L'industrie a entamé une transformation en profondeur, poussée par la vague des technologies émergentes et de l'usine du futur. Collaborateurs et managers ont un rôle déterminant à jouer pour la réussite de ces initiatives. Mais cela suppose de revoir en profondeur les modes de travail actuel, pour aller vers des organisations plus horizontales, où la collaboration opère à tous les niveaux.
Même à l'heure de l'Internet des Objets (IoT) et de l'intelligence artificielle (IA), les industriels français considèrent que leurs deux plus grandes forces restent le savoir-faire (39%) et les talents humains (34%), devant les technologies de pointe (27%). La transformation numérique est donc avant tout une question d'humains, y compris dans l'industrie. C'est le premier constat qui ressort de l'enquête OpinionWay/ Slack Technologies, menée en décembre 2019 auprès de 1002 cadres de l'industrie en France.
L'IA doit se nourrir de l'intelligence humaine
Pour Vinciane Beauchene, Managing Director et Partner au BCG, « les entreprises font face à une incertitude qui va croissant, dans un monde de plus en plus complexe. » Il y a quelques années, une étude du BCG a évalué que là où le degré de complexité avait été multiplié par un facteur 6, le nombre d'outils pour gérer cette complexité avait dans le même temps été démultiplié par 35. Dans ce contexte, les organisations et les modes de management actuels ont atteint leurs limites. « Les processus seuls ne peuvent plus répondre à ces enjeux. Il faut absolument remettre de l'intelligence humaine dans les organisations. Pour nous, la réponse passe à 10% par les données et algorithmes de traitement associés, à 20% par la technologie et à 70% par l'humain », souligne Vinciane Beauchene. Pour celle-ci, « l'algocratie » seule n'est pas la solution à tout. « C'est quand elle est nourrie par l'intelligence humaine que l'intelligence artificielle produit les meilleurs résultats. Cela suppose de faire évoluer à la fois les compétences et les modes de travail », prévient-elle.
La collaboration est l'un des leviers permettant à l'intelligence humaine de s'épanouir, notamment dans l'industrie. Les répondants de l'enquête s'accordent en effet pour dire que la collaboration favorise la créativité et la productivité (95%), le bien-être des employés (95%), la culture d'entreprise (94%) ou encore l'agilité (90%). Interrogés sur leur perception de la collaboration, les cadres de l'industrie sont 40% à la considérer comme une nécessité pour concevoir des projets. Pour 26%, c'est une réalité quotidienne, une proportion qui grimpe à 38% dans les PME de moins de 50 salariés. 22% estiment quant à eux qu'il faut la développer (dont 32% des cadres de moins de 35 ans), et 12% y voient avant tout de nouvelles façons de travailler, signes que la culture de la collaboration ne s'est pas encore diffusée dans l'ensemble du tissu industriel.
Collaboration et agilité à l'échelle restent des défis
Malgré la forte dimension internationale de l'industrie, avec des fournisseurs et des sites de production partout dans le monde, à l'heure actuelle, la collaboration se concrétise principalement à l'échelon national et européen. Ainsi, 43% de répondants collaborent principalement avec la France et 40% avec l'Europe, des taux qui chutent en deçà de 10% pour les autres continents.
Au niveau global, seuls 49% des cadres estiment que la collaboration est suffisamment développée dans leur entreprise. Le critère de proximité se retrouve au niveau des acteurs privilégiés pour la collaboration. C'est en effet au sein des équipes que la collaboration est la plus développée (62%). « Même si c'est là que le taux est le plus élevé, il reste en dessous des niveaux atteints par d'autres secteurs », précise Clotilde Combe, directrice adjointe du département études chez OpinionWay. Les industriels sont seulement 45% à avoir bien développé la collaboration avec leurs partenaires et fournisseurs. Enfin, dès lors qu'il s'agit de collaborer entre sites géographiquement distants ou entre filiales, ils ne sont plus que 43% et 36% à penser que cette pratique est bien développée.
« Nous arrivons aux limites du modèle de management directif, en mode command & control. Pour basculer vers un modèle agile à l'échelle, il faut rechercher à la fois l'alignement de l'organisation en termes d'objectifs stratégiques, tout en laissant le niveau d'autonomie suffisant aux collaborateurs sur le terrain, afin de permettre l'émergence de réponses. Cela suppose un nouveau management, basé sur la confiance et la transparence », estime Vinciane Beauchene.
Des plateformes collaboratives pour casser les silos
Interrogés sur les freins à une collaboration plus efficace et étendue, les cadres industriels évoquent en premier lieu le manque d'implication des collaborateurs (43%), suivi par celui de la direction (35%) et la culture de l'entreprise (33%). Le manque d'outils adaptés est également mentionné par 28% des sondés.
En termes d'outils, les collaborateurs de l'industrie sont 74% à être équipés de solutions de collaboration. 59% les utilisent régulièrement, tandis que 15% ne s'en servent pas. Enfin, un quart des répondants ne disposent pas de telles solutions, une proportion montant à 51% dans les petites entreprises (moins de 50 salariés). Il subsiste donc une marge de progression importante pour diffuser et étendre l'usage des outils collaboratifs dans l'ensemble du tissu industriel français, d'autant plus que celui-ci comporte beaucoup de PMI. « Beaucoup d'entreprises fonctionnent encore avec des e-mails, c'est à mon sens un bon exemple de communication top-down, qui fragmente l'organisation et entretient les silos », souligne Jean-Marc Gottero, DG France de Slack.
Plus de la moitié (52%) des sondés estiment que la mise en place de plates-formes de collaboration les aiderait à mieux collaborer, tandis que 18% citent la mise à disposition de terminaux mobiles et 16% l'IoT (notamment pour obtenir des données venant de clients ou de fournisseurs). 63% des répondants indiquent enfin que leur entreprise a prévu de déployer des solutions de collaboration : 47% de ces projets concernent des logiciels, 24% des terminaux.
Développer la collaboration remodèle les entreprises
Si les entreprises industrielles ont pris conscience de la valeur de la collaboration, l'une des difficultés reste de trouver le porteur de projet. « Le sujet de la collaboration est transversal : il peut être porté par la direction du digital, la direction générale, l'IT ou les métiers. Nous n'avons pas vraiment d'interlocuteur précis », témoigne Jean-Marc Gottero. D'après l'enquête, les départements les plus avancés en termes de collaboration sont la production (27%) et la R&D (23%), qui forment le coeur de métier des acteurs industriels. La supply chain, autre métier important de l'industrie, n'est citée que par 15% des répondants. Par ailleurs, 23% des sondés estiment que tous les départements de leur entreprise sont au même niveau de collaboration.
« La collaboration étendue entraîne des impacts importants sur l'entreprise », prévient Vinciane Beauchene. « Si l'on veut faire travailler ensemble des équipes avec des modes de conception très différents, il faut revoir l'architecture des produits, pour aller vers des solutions modulaires. Il ne faut pas occulter non plus le sujet des compétences : laisser davantage d'autonomie aux collaborateurs suppose également un niveau d'exigence plus élevé en termes de compétences, ainsi qu'une certaine polyvalence. Cela suppose des efforts importants en formation, certains postes nécessitant même une requalification complète ». Pour Jean-Marc Gottero, cette évolution des compétences dans l'industrie se traduit notamment par la part croissante des profils issus du monde du logiciel. Il cite notamment l'exemple de Renault Digital, filiale de Renault chargée de diffuser l'innovation numérique au sein du groupe, dont les collaborateurs s'appuient sur Slack pour travailler au quotidien.
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