J'ai toujours été méfiant à l'égard du cloud privé. Je comprends pourquoi le National Institute of Standards and Technology (NIST) a inclus ce terme dans la description de l'informatique en cloud il y a près de 17 ans. Toutefois, ce terme a rapidement été interprété comme un moyen de regrouper des offres vieillissantes de serveurs on-premise pour les vendre comme un « cloud ».

Les premiers clouds privés n'avaient ainsi rien d'un cloud. Ils ne pouvaient pas évoluer à la demande ou automatiquement, et l'auto-provisioning était impossible. Il s'agissait manifestement d'une structuration de marché et la plupart des entreprises l'ont évitée. Bien entendu, il existait alors d'autres cloud privés, tels que la plateforme open source OpenStack, qui perdurent aujourd'hui. OpenStack est d'ailleurs actuellement bien meilleur que lorsque j'en ai fait l'expérience pour la première fois, alors qu'il ressemblait plus à un projet d'ingénierie qu'à une technologie destinée à la production IT.

La spécialisation : une nouvelle ère pour le cloud privé

Passée cette première époque, les clouds privés se transforment considérablement, passant de solutions polyvalentes à des implémentations spécialisées, en particulier pour l'IA. Cette évolution est motivée par la montée en flèche des investissements sur cette technologie, ce qui incite les organisations à rechercher des infrastructures dédiées qui fournissent un écosystème prêt à l'emploi et fonctionnent dans leurs datacenters.

Mais les clouds privés spécialisés ont évolué bien au-delà des implémentations axées sur l'IA, répondant aux divers besoins des entreprises dans de multiples secteurs :


- Les clouds de calcul à haute performance (HPC) prennent en charge les tâches informatiques intensives ;
- Les clouds pour développeurs rationalisent le développement de logiciels grâce à des outils CI/CD intégrés ;
- Les clouds de bases de données optimisent les charges de travail de gestion des données ;
- Les clouds de reprise après sinistre assurent la continuité des activités ;
- Les clouds Edge gèrent les besoins de traitement en temps réel et ceux de l'IoT ;
- Les clouds de conformité et de sécurité répondent à des exigences réglementaires spécifiques.

Les clouds privés se concentrent également sur des secteurs d'activité spécifiques. Le secteur des services financiers bénéficie de cloud conçus pour les transactions à haut débit et la conformité réglementaire, tandis que les clouds multimédias optimisent la diffusion de contenu et les services de streaming. Ces environnements spécialisés offrent des avantages spécifiques pour leurs applications cibles, en fournissant une infrastructure conçue à cet effet, des performances optimisées et des fonctionnalités dédiées à un secteur. Cependant, comme les clouds privés pour l'IA, ils sont souvent confrontés à des défis en matière de flexibilité, de coût et de risque de stagnation technologique, ce qui fait qu'il est crucial pour les organisations d'évaluer soigneusement leurs besoins spécifiques avant de s'engager dans une solution de cloud privé spécialisé.

Revenons aux clouds privés pour l'IA. La plupart des entreprises ne savent pas comment assembler les technologies pour créer une solution d'IA ou de Machine Learning. Un cloud privé conçu pour l'IA offre un environnement préconfiguré avec les outils de développement nécessaires, pensé pour optimiser les clusters de GPU et équipé de pipelines MLOps rationalisant les processus. Cependant, au lieu de consommer cela comme un ensemble de services de cloud public, un tas de boîtes apparaît sur votre quai de déchargement et vous les installez dans les baies de votre datacenter. À première vue, il s'agit d'une solution parfaite pour les entreprises désireuses de se lancer à fond dans des initiatives d'IA. Cependant, ce cadre prometteur arrive avec son lot de défis.

Des compromis à examiner avec attention

D'un côté, ces clouds spécialisés excellent en offrant des capacités spécialement conçues pour l'IA et au machine learning, renforçant ainsi la souveraineté et la sécurité des données. La réduction de la latence peut également constituer un avantage significatif pour des applications spécifiques, permettant aux organisations de capitaliser sur le traitement des données en temps réel.

