Lorsque la société américaine Allegis Corp. s'est lancée dans un projet de modernisation d'ERP, la deuxième fois a été la bonne. La société de distribution de matériel informatique a réalisé deux déploiements d'ERP en sept ans, « ce qui n'est pas pour les âmes sensibles », admet Dave Shannon, son DSI.

Allegis utilisait depuis une quinzaine d'années un ancien système ERP on-premise appelé Eclipse qui, selon Dave Shannon, répondait bien aux besoins de l'entreprise, mais présentait des limites. L'intégration avec d'autres systèmes était difficile et il fallait beaucoup de ressources spécialisées pour apporter des changements, qu'il s'agisse de réaménagements des processus commerciaux, de validation la saisie des commandes ou de réapprovisionnement des filiales.

Le distributeur utilisait Eclipse depuis 10 ans lorsque le système a été racheté par Epicor. L'entreprise a alors commencé à étudier la possibilité de migrer vers un ERP dans le cloud. « Très franchement, nous n'avions pas les ressources internes nécessaires pour prendre en charge une solution sur site », explique le DSI. L'entreprise souhaitait tirer parti de tous les avantages du cloud, se libérer de la gestion du matériel et des logiciels, et ne pas avoir à gérer toutes les complexités liées à la sécurité, ajoute-t-il.

La tentation du spécifique

En 2017, après avoir exploré d'autres options, exploré une liste d'environ 80 fournisseurs et défini ses exigences métiers, Allegis a choisi NetSuite. Et le projet ne s'est pas bien passé. « Nous avons beaucoup apprécié l'architecture [de NetSuite] et le fait qu'elle soit dans le cloud. Elle répondait à la grande majorité de nos exigences, note pourtant Dave Shannon. Cet éditeur avait des capacités dans tous les domaines fonctionnels qui étaient importants pour nous. »

Cependant, les responsables d'Allegis estimaient alors que l'ERP ne possédait pas l'expertise nécessaire dans le domaine de la distribution. « Il nous permettait d'aller plus loin, mais pas là où nous en avions besoin d'aller, ce qui signifiait qu'il y avait beaucoup de lacunes ou d'extensions » à ajouter.

Dave Shannon, DSI d'Allegis, assume la responsabilité de cette « erreur » qu'a été le choix de NetSuite. (Photo : DR)

Allegis a comblé ces lacunes en intégrant 12 technologies tierces et via des développements spécifiques permettant à l'entreprise d'effectuer des tâches, telles que le réapprovisionnement et la planification de la demande. Mais ces changements ont enlisé le système. « Il y avait tellement de scripts spécifiques, les performances étaient à la traîne », et certains processus ne fonctionnaient pas correctement, reconnait Dave Shannon.

Près de trois ans plus tard, Allegis admet son échec, se remet en quête d'un outil et se tourne vers Epicor Prophet 21. « Nous avons déployé le 1er avril 2024, et l'expérience a été très positive », dit Dave Shannon, ajoutant que le service informatique a déployé le système dans le délai de 12 mois prévu pour le projet.

Un investissement qui n'est pas récupérable

Pour la migration vers son nouvel ERP, Allegis s'est associée à une équipe d'Epicor pour importer les données et déployer le système par étapes, en mettant en service les fonctionnalités de base qui répondaient à ses besoins métiers. « Nous n'avons pas fait preuve de fantaisie, dit Dave Shannon. Nous voulions mettre en place les fondamentaux - la solution et les données -, et nous assurer de leur acceptation au sein de l'organisation. Nous voulions être en mesure de réapprovisionner nos stocks et d'expédier des commandes - et de prendre des commandes dès le premier jour, et c'est ce que nous avons fait. » Quelques mois plus tard, avec plus d'expérience dans l'utilisation de Prophet 21, le service informatique a peaufiné le projet.

La migration vers le nouvel ERP a été réalisée avec un budget inférieur de 20 % au plan. Même si la première migration a laissé des séquelles. « Ce qui nous a pénalisés, c'est le coût de mise en oeuvre » de NetSuite, et le fait de réaliser « que nous ne pourrions jamais le récupérer si nous émigrons et que nous devrions en théorie dépenser un montant similaire pour passer à Profit 21 », indique Dave Shannon, ajoutant qu'il s'agissait d'un « investissement assez important ». Le DSI assume la responsabilité de cette « erreur » qu'a été le choix de NetSuite et affirme, avec le recul, qu'Allegis aurait évité la nécessité de mettre en oeuvre deux ERP si les dirigeants de l'entreprise avaient creusé davantage le sujet lors des démonstrations de produits.

