La surconsommation des ressources, exacerbée par les usages numériques, appelle à un changement global de nos pratiques. Un modèle qui repense la mutualisation et la normalisation des données, comme celui que nous avons choisi au GIP-MDS, vise justement à réduire l'empreinte écologique du numérique et tendre vers une plus grande sobriété. Le GIP-MDS est le Groupement d'Intérêt public Modernisation des déclarations sociales qui gère le portail de la protection sociale net-entreprises.fr.
Tous les ans, le think tank Global Footprint Network calcule la date à laquelle l'humanité aura consommé l'ensemble des ressources que la Terre peut reconstituer en une année. En 2024, cette date a été fixée au 25 juillet contre le 2 août l'année précédente. Cette différence d'une semaine souligne une tendance persistante à la surconsommation des ressources, et ce même dans nos usages numériques, mettant en évidence des conséquences naturelles bien tangibles. En France, 2,5% des émissions de gaz à effet de serre seraient le produit de nos usages numériques. Qui plus est, ce taux pourrait augmenter de 45% entre 2020 et 2030 et tripler entre 2020 et 2050 si rien n'est tenté. Ces émissions sont le résultat d'un manque de pratiques durables en matière de nouvelles technologies et de gestion des données qui consomment énormément de ressources, notamment pour la fabrication des équipements. Face à ce constat, comment repenser nos usages de façon collective ?
Seul un changement global des usages permettra de tendre vers un modèle numérique responsable
On constate que la préservation des ressources terrestres passe par l'application de modèles responsables aussi bien au niveau des infrastructures que des usages. En effet, si près de 80 % des impacts du numérique dans le monde sont dus à la fabrication des appareils, 25% des émissions de gaz à effet de serre du secteur proviennent d'infrastructures réseau et de datacenters. Et l'impact global n'est pas seulement lié aux émissions carbone. Google révèle par exemple que ses datacenters ont consommé l'équivalent d'environ 21 milliards de litres d'eau en 2022.
L'intelligence artificielle risque d'accentuer fortement cette surconsommation de ressources. D'ici à 2027, elle pourrait nécessiter un volume d'eau équivalent à 7 fois la consommation annuelle du Danemark, selon l'observatoire de l'OCDE. Et comme l'explique le think tank spécialisé sur l'énergie The Shift Project, les usages et les infrastructures sont intrinsèquement liés : « l'évolution du volume de données entraîne le développement des infrastructures qui les transportent, les traitent et les conservent, permettant ainsi à de nouveaux usages d'apparaître, eux-mêmes plus gourmands en données grâce à cette nouvelle disponibilité. C'est cet enchaînement d'effets rebonds qui régit aujourd'hui l'évolution du système numérique mondial et que la sobriété numérique questionne ».
C'est pourquoi, au GIP-MDS Net-entreprises, nous pensons que le concept de sobriété numérique ouvre la voie pour un changement global des usages, permettant d'aller vers davantage de résilience et de durabilité. Nos convictions tiennent en trois mots : simplifier, optimiser, rationaliser. Autrement dit, simplifier les procédures administratives, optimiser nos écosystèmes numériques et rationaliser les données demandées aux entreprises. Concrètement, notre solution pour accompagner ce changement au sein de toutes les organisations de la protection sociale s'articule autour de deux démarches : la mutualisation et la normalisation des données.
La mutualisation contribue à la conception de services pour le plus grand nombre
La mutualisation consiste en la mise en commun des infrastructures, des données et des compétences entre des organisations qui ont intérêt à travailler ensemble. Un même portail, de mêmes données peuvent servir différents acteurs. Par ailleurs, la mutualisation contribue à la conception de fonctions et de services les plus génériques possible, pour que leurs usages soient partageables et que le plus grand nombre d'acteurs puisse en bénéficier, sans avoir à réaliser de nouveaux développements, ou à mobiliser de nouvelles infrastructures. Elle permet d'éviter un empilement d'initiatives, et la création d'autant de systèmes numériques et de datacenters. Enfin, ce travail responsabilise le collectif en matière d'usages puisqu'il pousse chaque acteur à devenir une partie prenante de cet outil commun.
Pour la mutualisation, nous considérons notre plateforme net-entreprises.fr comme un modèle vertueux de gestion de grands volumes de données. Ce collectif créé par les organismes de protection sociale en 2000 rassemble une trentaine de membres et de partenaires. Il peut donc rationaliser les flux, en mettant en place un bouquet de services centralisé, en lieu et place d'une diversité de solutions et de sites, via son portail. Emblématique de ce modèle, la Déclaration sociale nominative (DSN) remplace à ce jour 75 procédures en un flux unique de données. À elle seule, elle génère pas moins de 9 milliards de données chaque mois, soit 108 milliards par an, redistribuées aux organismes de la protection sociale. Et bien plus de données encore transitent sur la plateforme net-entreprises.fr.
La normalisation des données quant à elle est une extension de la démarche de la mutualisation, appliquée à la gestion des données. Elle est partie intégrante de la démarche d'écoconception des normes d'échange. Son objectif est d'établir un langage commun pour les diverses données utilisées entre les parties prenantes (éditeurs de logiciel de paie, entreprises, experts-comptables, organismes de protection sociale et administrations). Il faut capitaliser sur les données existantes et garantir une cohérence de long terme, pour éviter de réinventer des systèmes.
Normaliser pour rationaliser les données
La normalisation est l'une des priorités du GIP-MDS, qui travaille à infuser cette logique dans la DSN. Cette démarche de normalisation a d'ores et déjà permis de rationaliser les données : alors que la DSN remplace aujourd'hui jusqu'à 75 déclarations, son impact demeure raisonnable puisqu'elle mobilise de moins en moins de systèmes d'information. Certains d'entre eux fermant régulièrement et se « fondant » dans la DSN, comme cela a été le cas pour la DADS U - déclaration annuelle des données sociales - qui contenait 840 données et était complétée mensuellement par la Déclaration unifiée des cotisations sociales, également remplacée. De plus, elle était également complétée à chaque absence maladie par une attestation de salaire pour le versement des indemnités journalières de la Sécurité Sociale (DSIJ), par une attestation d'employeur dématérialisée (AED) lors des fins de contrats de travail et de multiples déclarations pour les régimes spéciaux ou les organismes complémentaires.
La transition écologique au sein du service public est aussi une affaire de transparence. Nous travaillons, en ce moment même, à une estimation chiffrée de l'empreinte environnementale des déclarations sociales, afin d'estimer les progrès réalisés en la matière et l'impact positif de la DSN. Parce que la sobriété numérique est un enjeu essentiel de ces prochaines années, Net-entreprises continue d'innover en ce sens et espère inspirer d'autres organisations et les pousser à prendre ce tournant.
Nicolas Simon est directeur de la transformation digitale au GIP-MDS.
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