Il y a seulement quelques jours, la voix du ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications, Jean-Noël Barrot, se faisait entendre sur la question de la régulation de l’IA. « Il ne faut pas revoir le logiciel politique, […] il s’agit d’accueillir cette nouvelle vague de technologies comme on a accueilli les précédentes, c’est-à-dire en les mettant au service de notre projet de société ». Pourtant, tout le monde ne semble pas être du même avis. Le 12 septembre dernier, huit députés issus de différents partis politiques ont présenté un projet de loi visant à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur. « Il existe un défi économique, culturel et juridique majeur lié au développement effréné de l’intelligence artificielle (IA) qu’il convient de régler urgemment » indiquent Guillaume Vuilletet, Claire Pitollat, Olga Givernet, Dominique Da Silva, Stella Dupont, Émilie Chandler, Estelle Folest, et Cécile Rilhac en préambule de cette proposition.
Si à ce jour, l’article L. 112‑1 du code de la propriété intellectuelle précise que « les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination », le droit d'auteur n'évoque d'aucune manière les oeuvres générées par l'IA. Et pour cause, puisqu'il a été créé par la loi nᵒ 92-597 du 1ᵉʳ juillet 1992. « Face à l’IA, écosystème qui avance à pas de géant, le législateur doit protéger impérativement les auteurs et artistes de la création et de l’interprétation [...] en accord juridique avec le Code de la propriété Intellectuelle » réclament les élus. Pour illustrer leur propos, ces derniers évoquent un tableau de Rembrandt, « the Next Rembrandt » (« le prochain Rembrandt ») qui a été réalisé en 2016 par une imprimante 3D, soit 351 ans après la mort du peintre. Une forme de créativité pour certains, un manque de respect de l'oeuvre de l'artiste pour d'autres.
Contrôler à tout prix l’exploitation d’œuvres générées par l’IA
« L’évolution exponentielle de l’IA à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui oblige à chercher et trouver une parade pour endiguer ce qui, dès à présent, nous semble être une menace et probablement un désastre à venir pour la création, qu’il s’agisse des arts plastiques, de l’image photographique, des livres, de la musique, des articles scientifiques ou de presse, etc ». Dans leur proposition, ils ne manquent donc pas de souligner que ces « secteurs déjà précaires », sont « fragiles économiquement » car « soumis, en termes de rémunération, aux droits d’auteur à la française ».
Souhaitant répondre à ce flou juridique entourant les œuvres générées par l’IA générative, les députés invoquent un contrôle strict de l’exploitation de ces œuvres dans le but de collecter plus facilement les rémunérations perçues sur celles-ci et garantir une rémunération juste et équitable pour leur exploitation. Sans donner de détails supplémentaires, ils évoquent la question de la traçabilité comme moyen d’autoriser cette rémunération. Il s’agit de rendre « identifiables les auteurs et artistes qui auraient dû bénéficier d’une demande d’autorisation avant que leurs créations et interprétations ne soient avalées par un algorithme qui s’en sert ou s’en inspire aux côtés de milliers d’autres ». L'occasion de faire un point sur ce que proposent les élus au travers des quatre articles venant modifier le Code de la propriété intellectuelle.
Qui est l'auteur ? Qui doit être rémunéré ? Des questions en suspens
L’article 1 est en fait un ajout fait à l’article L. 131‑3 du code de la propriété intellectuelle : « L’intégration par un logiciel d’intelligence artificielle d’œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur dans son système et a fortiori leur exploitation est soumise aux dispositions générales du présent code et donc à autorisation des auteurs ou ayants droit ». Ainsi, si une œuvre vient à être créée par une IA sans intervention humaine directe, « les seuls titulaires des droits sont les auteurs ou ayants droit des œuvres qui ont permis de concevoir ladite œuvre artificielle ». Cette gestion des droits pourrait être effectuée au choix par des sociétés d’auteurs ou par d’autres organismes de gestion collective, habilitées à représenter les titulaires des droits et à percevoir les rémunérations afférentes à l’exploitation de la copie des œuvres, conformément aux règles établies par les statuts de ces sociétés.
Concernant l’article 3 de la proposition de loi, il est précisé que « dans le cas où une œuvre a été générée par un système d’intelligence artificielle, il est impératif d’apposer la mention : « œuvre générée par IA » ainsi que d’insérer le nom des auteurs des œuvres ayant permis d’aboutir à une telle œuvre ». Enfin, l’article 4 vient compléter ce dernier avec trois points : « Dans l’éventualité où une œuvre de l’esprit est engendrée par un dispositif d’intelligence artificielle à partir d’œuvres dont l’origine ne peut être déterminée, une taxation destinée à la valorisation de la création est instaurée au bénéfice de l’organisme chargé de la gestion collective désigné par l’article L. 131‑3 modifié du présent code. « Cette taxation est imposée à la société qui exploite le système d’intelligence artificielle ayant permis de générer ladite "œuvre artificielle". » Et pour se faire, « un décret en Conseil d’État fixe le taux et l’assiette de cette taxation ». Via ce dernier article, le groupe de députés évoque donc l’idée d’une taxation « visant à valoriser la création au profit de l’entité chargée de la gestion collective, lorsque des œuvres de l’esprit sont engendrées par un dispositif d’intelligence artificielle à partir d’œuvres dont l’origine demeure incertaine ». En clair, il s’agit surtout d’inciter n’importe quel système d’IA à respecter le droit d’auteur coûte que coûte.
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