Pour la carrière du DSI, une opportunité... et un risque

La modernisation des ERP est à la fois un grand projet et un mandat assez classique pour les DSI - et ce n'est pas une tâche que la plupart d'entre eux apprécient. Alors que de nombreuses organisations cherchent à innover, à déployer l'IA, à renforcer l'automatisation, à migrer vers le cloud et à acquérir un avantage concurrentiel, réussir la modernisation d'un ERP peut soit renforcer significativement la crédibilité d'un DSI, soit le couler si le projet ne se déroule pas bien.

« Les DSI d'aujourd'hui héritent d'ERP hautement personnalisés et peinent à mener les efforts de gestion du changement nécessaires, en particulier sur ces systèmes qui [sont] l'épine dorsale de toutes les opérations de l'entreprise », écrit Isaac Sacolick, fondateur et président de StarCIO, un cabinet de conseil en transformation numérique, dans un récent post de blog. « De nombreux DSI ont réussi à moderniser les applications et à développer des capacités analytiques en Machine Learning ou en IA, mais la transformation numérique et la fourniture de technologies compétitives qui stimulent la croissance restent un objectif difficile à atteindre », ajoute-t-il.

Lors de la planification d'une modernisation d'ERP, les responsables informatiques doivent évaluer leur situation de départ, ce dont ils ont besoin et les points sur lesquels se concentrer, souligne Bill Briggs, CTO de Deloitte : « pensez à une opération chirurgicale plutôt qu'à la force brute, et fondez vos décisions autant sur la croissance et la stratégie de l'entreprise que sur des considérations technologiques », explique-t-il.

Selon lui, l'un des plus grands dangers est d'être trop freiné par l'inertie institutionnelle, c'est-à-dire « la façon dont les choses ont toujours été faites et dont les outils/technologies ont toujours fonctionné. Tout ce qui peut être normalisé doit être automatisé, et presque tous les processus métiers existants peuvent [et] doivent être simplifiés au bénéfice de l'utilisateur final. Utilisez la mise à jour d'un ERP comme un cheval de Troie pour exploiter d'autres technologies émergentes. »

IA dans l'ERP : le nouveau must-have

L'une de ces technologies émergentes est évidemment l'IA, « absolument essentielle » dans un système ERP, selon Dave Shannon d'Allegis. « En tant que DSI, si vous ne pensez pas à l'IA et ne mettez pas en place ces technologies et ces solutions... vous risquez d'arriver trop tard, déclare-t-il. Nous en sommes dépendants. » Epicor dispose d'une feuille de route produits sur laquelle Allegis mise pour utiliser Prophet 21 afin d'entraîner des modèles. L'entreprise envisage, par exemple, d'utiliser l'IA pour déterminer le prix d'un article et savoir s'il y a des stocks disponibles dans certains endroits.

« L'IA nécessite des données vraiment propres, et en grande quantité », souligne Dave Shannon. La DSI d'Allegis s'efforce également d'appliquer les bonnes mesures de sécurité afin que les données restent confinées au système ERP.

Migrer avec des données nettoyées

Consciente que son système ERP/de gestion d'entrepôt sur site ne répondait plus à ses besoins financiers en termes de reporting et d'analyse, l'entreprise de soins de santé LeeSar est en train de se moderniser en migrant vers Oracle Fusion. L'ERP interne a été acheté avant que la division pharmaceutique de LeeSar ne commence à se développer, souligne Russ Neumeier, son vice-président en charge des services informatiques.

« J'apprécie la façon dont Oracle intègre l'IA dans les applications ERP et SCM Fusion, et j'aime l'opportunité des petites mises à jour trimestrielles des applications par rapport aux grosses mises à jour tous les cinq ans des autres systèmes, explique Russ Neumeier. Les mises à jour trimestrielles nous permettront d'introduire des caractéristiques et des fonctionnalités plus rapidement et d'innover dans le service à nos hôpitaux membres comme nous ne pouvions pas le faire auparavant. »

Russ Neumeier, vice-président en charge des services IT de LeeSar : « un effort considérable a été nécessaire pour injecter des données propres dans notre ERP Oracle. » (Photo : D.R.)

Le projet de modernisation bénéficie du soutien du conseil d'administration de LeeSar et apportera en standard des capacités que les services informatiques ont dû développer en tant que processus spécifiques pour le système précédent, ajoute le dirigeant. Oracle permettra également à LeeSar de gérer ses activités à partir d'une plate-forme d'entreprise.

Étant donné que les données clefs ont résidé dans l'ancien système de LeeSar pendant plus d'une décennie, « un effort considérable a été nécessaire pour s'assurer que nous introduisions des données propres dans la plate-forme Oracle, ce qui a nécessité un partenariat entre l'équipe IT et l'équipe fonctionnelle pour garantir l'exactitude des données au cours de leur migration ».

