Moins d'une semaine après le terrible incendie qui a frappé le datacenter d'OVH à Strasbourg, la tension est vive. Les raisons de l'incident ne sont pas encore pour l'heure établies clairement. L'hypothèse d'un acte malveillant ne peut pas être totalement écarté. Des scellés sont effectués sur les onduleurs, batteries, vidéo surveillance afin de faire avancer l'enquête. « On pense avoir été très transparents et au-dessus des standards de l'industrie, il faut monter ces standards pour que ces types d'incidents n'arrivent plus jamais et que pour des pertes de disques, les données puissent toujours être récupérées », a indiqué dans une dernière vidéo le fondateur d'OVH Octave Klaba. Au dessus des standards de l'industrie ? Pas vraiment, puisque OVH ne souscrit pas aux onéreuses certifications de l'Uptime Institute. Le groupe qui multiplie depuis quelques mois les annonces (projet d'introduction en bourse, offre d'hébergement de données de santé, acquisition d'OpenIO, conquête du marché des entreprises, partenariat avec Atos pour une offre cloud « de confiance »...  a fort à faire avec une concurrence très forte sur le marché de l'hébergement. 

Incendie fatal chez OVH Strasbourg pour un grand nombre de TPE et PME françaises en défaut de sauvegarde. 

En attendant, on peut quand même s'interroger sur les circonstances de cet incident qui ont clairement été mal maitrisées par OVH. Plusieurs points de faiblesse peuvent expliquer la situation. En adoptant un modèle low cost, la société fait sans aucun doute ressortir des lacunes en termes de sécurité incendie mais aussi de certifications. Par rapport à d'autres opérateurs comme Equinix ou Interxion, OVH n'a par exemple pas pris le train de l'Uptime Institute, organisme mondialement reconnu pour ses benchmarks de datacenters, allant même jusqu'à revendiquer s'y conformer sans en être certifié. Le monde à l'envers. De même, toujours afin de comprimer les coûts, de possibles défaillances des maigres systèmes de sécurité incendie [des extincteurs à mains obligatoires], qui se sont révélés incapables de circonscrire le sinistre sur un périmètre restreint, doivent être éclaircies. Le manque de technologies de détection, atténuation ou lutte contre les incendies (brouillard d'eau, sprinkler, gaz, mousse mais aussi détecteur de chaleur, fumée ou flamme...) est un vrai problème dans le datacenter strasbourgeois d'OVH. De conception ancienne ( 10 ans) et low cost, ce dernier ne bénéficie pas des avancées présentes chez d'autres opérateurs de datacenters.

OVH pris à son propre piège du low cost à tout prix ?

OVH n'a-t-il finalement pas été pris au piège de son propre jeu ? A trop vouloir capitaliser sur les petits clients, le groupe paye-t-il les pots cassés des prix bas ? Toute éventuelle faiblesse ne peut cependant être uniquement à mettre au crédit d'OVH. Les clients eux-mêmes ont aussi certainement leur part de responsabilité. Non dans l'incendie en tant que tel bien entendu, mais dans le manque de clairvoyance en mettant tous leurs oeufs dans le même panier et se satisfaisant d'une prestation à moindre frais. Avec pour principal défaut l'absence cruelle de back-up : une option indispensable pour les entreprises afin de sécuriser leurs activités.

Ligue contre l'obésité

La ligue contre l'obésité indique une date de disponibilité au 22 mars 2021 pour son site Internet. (crédit : D.R.)

Des impacts hors normes qui font réagir

Les impacts de cet incident hors norme ont fait réagir non seulement les entreprises concernées, mais également des compétiteurs : « Nous sommes très solidaires d'OVH », a indiqué dans un point presse ce matin lors de l'Orange Business Summit Helmut Reisinger, directeur général d'OBS. « C'est la French Tech qui est touchée, avec un incident que l'on pensait impensable ». Même son de cloche du côté d'Atempo : « Ce qui fait mal au coeur c'est qu'il s'agit d'un événement d'une ampleur inimaginable, presque historique. Cela fait de la peine pour notre partenaire qui doit surmonter une telle catastrophe de cette proportion là, on leur souhaite de se remettre dans les meilleurs délais », nous a expliqué Luc d'Urso, directeur général d'Atempo et vice-président d'Hexatrust.

