Souvent, les analystes et la presse précèdent la demande pour une technologie donnée, mais avec le cloud, ils se sont peut-être surpassés. Dans une récente enquête d'O'Reilly, 30 % des personnes interrogées ont déclaré qu'elles étaient déjà totalement « cloud native », 17 % qu'elles y arriveraient dans les deux prochaines années (et 20 % de plus, qu'elles seraient « cloud native » dans environ trois ans). Cela paraît incroyable, n’est-ce pas ? En fait, cela semble impossible. Selon le cabinet d'analystes IDC, les dépenses liées au cloud ne représentent encore que 6 % des dépenses IT totales. Il fut un temps où les DSI étaient les derniers à savoir quel budget était affecté aux dépenses IT. Sont-ils désormais les premiers à faire des déclarations trop ambitieuses sur ces dépenses ?
Priorité au cloud, forcément…
Avant, il était de bon ton de manifester son hésitation à passer au cloud. Aujourd’hui, tout le monde emboîte le pas. Peut-être pas aussi rapidement que certains le souhaiteraient, ce qui explique pourquoi Amazon Web Services continue de produire des services qui font le lien entre les anciens mainframes et le cloud. Et l'ancien CEO d’AWS Andy Jassy a passé sa dernière conférence re:Invent à dire aux responsables IT qu'ils devaient adopter largement le cloud au risque d’être devancés par la concurrence. Quoiqu’il en soit, parler de ses progrès en matière de cloud est devenu incontournable. Il suffit de demander aux personnes ayant répondu à la dernière enquête d'O'Reilly sur l'adoption du cloud. L’éditeur a interrogé les lecteurs de ses bulletins d'information « Programming and Infrastructure & Ops », qui comptent 436 000 abonnés. Parmi eux, 2 834 personnes ont répondu à l'enquête. Les répondants ne sont pas nécessairement des DSI, mais ils sont « assez fortement représentés », selon l'auteur du rapport, Mike Loukides. Plus d'un tiers d'entre eux occupent leur poste actuel depuis plus de dix ans, et 49 % ont plus de sept ans d'expérience. Parmi les personnes interrogées, les cinq principales fonctions représentées sont les suivantes : développeur (4,9 %), ingénieur logiciel (3,9 %), directeur technique (3,0 %), développeur logiciel (3,0 %) et architecte (2,3 %).
Encore une fois, ces répondants ne sont pas nécessairement ceux qui ont la main sur les budgets IT de l'entreprise, mais ils sont certainement impliqués dans ces décisions. Que disent-ils ? D'abord, près de 90 % des personnes interrogées travaillent pour des entreprises qui utilisent le cloud dans une certaine mesure. Ce n'est pas surprenant. Par contre, le plus surprenant, c’est que les 10 % restants n'aient pas rencontré leurs pairs qui utilisent des services de cloud public pour gérer l’activité de l'entreprise. Il faut leur accorder encore un peu plus de temps pour cela. Autre constatation peu surprenante, c’est que l'utilisation se concentre autour des trois grands fournisseurs de cloud : AWS avec 62 %, Microsoft Azure avec 48 % et Google Cloud avec 33 %. Oui, vous avez raison : en additionnant ces chiffres, on n’arrive pas à 100 % ! Il s'avère que le multicloud est bel et bien une réalité, même si l’idée n’est pas de « créer une application qui fonctionne sur plusieurs clouds », comme le croit encore un certain nombre. Cela signifie simplement que les entreprises font ce qu'elles ont toujours fait : exécuter différents services sur le fournisseur de cloud qui répond le mieux à leurs besoins pour une application donnée. Elles ne ferment pas non plus leurs datacenters. Selon M. Loukides, c’est tout à fait logique, car « la plupart des entreprises ne sont pas très avancées dans leur transformation » et « la suppression de toute (ou même de la plupart) des infrastructures traditionnelles est une tâche très lourde ».
« Cloud first », « cloud native », vraiment ?
C'est un peu déroutant quand les personnes interrogées disent qu'elles se lancent à corps perdu dans une stratégie « cloud first » (47%).
Part du cloud first, mise en évidence par l’enquête d'O'Reilly sur l'adoption du cloud. (Crédit : O'Reilly Media)
Pour étayer cette affirmation, près de la moitié (48 %) des répondants ont déclaré qu'ils prévoyaient de migrer 50 % ou plus de leurs applications vers le cloud au cours des 12 prochains mois. Un bon 20% prévoit de migrer 100% de ses applications. Pour les entreprises spécialisées dans le cloud, les nouvelles sont encore meilleures (ou pires, selon la façon dont on lit les données).
Projets de migration dans le cloud, mis en évidence par l’enquête d'O'Reilly sur l'adoption du cloud. (Crédit : O'Reilly Media)
Ce n'est pas vraiment un problème dans le cas de l'enquête d’O'Reilly. Le problème tient plus à une adéquation entre les ambitions et la réalité. C'est peut-être aussi une bizarrerie dans la définition du terme « cloud native » ou « natif du cloud ». Selon la Cloud Native Computing Foundation (CNCF), peut être qualifié de « cloud native » ce qui permet aux entreprises de « créer et d'exécuter des applications évolutives dans des environnements modernes et dynamiques comme les clouds publics, privés et hybrides ». Il n'y a rien de particulièrement moderne dans un cloud privé/datacenter. Pour Scott Carey d’InfoWorld, « le « cloud native » englobe les différents outils et techniques utilisés par les développeurs de logiciels actuels pour créer des applications pour le cloud public, par opposition aux architectures traditionnelles adaptées à un datacenter sur site » (c'est moi qui souligne). Si le passage au « cloud native » signifie simplement « faire ce que nous avons toujours fait, avec une dose de conteneurs », ce n'est pas un point de données très utile.
La vérité des chiffres
Cependant, on peut soutenir que « le cloud first » est natif du cloud. Si 47 % de personnes interrogées déclarent déjà qu'elles optent par défaut pour le cloud (là encore, on suppose que les gens ne pensaient pas à « leur datacenter privé » en répondant à une question sur le « cloud first »), alors nous avons un réel problème avec les dépenses mesurées en matière de cloud par IDC, Gartner et même les cabinets d'analyse les plus attentifs. L'adoption du cloud progresse à un rythme effréné, mais souvent dans l'entreprise, « effréné » n'est pas très différent de « à une allure de tortue ». L'adoption du cloud public se produit, et rapidement. Mais elle ne représente encore que 6 % des dépenses IT totales.
Les personnes interrogées dans le cadre de cette enquête aimeraient peut-être se prévaloir d’une stratégie « cloud first », et ajouter « cloud native » sur leur profil LinkedIn. Après tout, personne n’a envie de passer pour un traînard en matière de cloud. Mais l'argent ne ment pas, et l'argent (selon les dépenses IT mesurées par IDC et Gartner) indique que le cloud va prendre du temps. La bonne nouvelle pour les vendeurs de cloud, c’est que tous les signes indiquent une adoption toujours plus importante. Mais pour autant, il ne faut pas imaginer que cette adoption sera effective demain ou même dans les deux ou trois prochaines années.
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