Les chiffres sont têtus : malgré les discours, malgré les efforts des acteurs engagés sur le terrain, en France, le taux de femmes dans des métiers technologiques ne dépasse pas 20%, selon l'étude Gender Scan dans l'innovation réalisée par le cabinet GlobalContact. Cette proportion est encore plus basse dans les postes de direction IT. En 2021, une enquête réalisée par CIO France sur près de 200 grands groupes et administrations centrales avait recensé à peine plus de 10% de femmes occupant de tels postes.
Et tout se joue très tôt. Dans une note de synthèse publiée à l'occasion des premières Assises de la féminisation des métiers et filières du numérique, organisée par la fondation et association Femmes@Numérique, d'autres chiffres soulignent l'ampleur et la précocité du problème. Ainsi, en France le nombre d'étudiantes dans la technologie a baissé de 2% entre 2013 et 2019, alors que dans le reste de l'Europe il a augmenté de 6%.
Dans l'enseignement supérieur français, les femmes sont également sous-représentées parmi les chercheurs en sciences, technologies et mathématiques (28% seulement, contre 33% au niveau européen). Enfin, lorsque les mathématiques sont devenues optionnelles au lycée avec la réforme de 2019 (ce qui ne devrait plus être le cas à la rentrée 2023), une fille sur deux a abandonné la matière, contre 30% seulement des garçons. Lors de la dernière assemblée générale du Cigref, le président Jean-Claude Laroche a d'ailleurs sonné l'alarme : « La situation de la place des sciences dans l'enseignement secondaire est très grave [...] avec un recul sans précédent de la part des filles dans tous les enseignements scientifiques. » Une situation qu'il ne faut selon lui surtout pas laisser se dégrader « au-delà du raisonnable », car « le numérique ne sera durable, responsable et de confiance que si, demain, les femmes sont pleinement associées à le bâtir. »
Des rôles modèles plutôt que des statistiques
Afin de relever ce défi, qualifié de « lancinant » par Jean-Claude Laroche, plusieurs voix insistent sur l'importance de proposer des « role models » aux jeunes filles, dès le lycée, voire dès le collège, car c'est là où se jouent les prémices de l'orientation professionnelle. Un récent article paru dans le média The Conversation apporte d'ailleurs un éclairage intéressant sur la manière d'intervenir auprès des jeunes filles. Dans celui-ci, Marion Monnet, maîtresse de conférences en économie à l'Université de Bourgogne-UBFC, retranscrit les résultats d'une étude d'impact réalisée à l'occasion du programme « For girls in science » de la fondation L'Oréal. « Les intervenantes qui ont été les plus efficaces pour faire changer l'orientation des jeunes filles sont celles qui ont réussi à susciter l'intérêt des filles pour les métiers scientifiques. Celles ayant plus insisté sur la sous-représentation des femmes dans les métiers ne sont en moyenne pas parvenues à modifier les choix d'orientation », note l'auteure.
Dans le domaine de l'IT, plusieurs associations oeuvrent pour proposer des role models, montrer la diversité et l'intérêt des métiers du numérique et donner de la visibilité aux femmes travaillant dans le secteur (un point sur lequel les médias ont aussi leur rôle à jouer). C'est le cas, par exemple, de FrenchWomenCIO, association co-fondée par Malika Mir, Christine Debray et Caroline Raveton, ou encore du Cefcys (Cercle des femmes de la cybersécurité), présidé par Nacira Guerroudji-Salvan.
Un sexisme qui perdure
Toutes ces actions sont essentielles. Toutefois, pour parvenir à davantage de parité dans le secteur IT, tout ne doit pas reposer uniquement sur les épaules des femmes. Cela nécessite aussi l'engagement de leurs pairs, notamment pour lutter contre des stéréotypes qui peuvent décourager les femmes de s'orienter vers le secteur technologique - comme les fameux sweats à capuche associés à la cybersécurité. Les employeurs, eux aussi ont un rôle à jouer, notamment en luttant contre les comportements et propos sexistes au travail, qui peuvent détourner les femmes d'une carrière dans l'IT. Selon l'étude Gender Scan, 46% des femmes travaillant dans le secteur technologique ont vécu de telles situations, un taux supérieur de 8% à la moyenne dans les autres secteurs.
Enfin, d'autres actions peuvent être portées au niveau de l'Etat ou de la filière. Le Cigref travaille sur ces aspects, notamment par le biais de son délégué général, Henri d'Agrain, qui est également co-président de l'association Femmes@Numérique avec Corinne Dajon. A la suite des Assises de la féminisation des métiers et filières du numérique, neuf associations, dont le Cigref et Numeum, se sont ainsi regroupées pour publier 14 propositions de mesures pour favoriser une culture plus égalitaire autour du numérique, revaloriser l'enseignement scientifique, sensibiliser aux biais de genre et développer l'attractivité de la filière numérique, et, enfin, bâtir des conditions favorables pour permettre aux femmes de faire carrière dans le numérique.
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