Faire face au turnover des équipes

Russ Neumeier a rejoint l'entreprise il y a trois ans et affirme que, bien qu'il n'y ait pas encore de structure formelle de gouvernance des données, l'équipe chargée de l'intégrité des data fait du bon travail en veillant à ce que les données des clients, des fournisseurs et les autres master data soient correctes.

Le processus ne s'est pas déroulé sans heurts. « La migration des données nécessite une implication des équipes et une validation fonctionnelle importantes - les processus de fin de mois et de fin d'année fiscale ont constitué un défi, les équipes fonctionnelles s'efforçant alors de pourvoir les postes vacants au sein de leurs équipes », souligne Russ Neumeier. « Avec l'affinement des extractions et des conversions de données, nous avons mis en place un processus avec notre intégrateur pour conserver des instantanés quotidiens des données afin de démontrer que les mises à jour des données sont bien réalisées. »

Autre défi rencontré par LeeSar : le départ du chef de projet initial chez l'intégrateur pour des raisons de santé. Le chef de projet remplaçant ne convenait pas, selon Russ Neumeier. « Nous l'avons tous deux senti, nous n'avons rien dit et avons essayé de faire en sorte que cela fonctionne, mais en l'espace de quelques semaines, j'ai eu toute une équipe de projet côté de LeeSar qui a exprimé ses inquiétudes à ce sujet. Si notre chef de projet et moi-même avions fait confiance à notre instinct, nous aurions pu avancer plus rapidement. »

Assurer l'engagement des experts fonctionnels

L'équipe a beaucoup appris de la première phase du projet (dite 1A). « Nous avons dit en plaisantant que la phase 1A avait payé la "taxe stupidité" plus tôt que prévu afin que la phase 1B puisse se dérouler plus facilement lorsque nous aborderons les complexités de l'entrepôt, de la pharmacie et des emballages personnalisés », explique Russ Neumeier. Avec le recul, ce dernier souhaiterait que « les experts en la matière dans les fonctions soient à 100 % sur la mise en oeuvre ; en tant qu'entreprise de taille moyenne qui fonctionne au plus juste, c'est un défi d'avoir des personnes engagées à 100 % sur un projet de système d'information ».

Alors que LeeSar s'engage dans la phase 1B de son projet, le dirigeant indique vouloir instaurer une règle proscrivant tout courrier électronique afin que l'équipe conserve toutes les communications relatives au projet dans Microsoft Teams. Cela permettra à tout le monde d'avoir l'ensemble des informations à portée de clic et d'éviter les oublis accidentels d'un destinataire dans les chaînes de courriels.

Tout tourne autour des données

Lorsque Michele Stanton a rejoint HGA, une société de conception, d'architecture et d'ingénierie, il y a deux ans en tant que DSI, elle a « très vite compris que les données étaient le plus grand défi auquel l'entreprise était confrontée ». Il n'existait alors pas d'entrepôt de données en interne, ni d'environnement de données commun, si bien que les employés se procuraient leurs propres données, effectuaient leurs propres extractions et reformataient et manipulaient les données pour produire des tableaux de bord.

L'entreprise utilisait la solution Deltek Vision, qui, selon Michele Stanton, « n'est pas bien adaptée à cela - c'est un système transactionnel, pas un système d'analyse de données ». La DSI a réalisé que HGA avait besoin d'une stratégie claire en matière de data, d'un entrepôt de données et d'un responsable de l'analyse des données. Elle a alors embauché Ryan Haunfelder pour ce faire, et ils se sont officiellement lancés dans une mise à niveau vers Deltek Vantagepoint.

Michele Stanton, DSI de la société d'ingénierie HGA : « je n'étais pas en mesure de dire : 'arrêtez ; nous allons repenser l'ensemble', ce qui, soit dit en passant, aurait pris deux ans. » (Photo : D.R.)

De longue date, HGA fait reposer une large partie de son fonctionnement sur les technologies Microsoft. Michele Stanton et Ryan Haunfelder ont donc effectué la mise à niveau à l'aide de Microsoft Fabric tout en mettant en place une structure de gouvernance des données. Cela a permis de « structurer la qualité et la sécurité des données », explique la DSI. HGA a terminé cette mise à niveau, non sans quelques difficultés. Bien que Deltek offre la possibilité de créer du code spécifique, si les données changent, « tout doit suivre », résume Ryan Haunfelder.

