En direct de Barcelone – Début 2018, SAP avait annoncé le rachat de Recast.AI, startup française spécialisée dans la création de bots conversationnels. Nous les avions rencontrés lors de leur premier TechEd, en 2018. A l’occasion de l’édition 2019 de la conférence, Omer Biran, directeur général de l’offre Conversational AI de SAP, fait le point sur l’intégration de ces technologies dans l’offre de SAP, évoquant notamment les convergences avec CoPilot, outil de chatbot que l’éditeur avait développé en interne.
Le Monde Informatique : Au moment de l’acquisition de Recast.AI, SAP s’est retrouvé avec deux technologies différentes pour construire des bots conversationnels, ce qui a entraîné une certaine confusion sur la feuille de route. Aujourd’hui, où en êtes-vous ?
Omer Biran : Avec ces deux outils, l’objectif était le même : construire des chatbots intégrés aux produits SAP. Chez Recast.AI, nous avions développé une technologie de traitement du langage naturel (NLP) basée sur le Machine Learning pour construire nos bots. Celle-ci avait l’avantage d’être multilingue. De son côté, CoPilot utilisait une approche basée sur des règles, développée uniquement pour la langue anglaise. Il disposait en revanche d’une intégration poussée avec les systèmes SAP, et de toutes les fonctionnalités nécessaires dans les environnements d’entreprise, comme l’authentification unique (SSO). Il y avait donc une forte complémentarité entre les deux produits. Début 2019, nous avons entrepris de les rapprocher pour bâtir une offre unique, Conversational AI. Aujourd’hui, il y a une seule équipe de 120 personnes, avec une feuille de route commune depuis juin 2019. Nous sommes répartis sur plusieurs sites : Paris, Palo Alto, Walldorf et Bangalore.
Avec cette offre, ciblez-vous uniquement les interactions textuelles ou envisagez-vous de travailler sur les assistants vocaux ?
Nous pensons toujours que ce sont deux métiers différents. Nous avons choisi de nous concentrer sur le texte. Les clients peuvent intégrer nos outils avec les technologies de reconnaissance vocale du marché (Google, Microsoft…), en passant par leurs APIs de speech-to-text et de text-to-speech. Celles-ci nous renvoient les phrases prononcées par les utilisateurs en mode texte, nous les traitons et nous renvoyons une réponse qui est transformée de la même façon en langage oral. Certaines entreprises utilisent aussi les fonctionnalités de conversion embarquées dans les applications de messagerie instantanée comme Facebook, auquel cas il n’y a même pas besoin de cette étape.
Quels sont les principaux besoins auxquels répondent les technologies conversationnelles dans les environnements SAP ?
Au départ, Recast.AI travaillait sur des cas d’usage autour du service client, que nous avons progressivement étendu à l’expérience client en général (passage de commandes, navigation sur un site de e-commerce…). Après le rapprochement avec les équipes de CoPilot, notre cible s’est élargie à l’expérience des employés. Beaucoup d’utilisateurs de SAP trouvent les interfaces graphiques trop complexes : un bot intégré aux GUI peut aider les utilisateurs à accéder plus rapidement aux bons écrans. Il peut aussi permettre d’automatiser des traitements simples, une fois que l’action voulue par l’utilisateur (intent) est identifiée. A ce stade, soit notre bot appelle directement une API si celle-ci existe, soit il passe le relais à un bot de RPA (Robotic Process Automation) qui va reproduire les interactions de l’utilisateur dans l’interface. Nous avons commencé à construire des chatbots intégrés aux principaux produits de SAP : l’ERP S/4HANA, la plateforme de gestion des relations clients C/4HANA, ainsi que la suite SuccessFactors pour les ressources humaines.
En dehors de la RPA (NDLR : solution issue du rachat de Contextor), avec laquelle les convergences sont évidentes, voyez-vous d’autres synergies avec certaines des technologies récemment acquises par SAP ?
Nous réfléchissons à une intégration avec Qualtrics, solution pour le suivi de l’expérience client et employé, rachetée fin 2018 par SAP. Celle-ci collecte des données sur ce que les utilisateurs apprécient ou pas, puis les analyse. Les technologies conversationnelles pourraient permettre d’avoir des interactions plus synchrones, en adaptant les questions et le déroulé des enquêtes en fonction des réponses fournies par les sondés. Nous envisageons aussi d’étendre nos capacités de détection d’émotions. Jusqu’à présent, nous faisons de l’analyse de sentiment simple, en évaluant les phrases sur une échelle linéaire (du très négatif au très positif). Avec Qualtrics, nous avons ajouté des familles de sentiments. Pour la détection des émotions, de nombreux paramètres entrent en jeu, depuis la vitesse de frappe jusqu’aux intonations de la voix ou les temps de réponse. Nous nous focalisons sur les critères associés à la frappe, et nous avons déjà fait quelques tests. Cependant, quand les données arrivent à notre outil, hébergé dans le cloud, elles ont déjà transité par plusieurs intermédiaires et nous n’avons pas forcément le temps de frappe réel. Cela dit, certaines applications de messagerie commencent à partager de telles données à travers des APIs, ce qui nous permettrait d’avoir des données plus proches de la réalité.
Où en êtes-vous en termes de clients ?
Nous avons plus d’une cinquantaine de clients directs dans le monde, principalement autour de l’expérience client. A l’heure actuelle, la demande la plus forte vient des clients indirects, ceux qui utilisent nos technologies dans les solutions de SAP. Le chatbot est livré comme une partie intégrante des solutions. Ensuite, si les clients veulent le personnaliser, ils peuvent acquérir une licence Conversational AI. Parmi ces clients, nous pouvons citer Deliveroo, ou bien le groupe Nestlé, qui a construit un bot RH permettant d’obtenir facilement le nombre d’employés par entité. Nous estimons à plus de 100 000 le nombre de nos chatbots actifs à l’heure actuelle.
Quels enseignements tirez-vous de tous ces projets ?
Quand nous avons créé Recast.AI, nous cherchions au départ à créer nous-même les bots pour nos clients. Cette approche n’a pas bien marché. En côtoyant les clients, nous avons appris qu’il était fondamental de connaître les utilisateurs au préalable, afin de bien identifier les points de friction sur lesquels un bot pouvait être pertinent.
Avez-vous rencontré des enjeux spécifiques en rejoignant SAP ?
L’intégration de nos bots avec les systèmes SAP nous amène souvent à traiter des données sensibles. Cela peut poser problème aux clients, qui ne veulent pas voir ces informations transmises en clair sur le cloud. Nous avons donc commencé à réfléchir à l’idée de flux NLP chiffrés, à travers un Proof-of-Concept. Grâce à celui-ci, nous savons que notre outil de classification d’intention sait travailler aussi avec des données chiffrées, il lui suffit de comparer des phrases chiffrées entre elles. L’étape suivante est la reconnaissance d’entités (numéros de commandes, identifiants d’employés), plus complexe à mettre en œuvre.
Comment voyez-vous l’avenir du marché des chatbots ?
Il existe aujourd’hui beaucoup d’outils de chatbots sur le marché. Je pense que chaque grand fournisseur va utiliser sa propre technologie : tout comme SAP, Microsoft a la sienne, Salesforce.com aussi... Cependant, certains clients peuvent aussi découvrir notre technologie dans l’environnement SAP et avoir envie ensuite de l’utiliser pour d’autres cas d’usage. Les connecteurs disponibles à travers SAP Cloud Platform rendent possible cette ouverture vers d’autres systèmes.
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