D’ailleurs, plus les outils sont perfectionnés et développés, plus il y a de chance que ceux-ci accompagnent des changements organisationnels significatifs. Jean-Louis Beffa***pense que « l’impulsion ne peut venir que du sommet et de façon très directrice ». C’est pourtant l’adhésion du plus grand nombre qu’il convient de viser.

 La nécessaire implication des acteurs

Si souvent le changement nait sous l’impulsion de la direction, le succès de son adoption se trouvera dans la co-production de son déploiement avec l’ensemble des acteurs. Pour Philippe Bernoux, « Il n’y pas de changement possible sans implication des acteurs ». Mais il n’y a pas plus de changement possible sans compréhension du sens de ces changements. Tandis qu’un sondage Opinion Way**** nous apprend que la DSI est le moteur principal du déploiement de la digital workplace (97 %) de concert avec la direction générale (95 %), le courant managérial qui place la qualité de vie au travail et la qualité des relations dans l’entreprise au centre des réflexions du changement porte cette idée de l’importance d’associer tous les acteurs. Et devant la relative adoption de ces nouveaux outils, les sociétés de conseil apparaissent comme les réels protagonistes de ce changement. Jean-Louis Beffa écrit qu’il « est essentiel de connaitre en profondeur la firme à transformer. (…) des consultants peuvent apporter leur aide ». Philippe Bernoux, lui, cite un autre sociologue : Renaud Sainsaulieu pour qui il est essentiel de faire appel à la médiation d’un tiers, car « la dynamique d’innovation ne résulte pas de l’affrontement entre partenaires déjà installés dans le système social antérieur ». Le rôle du consultant sera de briser la routine et d’aider à la déconstruction pour re construire : seul un regard extérieur permettrait de ne pas répéter des schémas installés. L’appropriation collective des technologies passe par des méthodes plus innovantes que des simples formations, et qui s’inscrivent dans la durée (coaching, mentoring) ; le consultant est à même de proposer d’autres modèles et d’autres modes opératoires.

L’entreprise qui veut assurer sa croissance et maintenir sa satisfaction client doit aligner son organisation et ses outils sur les enjeux contemporains. Ces transformations, qui sont incarnées par la réinvention de la digital workplace, passent par une impulsion forte de la direction et l’adhésion de tous. Mais ces changements radicaux nécessitent des méthodes nouvelles, que seul un tiers peut imaginer et aider à implémenter.

 

*BERNOUX P., Sociologie du changement dans les entreprises et les organisations, Paris, Seuil, 2004
** BRYNJOLFSSON E., Mc AFEE A., Le Deuxième âge de la machine : Travail et prospérité à l'heure de la révolution technologique, Paris, Odile Jacob, 2015
***BEFFA J-L., La révolution numérique et les entreprises. Se transformer ou mourir, Paris, Seuil, 2018. (Seconde édition)
****Les DSI et la Digital Workplace. 2019. Sondage Opinion Way pour Mitel et Orange Business Services