Le but de l'Université du SI, a expliqué François Hisquin, PDG d'Octo, est de rassembler directions informatiques (le parcours « boss ») et développeurs (parcours « geek ») pour une vision d'ensemble du système d'informations et des innovations à lui apporter. Avant ces parcours aux thèmes plus ou moins techniques, le philosophe Michel Serres était invité à donner le coup d'envoi de l'événement en proposant une définition de l'innovation. « Réponse : je ne sais pas. Et les gens qui prétendent le savoir seraient à la fois Moïse, Jésus-Christ, Einstein... » Le philosophe a toutefois suggéré une piste : l'innovation consisterait à « découvrir une source de totipotence » (En biologie, la totipotence est la qualité d'une cellule capable de devenir n'importe quelle cellule spécialisée)
La révolution informatique assimilée à l'invention de l'écriture et à celle de l'imprimerie
Michel Serres s'appuie sur un raisonnement en trois points, qui explorent chacun à leur façon l'impact de l'informatique sur notre société. D'abord l'impact sur le temps. Pour Michel Serres, les grandes révolutions de l'histoire ne sont pas celles des sciences et techniques - qu'il assimile au « hard », par analogie avec l'informatique -, comme la révolution industrielle, mais celles du « soft » : les signes inscrits sur un support, autrement dit liés à l'écriture. Et de pointer le fait que l'invention de l'écriture a fait passer l'humanité de la préhistoire à l'histoire, et a ouvert la voie à de nombreuses inventions : le droit, les villes, la monnaie, la religion du Livre, la géométrie... « A la Renaissance, avec l'imprimerie, il y a eu le même type de révolution », a-t-il souligné, mentionnant les progrès de la science, les débuts du capitalisme, la Réforme, etc. Avec l'apparition de l'ordinateur et d'Internet, « aujourd'hui il en est de même : cela touche le droit, le commerce est accéléré, les associations humaines transformées, les sciences ont fait des progrès considérables... »
Un espace aux distances abolies
Deuxième partie de l'argumentation, l'informatique bouleverse la notion d'espace. Chacun, a expliqué Michel Serres, possède une adresse, ce qui signifie, selon l'étymologie latine, « un espace de droit ». « Mais aujourd'hui, on ne reçoit quasiment plus rien à cette adresse. Nos vraies adresses, ce sont le courriel et le téléphone mobile ; il s'agit de codes qui n'ont rien à voir avec du dur [hard]. » Pour Michel Serres, nous vivons dans un espace topologique, qui n'a pas de notion de distance. « Nous vivons dans un espace dont nous n'avons pas conscience de la nouveauté », a fait valoir le philosophe. Qui explique qu'il faut donc inventer un nouveau droit pour cet espace. Démonstration étayée par une anecdote : il fut un temps, a-t-il raconté, où les forêts étaient des espaces de non-droit, très dangereuses, donc. Puis un jour, quelqu'un a mis de l'ordre de l'ordre dans la forêt de Sherwood. Robin des Bois, dont la signification étymologique serait : le magistrat (porteur de robe, ou Robin) ayant inventé un droit dans un espace de non-droit.
Les capacités cognitives littéralement à portée de main
Troisième et dernier point, le philosophe s'interroge sur le cognitif. Pour lui, les hommes ont perdu la mémoire. Au fur et à mesure des inventions telles que l'écriture, l'imprimerie et aujourd'hui l'informatisation, une de nos capacités cognitives, celle de pouvoir mémoriser les choses, s'est évanouie, estime Michel Serres. Toutefois, poursuit-il, ce peut être un mal pour un bien. Citant un de ses professeurs, il a rappelé que l'ancêtre de l'homme était un quadrupède. Ses bras ont perdu la fonction de portage, « mais il y a gagné un instrument multipotent, la main ! » De même, « le museau a perdu sa faculté de préhension, mais il a gagné une fonction multipotente : la capacité de parler ». « Chaque perte de la mémoire, note Michel Serres, s'est accompagnée de grandes évolutions. Aujourd'hui, qu'allons-nous gagner ? » Cette question se posait en fait directement aux 250 à 300 personnes présentes dans la salle, que le philosophe a mis en face de leurs responsabilités : devant elles, l'ordinateur représente l'ensemble de leurs facultés cognitives. « Tout est là sur votre table, a-t-il conclu. Vous n'avez plus qu'à inventer. »
(Note de l'auteur : merci à Didier Girard pour la photo de Michel Serres)
Michel Serres aux informaticiens : «Inventez !»
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Réaction
Les informaticiens n'en ont pas forcément conscience, mais ils sont en train d'écrire une nouvelle page dans l'histoire de l'humanité. Tel est l'enseignement qu'on peut tirer du discours d'ouverture de l'Université du SI prononcé par Michel Serres ce matin. Le cabinet d'architectes en systèmes d'information Octo Technology organisait, pour la première fois, cet événement, à Paris, les 2 et 3 juillet.
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