Formée par le trio CIQ, Oracle et SuSE, l'Open Enterprise Linux Association annoncée la semaine dernière est loin de manquer d'ambition. Mais dans cette démarche de construire un clone gratuit de Red Hat Enterprise Linux (RHEL), aucun de ses membres-fondateurs n'a pour vocation de distribuer gratuitement ses propres produits. Ces derniers espèrent même sincèrement que les entreprises se tourneront vers elles pour obtenir RHEL gratuitement et qu'elles seront aussi (surtout ?) prêtes à payer pour leurs services. En tant qu'entreprises qui n'ont jamais réussi à concurrencer Red Hat individuellement, on peut toutefois leur pardonner de penser qu'un effort collectif fera la différence. Cependant, plutôt que d'accuser OpenELA d'être une résurrection fatiguée d'UnitedLinux, pourquoi ne pas prendre la peine d'examiner plus en profondeur les cas où les efforts collectifs en matière d'open source fonctionnent ? OpenELA, pourra-t-elle échouer là où Kubernetes a réussi ? Qu'en est-il d'OpenTF, un effort pour renverser la décision de HashiCorp de changer sa licence pour Terraform en Business Software License (BSL) ? Un point commun ressort de toutes ces initiatives et stratégies : celui de se mettre en quête de rentabilité et de flairer les bons coups financiers en particulier ceux venant du cloud.
La principale erreur d'OpenELA est sans doute de voir que cette initiative a manqué d'attirer un seul fournisseur cloud important. SuSE a longtemps fait une affaire raisonnable en étant compétiteur de Red Hat, en développant sa propre distribution. Mais qu'en est-il d'Oracle et de CIQ ? Leurs activités Linux se résument au final d'essayer de fournir RHEL... Pour moins cher ! Les entreprises prenant au sérieux leur infrastructure au sérieux pourraient alors se demander pourquoi acheter un clone de RHEL à un concurrent de Red Hat plutôt qu'à Red Hat lui-même ? Comment une politique informatique intelligente pourrait-elle consister à parier gros sur des entreprises qui sont mal placées pour améliorer ou modifier un produit qu'elles ne possèdent pas ? C'est probablement l'une des principales raisons pour lesquelles aucun fournisseur cloud sérieux pourrait sauter dans le train OpenELA. Chacun d'entre eux dispose déjà de distributions Linux convaincantes qui sont intéressantes en soi pour les clients, et non de pâles imitations de RHEL. Étant donné qu'une grande partie des clients au niveau mondial achètent désormais des logiciels par l'intermédiaire des principaux fournisseurs cloud, voilà sans doute un indicateur clair qu'OpenELA ne fonctionnera pas.
Un avenir similaire à la OpenTF ?
Il pourrait en être de même pour les signataires de l'initiative OpenTF. Ces derniers proposent de forker Terraform et de créer (ou de rejoindre) une fondation, avec un développement « véritablement open source [...] dirigé par la communauté [...] et impartial ». L'idéalisme est palpable. Il est aussi totalement irréaliste. Il est facile de regarder Kubernetes ou Linux et d'imaginer qu'il doit être simple d'exploiter le génie collectif des développeurs, mais toute personne réellement impliquée dans la mise en place et la gestion continue de tels efforts sait à quel point ces choses sont incroyablement difficiles et désordonnées. Bien sûr, on peut dire que HashiCorp avait le droit de modifier sa licence. Mais ce n'est pas une question d'opinion personnelle, c'est une question d'histoire.
Prenons l'exemple de Kubernetes, salué à juste titre comme un succès communautaire. Au regard de son origine il ne faut pas perdre de vue qu'il n'est pas né parce qu'un groupe de développeurs se demandait comment susciter un effort collectif autour de la gestion des conteneurs. En fait, K8's se présentait plus comme la stratégie à long terme de Google pour permettre la portabilité multicloud, l'approche parfaite pour un fournisseur de cloud qui tente de rattraper le terrain perdu face à un opérateur historique dominant (AWS) et un second puissant (Microsoft Azure) qui se targue d'une position beaucoup plus forte auprès des entreprises. Et maintenant où en est-il ? Lui aussi est dirigé par quelques hégémons, et non par un collectif de start-ups sérieuses. Les employés de la firme de Mountain View ont contribué à environ un tiers de l'ensemble du code de Kubernetes depuis sa création. Suit ensuite Red Hat qui a contribué au code à hauteur de 12 %. En troisième position, VMware avec 8 % de contribution au code. Dans ce contexte, il est difficile de voir comment OpenTF peut prospérer sans les ressources (humaines) que les grandes entreprises apportent, en particulier les fournisseurs cloud. Or, justement, pas un seul d'entre eux ne s'est engagé à l'aider.
La puissance de financement entre les mains des fournisseurs cloud
Et la liste est encore longue. Les plus grands succès de l'open source - du moins ceux qui sont utilisés dans les entreprises - ont tendance à être soutenus par des entreprises, même si cela ne garantit pas le succès. OpenStack, par exemple, promettait d'être une alternative open source à AWS et à d'autres clouds à une époque où la plupart des entreprises (en dehors des opérateurs télécoms) ne voulaient pas vraiment d'alternative. Elles voulaient AWS, Microsoft Azure et Google, et non un moyen de déployer leur propre solution. OpenStack existe toujours, mais ce n'est plus un projet très populaire. Il existe encore principalement parce que Red Hat trouve que c'est un moyen utile de servir certains de ses clients et d'en tirer parti en conséquence. De la même manière, AWS a lancé OpenSearch pour contrer le contrôle d'Elastic sur Elasticsearch. Il a commencé à connaître un certain succès, mais uniquement parce qu'AWS continue d'y injecter des ressources.
Il n'y a pas d'open bar dans l'open source, on ne peut pas juste voir s'il y a de la lumière et s'inviter à table comme un pique-assiette. Il faut de l'argent pour financer les développeurs qui contribuent aux projets open source, et cet argent provient de plus en plus des grandes sociétés cloud, qui sont de loin les plus gros contributeurs à l'open source. Bien qu'il ne soit pas garanti qu'un collectif industriel échouera, si les fournisseurs cloud ne sont pas de la partie, il y a fort à parier que cela soit de mauvais augure. Ces derniers ont tendance à se concentrer sur leurs clients, et ils ne pointeront pas le bout de leur nez pas si ces derniers ne demandent pas OpenELA, OpenStack ou OpenWhatever. En matière d'open source, le succès n'est pas systématiquement garanti.
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