LMI : A l’occasion des 35 ans du titre Le Monde Informatique, pouvez-vous revenir sur l’évolution IT des dernières décennies telle que vous l’avez perçue à travers la presse informatique ?
Henri Pidault : Je suis lecteur de cette presse depuis presque 30 ans. Passionné d’IT, je l’ai lu aussi à titre personnel. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à l’informatique, j’avais 13 ans et on utilisait MS-DOS. Avant les années 90, la démocratisation des PC a permis à « monsieur tout le monde » d’avoir accès à l’informatique alors qu’elle était réservée auparavant aux grandes sociétés avec les mainframes. Ensuite, la 2ème révolution fut bien sûr l’interconnexion de tous ces PC avec Internet, suivie de l’arrivée des grands acteurs du cloud comme Google. Ce qui a vraiment fait passer un cap dans l’informatique, c’est la mobilité à travers les smartphones, avec au départ l’iPhone d’Apple et son interface tactile, petite révolution dans l’ergonomie. Et puis, maintenant, c’est l’intelligence artificielle qui va révolutionner les futures années. Parmi les grands changements de tendances, l’arrivée de l’Open Source a été particulièrement importante. Cela a libéré l’informatique et les grands acteurs du cloud aujourd’hui sont des bébés de l’Open Source. Et d’ailleurs, paradoxalement, en dépit de l’hégémonie américaine, l’Open Source vient de l’Europe avec Linux. Ce réel bouleversement, économique pour le coup, a laissé aux start-ups la liberté de pouvoir se développer sans devoir franchir une barrière trop élevée à l’entrée.
Avez-vous en tête certaines actualités, certains titres de UNE qui vous ont particulièrement frappé ?
La disparition de Digital Equipment Corporation, DEC, racheté par Compaq. C’était une société très en avance au niveau technologique et qui a perdu son leadership, non pas par la technologie, mais par le marketing [NDLR : c’est notamment au sein de DEC qu’a été créé le protocole Ethernet ou le moteur de recherche Altavista qui connut son heure de gloire sur le web à partir de fin 1995, presque trois ans avant la fondation de Google]. Pour tous ceux qui aimaient la technologie, c’était un petit pincement au coeur. Le marketing qui devient le maître-mot de la technologie, ça a été un point important. Il y a eu aussi la période du passage à l’an 2000 avec le fameux bug. Et plus récemment, les histoires liées à la cybersécurité et au vol de données et leak de données.
La presse IT est passée du support papier au site web, LMI ayant sauté le pas en 2007. Comment l’avez-vous perçu ? Qu’attendez-vous de cette presse spécialisée ?
Avec la transition vers le web, nous sommes passés du stock de magazines papier, qui nous obligeait à relire tous les numéros lorsque l’on voulait retrouver un article, aux capacités de recherche incroyablement efficaces du numérique. C’est un vrai changement de paradigme. Avec le passage au web, je charge les articles et je suis davantage plurisources. Ce que j’aime lire, ce sont les articles un peu en avance de phase qui arrivent à éclairer le futur et nous permettent d’anticiper ce qui va se passer.
Justement, après ce bref retour vers le passé, quelles sont selon vous les technologies qui feront les gros titres demain ?
Les technologies qui commencent vraiment à être mises en oeuvre et autour desquelles tournent de nombreuses start-ups sont celles de l’Internet des objets et du traitement massif de l’information, les big data couplées avec les moteurs d’intelligence artificielle, associées aux nouveaux services qui vont apparaître. Elles se diffusent dans le grand public, mais c’est probablement dans l’industrie qu’elles auront le plus d’impact. L’informatique industrielle, qui est restée en autarcie pendant des années, va commencer à s’ouvrir avec leur mise en place. Et il y a là une révolution qui n’est même pas encore complètement envisagée, avec l’arrivée de cette informatique grand public dans le monde industriel. On en est encore très loin. Aujourd’hui, pour protéger leur informatique, les industriels restent plutôt cloisonnés. L’IoT va casser les murs et obliger à traiter des sujets de sécurité. Avec, d’un côté, des standards comme Scada (Supervisory control and data acquisition) et, de l’autre, le monde de l’IT et du réseau avec TCP/IP. De manière paradoxale, comme les environnements industriels sont restés en autarcie, ils sont beaucoup moins sécurisés que le monde IP qui a dû vivre sous le feu quotidien des cyber-attaques. Cela pose un problème parce qu’avec les solutions dans le cloud, on est obligés de passer par IP et d’ouvrir les systèmes industriels. Par exemple, pour utiliser des moteurs d’intelligence artificielle, les industriels seront obligés d’aller les consommer dans le cloud. Pour cela, ils devront s’ouvrir et, potentiellement, se mettront en danger puisqu’ils ne sont pas prévus pour cela. Il y a donc pas mal de choses qui vont se passer dans ce domaine. Ce sont les prochains changements de paradigmes.
Par ailleurs, tous les grands acteurs du logiciel vont muter et passer vers le service en ligne (Saas). Le passage au cloud entraîne un creux de trésorerie très important. Ils devront aller vers l’abonnement avec une vraie valeur ajoutée. La tendance est lourde.
Commentaire