De l'autre, la nature statique de ces configurations présente un inconvénient considérable. De nombreux nuages d'IA privés limitent la flexibilité technologique et peuvent nécessiter des investissements substantiels avec une faible marge d'adaptation à l'évolution des besoins de l'entreprise. Les organisations pourraient se retrouver enfermées dans des solutions de fournisseurs ignorant la prise en charge des nouveaux frameworks ou outils d'IA, ce qui étoufferait l'innovation et freinerait la croissance.

Les implications financières du passage à un cloud privé représentent un autre élément essentiel à prendre en compte. Les fournisseurs de clouds publics fonctionnent généralement selon un modèle de paiement à l'usage, tandis que les environnements privés nécessitent des investissements initiaux considérables qui peuvent atteindre plusieurs millions. L'infrastructure matérielle peut coûter de deux à dix millions de dollars, et les licences logicielles nécessitent souvent une dépense annuelle de 500 000 à deux millions de dollars. À cela s'ajoutent les frais généraux d'exploitation (personnel, énergie et maintenance).

En revanche, les fournisseurs de cloud public éliminent les investissements initiaux substantiels dans l'infrastructure et offrent une certaine souplesse dans l'évolution des ressources en fonction de la demande. L'adaptabilité rapide du cloud publics aux nouvelles technologies et structures tarifaires représente un avantage significatif pour de nombreuses organisations.

La décision devient encore plus complexe si l'on considère que, à un horizon de cinq ans, les clouds privés offrent souvent un avantage en termes de coûts opérationnels par rapport à leurs équivalents publics. Toutefois, il faut tenir compte des coûts totaux, y compris le personnel chargé de la maintenance de ces systèmes, l'électricité, etc. Ces éléments sont souvent négligés lorsqu'il s'agit de comparer le coût total de possession (TCO) des deux options.

Se projeter à cinq ans

Posons une question clef concernant la planification stratégique. Alors que les entreprises sont attirées par les promesses des clouds privés spécialisés, il est essentiel d'évaluer soigneusement les besoins en termes de performances, les exigences en matière de gouvernance des données et la trajectoire à long terme des projets d'IA. L'attrait d'un contrôle accru séduit de nombreuses organisations, mais elles risquent d'investir dans des technologies statiques qui pourraient devenir obsolètes face aux progrès rapides du domaine.

Une approche hybride est souvent la solution la plus pratique. Les entreprises peuvent bénéficier de clouds privés spécialisés pour les applications exigeant une forte gouvernance des données, tout en utilisant des cloud publics pour l'expérimentation et la capacité de débordement. Soit dit en passant, c'est plus difficile qu'il n'y paraît.

En fin de compte, les clouds privés spécialisés, en particulier ceux axés sur l'IA, sont de plus en plus indispensables dans certains contextes. Ils sont supérieurs aux clouds privés du passé, qui ressemblaient davantage à des escroqueries qu'à des solutions pérennes et légitimes. Toutefois, les organisations doivent toujours soupeser les avantages et inconvénients, en particulier les limites et les coûts potentiels associés aux infrastructures technologiques statiques.

Conserver une liberté de manoeuvre

Voici quelques conseils généraux. Si vous prévoyez de changer beaucoup au cours des cinq prochaines années et que vos besoins actuels ne sont pas du tout figés, les fournisseurs de cloud public sont probablement la meilleure solution pour des tâches telles que le développement, le déploiement et l'exploitation de l'IA. S'il est peu probable que vous subissiez de nombreux changements au cours des cinq prochaines années, les options privées, notamment pour l'IA, sont réellement rentables, à condition que vos besoins vous y conduisent. Il s'agit là encore d'une décision qui dépend des circonstances.

La conclusion est claire : même si les clouds spécialisés dans l'IA ont un rôle important à jouer, les entreprises doivent faire preuve de souplesse. Commencer à petite échelle dans des environnements de cloud public et passer progressivement à l'étape d'après uniquement lorsqu'elles ont une compréhension bien établie du fonctionnement des applications, afin d'atténuer les risques. Il est essentiel de conserver une capacité d'adaptation, car l'évolution rapide de l'IA signifie que la solution de cloud parfaite actuelle pourrait devenir inadéquate demain. Choisissez judicieusement et rappelez-vous que le changement continu est la seule constante dans le paysage numérique.