Vitry-sur-Seine

L'incendie OVH pointé du doigt par la mairie de Vitry-sur-Seine pour expliquer les dysfonctionnements de son site Internet. (crédit : D.R.)

Des clients entre l'étau du désespoir et l'enclume de la négligence

Suite à l'incendie, les entreprises multiplient les témoignages de désarroi et d'excuses. La raison de toute cette agitation ? L'indisponibilité de leurs sites et services web mais aussi l'impossibilité de récupérer leurs données. Selon les clients, les perturbations varient. Chez Cityscoot par exemple, les données d'inscription effectuées depuis au moins le 10 mars n'ont pas été prises en compte, tandis que du côté de l'association toulousaine Parole d’Entreprises ce sont les envois d'emails qui ont été touchés faute de base de données. L'effet domino a également joué à plein : chez le prestataire Intermédia Conseil, ce sont 250 sites clients qui ne peuvent plus créer d'adresses de messagerie. Ennuyeux. 

Parmi les clients touchés, on trouve de nombreuses mairies (Artenay, Arras, Saint-Ouen, Cherbourg, Vichy, Vitry-sur-Seine...), des clubs sportifs (AS Cannes, l'US Créteil Handball, l'AS Saint-Priest, club de rugby de Clermont-Ferrand....). Des PME (Nautex International, Duysens Immobilier, Groupe Gorioux, BEG Ingénierie, bureau d'études d'Orléans-La Source, le fabricant de monuments funéraires Stonest...) et éditeurs de services en ligne (Rust, Freshmile Direct, The Artist Academy...). Ou encore des organismes culturels, religieux et touristiques (Frac Bretagne, Centre Pompidou à Paris, Office de tourisme de Colmar et de Saverne, Diocèse de StBrieuc...), des médias (Maddyness, Agro Distribution, L'Essor Isère, La Semaine ...), des services administratifs (datagouv, plateforme de dématérialisation des marchés publics, défenseur des droits...) et de nombreuses associations (CRAIF, CIRSES, Ligue contre l'obésité...), l'aéroport de Strasbourg...

CRAIF

Plus d'accès à la messagerie pour le centre de ressource autisme d'Ile-de-France suite à l'incendie chez OVH. (crédit : D.R.)

Suite à ce ravage, 3,6 millions de sites web et sous-domaines auraient ainsi été impactés avec des problèmes d'accès de quelques dizaines de minutes ou plusieurs heures pour les plus chanceuses, quand d'autres connaissent l'angoisse d'une indisponibilité totale parfois pour toujours. Tous les profils de clients d'OVH sont touchés : qu'ils soient aussi bien entreprises que collectivités, privé que public, petit ou grand. Mais les plaintes des entreprises qui s'en prennent à OVH sont-elles pour autant justifiées ? Loin de là dès lors que ces dernières ont souscrit un simple service d'hébergement sans prestation de service de back-up associé et n'ont pas non plus pris la peine de souscrire et/ou de mettre en place leur propre plan de reprise d'activité. « Sans parler de négligence de la part de clients qui ont beaucoup souffert, il il faut tirer partie de l'expérience de cet incident. Déléguer un service PaaS ou IaaS ne dispense pas de réfléchir au plan de reprise d'activité », poursuit Luc d'Urso. « La seule chose sur laquelle capitaliser c'est d'avoir une copie de ces données, ce n'est pas à OVH de s'occuper de cela. Il a une sorte de sophisme qui est de dire que le cloud protège les données mais cela n'est absolument pas le cas ». Mise au pied du mur, la société 6Thèmes Info a d'ailleurs expliqué qu'en plus d'un hébergement classique, des serveurs de stockage internalisés seront désormais installés.

Saint Ouen

La ville de Saint Ouen fait partie des nombreuses collectivités locales touchées par l'incident d'OVH mais son site est de nouveau opérationnel. (crédit : D.R.)

