Encore une fois, la CISA (Cybersecurity and Infrastructure Security Agency) équivalent de l’Anssi aux Etats-Unis a lancé une alerte concernant une faille exploitée par des cybercriminels. En l’occurrence, il s’agit d’une vulnérabilité présente dans la solution de développement d’applications Web et mobiles, ColdFusion d’Adobe. Selon le régulateur, elle a servi en juin dernier dans deux attaques contre des agences fédérales. Les attaquants ont utilisé ce moyen pour déployer des shells web et collecter des informations afin de se déplacer latéralement dans les environnements.
Dans les deux cas, les instances ColdFusion compromises étaient obsolètes, car un correctif était disponible depuis le mois de mars pour la vulnérabilité exploitée. « L'analyse suggère que l'activité malveillante des acteurs de la menace avait un but de reconnaissance pour cartographier le réseau dans son ensemble », a déclaré la CISA dans son avis, sans attribuer les attaques à un groupe connu. « Pour l’instant, aucune preuve ne permet de confirmer une exfiltration de données réussie ou un mouvement latéral au cours de l'un ou l'autre incident », ajoute-t-elle.
Une vulnérabilité de désérialisation critique
La vulnérabilité exploitée dans les deux incidents, répertoriée sous la référence CVE-2023-26360, est une faille de désérialisation critique qui peut être exploitée pour exécuter du code à distance. Elle affecte les versions 2021 et 2018 de ColdFusion, ainsi que des versions plus anciennes qui ne sont plus supportées. La faille a été corrigée en mars, en même temps qu'une autre brèche similaire (CVE-2023-26359) et qu'un problème de traversée de répetoire. En programmation, la sérialisation désigne le processus de conversion des données en un flux d'octets, généralement pour les transmettre par câble. La désérialisation est l'inversion de ce processus et, comme la plupart des opérations d'analyse de données dans les logiciels, elle peut être source de vulnérabilités si les utilisateurs contrôlent l'entrée.
Pendant des années, les applications Java ont été affectées par ce type de vulnérabilités non sûres et la plate-forme serveur ColdFusion pour l'exécution d'applications CFML (ColdFusion Markup Language), est écrite en Java. Les failles de désérialisation ne sont pas rares dans ColdFusion. Depuis le mois de mars, Adobe a corrigé six autres brèches de ce type, jugées critiques et susceptibles d'entraîner l'exécution d'un code arbitraire, dont trois le mois dernier. Les attaquants cherchent également à les exploiter, et une faille de désérialisation de ColdFusion corrigée en juillet fait l'objet d'une exploitation active dans la nature.
Le serveur sous-jacent ciblé
Même si ColdFusion est un logiciel multiplateforme, il est généralement déployé sur des serveurs Windows utilisant le serveur web IIS. Ce qui en fait une cible attractive pour les pirates, car le serveur sous-jacent peut contenir des comptes et d'autres informations pouvant facilter des mouvements latéraux au sein du réseau Windows d'une entreprise. Dans les deux cas, les attaquants ont utilisé la vulnérabilité pour télécharger des fichiers cryptés avec l'extension .txt qui ont ensuite été décodés à l'aide de l'utilitaire Certutil WIndows en fichiers .jsp qui ont servi de shells web - des scripts de backdoor qui offrent aux attaquants d'exécuter des commandes à distance sur un serveur. Dans l'un des incidents, les cybercriminels ont créé un dossier de préparation dans lequel ils ont déposé plusieurs utilitaires : un fichier DLL d'exportation de cookies qui fait partie du navigateur Edge de Microsoft, un scanner de ressources réseau appelé fscan.exe, une copie du compilateur de ressources Microsoft et d'autres exécutables. Le shell web malveillant contenait également un code qui tentait de décrypter les mots de passe des sources de données ColdFusion.
ColdFusion enregistre les mots de passe sous forme cryptée avec une valeur d'amorçage codée en dur dans ColdFusion 8, mais elle est unique pour chaque installation dans les versions ultérieures. « Un acteur qui contrôle le serveur de base de données peut utiliser ces valeurs pour décrypter les mots de passe des sources de données dans ColdFusion version 8 ou antérieure », a expliqué la CISA. « Les serveurs de la victime utilisaient une version plus récente au moment de la compromission, si bien que le code malveillant n'a pas réussi à décrypter les mots de passe en utilisant la valeur d'amorçage codée en dur par défaut pour les anciennes versions. Les attaquants à l'origine du second incident semblent avoir été plus habiles et ont utilisé des tactiques de reconnaissance plus avancées. Ils ont dénombré les domaines de confiance à l'aide des commandes nltest et ont recueilli des informations sur les comptes administrateurs locaux et de domaine à l'aide de commandes telles que localgroup, net user, net user /domain et ID. Ils ont également tenté de découvrir la configuration du réseau, les journaux temporels et les informations sur les utilisateurs.
Des changements de tactiques en cas de blocage
Selon la CISA, ils ont tenté de copier et d'exfiltrer des ruches de registre système telles que HKEY_LOCAL_MACHINE (HKLM) et le Security Account Manager (SAM), mais l'activité a été détectée et bloquée. « Le fichier de registre SAM donne aux acteurs malveillants la capacité d’obtenir des noms d'utilisateur et de trouver les mots de passe par rétro-ingénierie, mais, aucun artefact n'était disponible pour confirmer que les acteurs de la menace avaient réussi à exfiltrer la ruche de registre SAM », a déclaré l'agence. Les pirates ont aussi vidé la mémoire du service LSASS (Local Security Authority Subsystem Service), qui contient généralement les identifiants NTLM des comptes utilisateurs utilisés sur le système, y compris les identifiants désactivés qui pourraient encore être valides sur d'autres systèmes.
En voyant que certaines de leurs tentatives étaient bloquées, ils ont changé de tactique en essayant de vider le registre à l'aide d'outils de sécurité présents sur le système. Ils ont également essayé d'accéder à l’ensemble de fichiers et de dossiers SYSVOL sur un contrôleur de domaine, un outil utilisé pour fournir des scripts de stratégie et de connexion aux membres du domaine. En ce qui concerne les techniques de post-compromission spécifiques à ColdFusion, les attaquants ont accédé au fichier seed.properties de ColdFusion, qui sert à stocker la graine unique utilisée pour chiffrer les mots de passe. L'avis de la CISA contient des indicateurs de compromission ainsi que des tactiques, techniques et procédures (Tactics, Techniques and Procedures, TTP) qui pourraient aider les entreprises à développer des mécanismes de détection pour des attaques similaires contre des déploiements de ColdFusion. L'agence fournit aussi des instructions pour atténuer les effets de l'attaque, qui vont de la mise à jour du logiciel à la segmentation du réseau, en passant par les politiques de contrôle des applications et les autorisations de comptes et de fichiers.
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