Arbitrer entre budget, timing et ampleur de la transformation

« Il ne s'agit donc pas seulement d'une migration de l'ERP, mais aussi d'une migration de pratiquement toutes les applications personnalisées que notre entreprise a développées », et tout ce code spécifique devait refléter la logique métier de Vantagepoint. Soit entre 10 et 15 applications et des centaines d'éléments de code. Pour prendre en charge ces adaptations, Ryan Haunfelder a donc mis en place un environnement de développement permettant de tester en détail le fonctionnement de l'ERP. La DSI et le responsable data indiquent toutefois que, s'ils avaient eu plus de temps pour planifier la mise à niveau, ils auraient « éliminé tous les éléments qui n'avaient pas leur place » dans le système cible, selon les mots de Michele Stanton.

« Notre objectif était de créer une capacité presque identique à celle dont nous disposions auparavant dans la nouvelle plateforme, avec une meilleure expérience utilisateur, mais sans vraiment changer la façon dont les gens travaillent, dit-elle. La mise à niveau s'est déroulée aussi bien qu'on pouvait s'y attendre, mais ce n'est pas comme si nous avions achevé une réelle transformation numérique. »

Étant toute nouvelle dans ce secteur lorsqu'elle a rejoint HGA, et alors que le projet de migration avait déjà commencé, « je n'étais pas en mesure de dire : 'arrêtez tout ; nous allons repenser l'ensemble - ce qui, soit dit en passant, aurait demandé deux ans supplémentaires -, et ensuite nous parlerons de Vantagepoint' », dit Michele Stanton. Malgré ces réserves, elle se dit satisfaite du travail accompli par la DSI, qui a réussi à impliquer les bonnes parties prenantes au sein de l'entreprise et à les familiariser avec l'enjeu des données.

Comment réussir une mise à jour d'ERP

Dave Shannon, d'Allegis, estime que les responsables informatiques doivent non seulement avoir une bonne compréhension des besoins de l'entreprise, mais aussi comprendre le quotidien des utilisateurs. « Il est très facile de s'asseoir dans son fauteuil et de dire : 'allez à l'écran de saisie des commandes et remplissez ceci'. Cela semble simple, mais ce n'est pas vous qui effectuez ce travail, c'est eux », explique-t-il. La DSI doit également comprendre les complexités auxquelles les métiers sont confrontés et ce qui les aidera à être plus efficaces, en particulier en ce qui concerne la satisfaction des exigences des clients.

Ryan Haunfelder, directeur data et analytique de HGA. (Photo : D.R.)

« Il n'y a aucun moyen d'apprécier cela, souligne Dave Shannon. La première fois [autrement dit, lors de la migration vers NetSuite, NDLR], nous avons probablement tenu pour acquis que nous comprenions ce dont ils avaient besoin. » Dave Shannon a constitué une équipe plus importante pour le passage d'Allegis à Prophet 21, rassemblant « les bonnes personnes dans tous les domaines fonctionnels de l'entreprise », et insistant sur le fait qu'elles avaient une voix égale à celle des informaticiens dans ce projet de déploiement « Comme les métiers sont impliqués tout au long du processus, l'intégration et la formation sont aussi beaucoup plus faciles », ajoute le DSI.

Il conseille également de comprendre en profondeur ce qu'un fournisseur entend par 'partenariat'. « Dans certains cas, il s'agit juste de faciliter la signature d'un contrat ; tandis que, dans d'autres cas, le fournisseur essaie réellement de comprendre votre activité et de travailler avec vous pour vous faciliter la tâche », explique Dave Shannon. Russ Neumeier, de LeeSar, est du même avis et affirme que son entreprise met l'accent sur la collaboration avec son intégrateur et Oracle. « Nous recherchons tous la même chose, à savoir une mise en oeuvre extrêmement réussie », déclare-t-il. Pour ce faire, il conseille d'éliminer tout langage de type 'nous contre eux' et de mettre souvent l'accent sur les hypothèses de travail.

Un projet qui va perturber toute l'entreprise

Enfin, les DSI devraient considérer la modernisation de l'ERP comme une initiative métier, et non comme un projet informatique, ajoute-t-il. « La modernisation de notre ERP/WMS ne peut pas être une tâche que seul le service informatique accomplit pour l'entreprise, et c'est pourquoi nous impliquons tous les départements de notre entreprise dans la mise en oeuvre », indique Russ Neumeier.

Sans oublier de conserver une part de fun, ajoute le dirigeant. « Nous invitons les nouveaux membres à ajouter à notre liste de lecture une chanson qui les motive, leur donne de l'énergie ou les met de bonne humeur, car nous savons que nous allons rencontrer des obstacles, être frustrés ou ressentir le stress d'une échéance imminente. » Lorsqu'on modernise un système ERP, il faut y aller en ayant conscience de l'enjeu, abonde Dave Shannon d'Allegis : « la chose la plus perturbante que vous puissiez faire est probablement de remplacer votre système ERP, car il touche à tous les aspects de l'entreprise. Sa modernisation n'est donc pas un projet à prendre à la légère ».