Bien sûr, en termes d'hébergement, OVH est tenu d'assurer et de maintenir les services en ligne mais sans souscription d'un service de back-up associé et de PRA, difficile de jeter aussi facilement la pierre à l'hébergeur aussi dure que la réalité puisse être. « Si l'entreprise a souscrit à un PRA elle n'a à ce moment là aucun souci à se faire en termes de récupération de données qui pourront se faire depuis un des 31 autres datacenters d'OVH en France », estime Luc d'Urso. Quand bien même une prestation de ce type a pu être prise, mieux vaut garder en tête que la meilleure pratique de sauvegarde est de les multiplier, a minima deux, chez deux prestataires différents, dans des régions distinctes, afin de réduire la surface d'exposition au risque de perte de données.

Des pertes qui peuvent être non seulement liées à des événements de type incendie et catastrophes naturelles que cybersécurité. « La montée du cyberhactivisime qui atteint des sommets, les détournements massifs de caméras vidéo, l'explosion des ransomwares... il faut préparer sauvegarde et PRA, c'est le dernier rempart contre des catastrophes », martèle Luc d'Urso. Et si cela la prévention ne suffit pas pourquoi ne pas aller jusqu'à taper du poing sur la table : « Aujourd'hui ne pas avoir de PRA c'est proche de la négligence. On ne peut pas éternellement reposer sur de la sensibilisation, une entreprise qui se prend 4 ransomwares dans l'année devrait être contrainte à se sécuriser ». La cyberassurance c'est bien, la cyber-responsabilité sans doute mieux ?

Maddyness

Le site Maddyness sur l'actualité des start-ups est toujours impacté et indisponible suite à la panne OVH. (crédit : D.R.)

Octave Klaba en mode communication de crise

« La continuité des réseaux optiques est assurée entre Paris et Francfort en passant par Strasbourg. Les premiers routeurs ont été connecté au réseau, on configure de plus en plus de VPN, commutateurs, pour connecter et configurer l'ensemble des switchs qui sont dans la baie », a assuré Octave Klaba. Le fondateur indique par ailleurs travailler avec l'expert de sa société d'assurance pour redémarrer complètement le datacenter sur Strasbourg 1 et 4 sans soucis, sauf les salles 61E et 62E où beaucoup de nettoyage est encore nécessaire en raison de la fumée déposée nécessitant jusqu'à des changements de cartes mères. Sur Strasbourg 3, les 1er, 2e et 3e étages devraient globalement redémarrer mais des soucis au niveau de la salle 5. « On finit de passer les fibres optiques et ramener le network jusqu'à la baie avant de procéder au redémarrage des serveurs », précise Octave Klaba. D'ici samedi ou dimanche la plupart des infrastructures devrait être opérationnelle. 2 500 serveurs vont être livrés en plus cette semaine et 10 000 seront produits d'ici 2 semaines pour un objectif de 15 000 livrés et connectés d'ici mai 2021.

OVH

L'éditeur de logiciels CRM Sarbacanne, présent sur la place de marché OVHcloud, a été touché par la panne et son site a notamment été indisponible. (crédit : D.R.)

Pertes de données non contractuelles : un geste symbolique de 60€

« On a envoyé aux clients l'état des back-ups internes non contractuels et aussi l'état des services back-up locaux ou à distance, une colonne supplémentaire avec les dates de redémarrage des services seront ajoutées. Si vous êtes impactés par la commande, vous pouvez la passez aujourd'hui, on va vous donner des mois gratuits, dans les cas de coupure de service 3 mois, et 6 mois pour de la perte de data sur les services ». Un geste commercial qui part d'un bon sentiment mais pourrait bien tourner vinaigre pour certains clients dont la société de ventes de bijoux de Mathilde Picouret. Suite au sinistre, cette dernière s'est ainsi vue proposer un avoir de 30€ soit 6 mois d'hébergement, pour un préjudice estimée à 2 000 €. Si dans ce cas une solution de sauvegarde n'a sans doute pas été souscrite, s'agissant d'une « simple » prestation d'hébergement, reste à savoir si le versement d'une somme aussi dérisoire dans un contexte compliqué autant que brutal ne risque pas de provoquer une fronde de la part de clients touchés aussi bien que déçus par cette mesurette. Sur Twitter, certains membres de la FrenchTech, tribu autoproclamée, cherche d'ailleurs à savoir si une action collective contre OVH est envisageable...